Accident sous cocaïne : L’homicide involontaire peut-il être retenu pour la mort d’un fœtus, que risque Pierre Palmade ?
L’accident de la route impliquant le comédien Pierre Palmade a fait ce week-end quatre blessés graves, dont une femme enceinte de six mois, qui a perdu son bébé. Alors qu’une enquête a été ouverte pour « homicide involontaire », le drame pose la question du statut juridique du fœtus, qui n’est pas défini dans la loi comme une « personnalité juridique » à part entière.
Peut-on être condamné d’un homicide involontaire après la perte d’un bébé pour une femme enceinte dans un accident de la route ? L’affaire de la collision, vendredi 10 février, entre la voiture de l’humoriste Pierre Palmade, testé positif à la cocaïne, et le véhicule d’une famille transportant une femme enceinte de six mois, qui a perdu son enfant à naître à cause du choc de l’accident, alimente les débats autour du statut juridique du fœtus dans la loi française.

Toute la question porte autour de la notion du statut pénal de la victime dans le cadre d’une affaire d’homicide involontaire. À ce titre, l’article 221-6 du Code pénal précise que « le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire ».
Aux yeux de la loi, pour être considéré comme une victime dans ce type d’affaire, il faut donc être considéré comme « autrui ». Sur ce point, le Code pénal est assez clair : « autrui dans ce texte veut dire “une personne” », explique Eddy Accarion, doctorant en droit privé et sciences criminelles à l’université Toulouse 1 – Capitole et auteur d’un article sur la question du statut juridique des fœtus et des homicides involontaires.
Les foetus, des « personnes juridiques » à part entière ?
Le Code civil, dans son article 16, prévoit que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » « Dès le commencement de sa vie » : le texte considère donc la fécondation comme la première étape de la vie. Les embryons, puis les fœtus dans le ventre des femmes enceintes, sont ainsi qualifiés comme des « êtres humains ». « Ce n’est pas la même chose qu’une “personne” humaine, souligne Eddy Accarion. Si l’être humain a la chance de naître vivant et viable, alors il reçoit la qualification de personne juridique. » Ce statut juridique implique donc l’acquisition de droits et la nécessité de se soumettre à des obligations fixées par la loi, au contraire du statut d’« être humain ». Autrement dit, les fœtus ne sont pas des « personnes juridiques », et ne peuvent donc pas être les « victimes » d’un homicide involontaire.
Mais dans le cas d’accidents ayant causé la perte d’un fœtus, une autre question se pose : l’enfant disparu a-t-il pu vivre en dehors du corps de sa mère ? Le cas échéant, cela change la donne au niveau légal. Le fœtus peut alors être considéré comme un véritable enfant, avec une personnalité juridique propre, et donc, comme une potentielle victime d’un « homicide involontaire ». Mais pour obtenir ce statut légal, il faut vérifier que la situation de l’enfant remplisse deux conditions : une naissance vivante et viable. « Tout se résume ici au fait de savoir si l’enfant a vécu ou pas », synthétise Eddy Accarion. Ainsi, le décès d’un nourrisson mort-né après un accident de la route ne constitue pas une situation dans laquelle l’enfant peut obtenir la qualification de « personnalité juridique ».
Pour le chercheur, dans la jurisprudence actuelle, la condition de viabilité vient dans un second temps vérifier si l’enfant aurait dû vivre, dans des circonstances d’accouchement normales. « Si on se pose la question de la viabilité, c’est en général parce qu’en bout de course l’individu est mort. On se demande alors s’il était condamné ou s’il devait pouvoir vivre. La viabilité est présumée : on ne se pose la question celle-ci que lorsqu’elle est contestée, et elle l’est rarement. » Plusieurs critères, comme la respiration, l’activité cérébrale ou l’existence de battements cardiaques sont consignés dans un rapport médical ou d’autopsie et peuvent certifier que le bébé était bien en vie au moment de la naissance, et donc suffire à assurer ce critère de viabilité.
Que dit la justice jusqu’à maintenant sur le sujet ?
En la matière, plusieurs arrêts de la Cour de cassation depuis vingt ans soutiennent que la mort d’un fœtus dans des accidents de la route ou des accidents médicaux ne justifient pas le chef d’accusation d’« homicide involontaire » pour les responsables de ces accidents. L’argument invoqué est toujours que le fœtus ne possède pas la qualification de « personnalité juridique ». En 2001, la plus haute juridiction française avait ainsi statué dans le cas d’une affaire d’accident de la route, pendant lequel une femme enceinte de six mois avait perdu son bébé. La personnalité juridique du fœtus n’avait pas été reconnue.
Un autre arrêt de la Cour de cassation en 2006, avait confirmé la jurisprudence dans le cas d’une affaire similaire, pour une femme enceinte de cinq mois. Encore plus récemment, en 2018, la Cour de cassation a de nouveau retoqué la qualification d’« autrui » d’un fœtus mort-né lors de l’accouchement d’une femme, en 2011. Les plaignants accusaient le CHU de Limoges d’« homicide involontaire » pour les carences d’un traitement prescrit par l’hôpital et selon eux responsable de la mort de leur enfant.
En 2014, le tribunal de Tarbes avait condamné un automobiliste à trois ans de prison avec sursis pour homicide involontaire. Une femme enceinte de six mois et demi, fauchée par un chauffard alcoolisé et sous médicaments, avait perdu son fœtus lors de cet accident. Mais la peine avait finalement été annulée par la cour d’appel de Pau l’année suivante, suivant les décisions précédentes de la Cour de cassation.
Pourquoi la personnalité juridique n’est-elle pas accordée aux fœtus après la durée légale du droit à l’IVG ?
Sur les réseaux sociaux, certains internautes demandaient après l’accident de Pierre Palmade ce week-end un renforcement de la protection du fœtus dans la loi. Accorder la personnalité juridique aux fœtus, passé les 14 semaines de droit à l’IVG prévues par la loi, pourrait permettre ainsi de considérer comme victimes dans les affaires d’homicides involontaires. Mais accorder ce statut aux fœtus serait « contre-productif », selon Eddy Accarion. « Il serait inutile de qualifier de personne juridique un être qui n’est pas encore né, qui n’a aucune autonomie vis-à-vis de sa mère, qui n’a pas de volonté propre et qui ne saurait avoir de droits ou de biens qui lui sont propres. »
Pour lui, changer ce principe pourrait même causer d’autres problèmes juridiques, voire moraux. « Imaginez une mère qui chute dans les escaliers et fait mourir l’enfant qu’elle porte. Si on dit que l’article 221-6 du Code pénal vise à reconnaître comme une personne juridique l’enfant à naître, voire l’enfant mort-né, alors cela pousserait à poursuivre pénalement la mère », décrypte le juriste. Sans compter que cela remettrait aussi en cause une partie de la cohérence du droit, le terme « autrui » n’ayant soudain plus la même signification selon les textes de loi…
Pour Eddy Accarion, d’autres solutions peuvent exister pour renforcer la protection juridique des fœtus dans le cas d’accident de la route, sans leur accorder pour autant la notion de « personne juridique ». Une des solutions, selon lui, pourrait notamment résider en l’ajout dans la loi d’une circonstance aggravante – elle existe dans le cas des homicides volontaires – lorsqu’une femme enceinte est blessée et perd son fœtus dans ce type d’accident.