Agriculture : Faute de main-d’œuvre, des maraîchers détruisent leurs cultures ou embauchent des migrants afghans, marocains…

Même les bras étrangers manquent. Une délégation de Légumes de France est allée au Maroc début mai pour chercher du renfort. Aux quatre coins de la France agricole, maraîchers et arboriculteurs peinent à trouver de la main-d’œuvre, qu’elle soit locale ou qu’elle vienne d’autres pays. Le taux de chômage actuellement bas, le manque de motivation des candidats locaux et la forte sollicitation des travailleurs étrangers dans de nombreux domaines expliquent les raisons de cette pénurie.

«C’est un gros souci pour notre secteur du maraîchage, confirme Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France, maraîcher à Mardeuil (Marne) avec son fils. Même la main-d’œuvre saisonnière du cœur de l’Europe fait défaut car elle très demandée.»

«Un gros manque à gagner»

Faute de bras, certains maraîchers n’ont pas d’autre choix que de détruire les cultures en place. C’est ainsi le cas de Denis Digel, maraîcher sur 12 hectares à Sélestat, dans le Bas-Rhin.

On n’a pas assez de main-d’œuvre disponible, on va être obligé de laisser des cultures de printemps aux champs. Cela concerne les radis, les salades et les navets, regrette cet agriculteur cofondateur de trois magasins de producteurs en vente directe, dont Le P’tit Marché. On a du mal à trouver une main-d’œuvre locale motivée. Les gens viennent un jour et repartent le lendemain car c’est trop dur. Pour la première fois, j’ai embauché deux Afghans réfugiés en France. Ils ont appris le français grâce à une association. Ils sont très motivés et connaissent le métier car ils travaillaient aussi la terre chez eux.»

Certains paysans cumulent la double peine car ils sont maraîchers bio. «Non seulement on a du mal à trouver de la main-d’œuvre mais en plus on a du mal à rémunérer celle que l’on a, admet Pierre Maurer, chef de l’exploitation éponyme à Dorlisheim, en Alsace. La distribution nous achète la courgette bio à 1 euro le kilo. À ce prix-là, nous allons en jeter la moitié car la ramasser coûte trop cher. La main-d’œuvre représente 65 % du coût de production. Il nous faudrait 1,4 euro le kilo pour que l’on s’en sorte. Sur d’autres parcelles, nous avons préféré faire du maïs grain à la place d’asperges car on divise par dix le prix du ramassage, tout est mécanisable.»

Plus à l’ouest, en Charente-Maritime, la situation n’est guère plus florissante. Marion Dumon et Christophe Rigaud, qui cultivent entre autres 12 hectares d’asperges à l’EARL des Bons Bois, n’ont pas trouvé les bras nécessaires pour les récolter. «On a dû broyer deux hectares d’asperges qui arrivaient en fin de cycle car on ne trouvait pas de main-d’œuvre pour les ramasser, se désole Marion Dumon. Nous en avons également laissé trois hectares en terre car c’est une culture implantée pour dix ans que l’on peut récolter l’année suivante. Cela représente un gros manque à gagner.»

Elle reprend: «Nous avons des saisonniers Bulgares et Roumains qui travaillent depuis plusieurs années chez nous, mais pas assez nombreux. Ils sont très recherchés et s’adaptent vite. On a dû acheter deux mobile homes pour les loger car il n’y avait rien de disponible. Localement, j’ai fait appel à Pôle emploi. Une seule candidate est venue. Elle ne voulait pas faire plus de 35 heures malgré les heures supplémentaires payées, et elle est repartie.»

Nous voulons que le temps maximum de séjour des saisonniers marocains en France soit allongé de six à huit mois” – Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France

Un phénomène qui touche aussi l’arboriculture et les contrats en CDI. «On a des problèmes de recrutement sur les saisonniers pour ramasser les fruits mais aussi les permanents sur tous nos métiers: les chefs de culture, les encadrants d’équipe et les tractoristes, constate Françoise Roch, présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits. Nous avons plus de cinq nationalités de saisonniers dont des Marocains. Ils connaissent bien le boulot et reviennent tous les ans car ils ne peuvent pas dépasser les six mois de séjour en France.»

En revanche, souligne l’arboricultrice installée à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, sur une exploitation de 60 hectares, «on a un vrai problème pour leur habitat». «On n’a pas le droit de construire des logements sur des terres agricoles.»

Pour parer à la raréfaction de la main-d’œuvre, le président de Légumes de France est allé, début mai, en délégation à Casablanca à la recherche de renforts. «Nous voulons que le temps maximum de séjour des saisonniers marocains en France soit allongé de six à huit mois, ce qui correspond au pic de nos besoins de mars à novembre, explique Jacques Rouchaussé. Nous avons rencontré le consul général de France à Casablanca, en présence du directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Nous avons vu beaucoup de Marocains volontaires. Les maraîchers nantais ont testé un nouveau dispositif au bout duquel les saisonniers restés huit mois en France reviennent chez eux en fin de contrat. Je dois rédiger un rapport aux ministres de l’Agriculture et de l’Intérieur à ce sujet.» Il en va de la souveraineté alimentaire de la France. «Le pays importe en moyenne un fruit et un légume sur deux», rappelle Angélique Delahaye, maraîchère en Indre-et-Loire.

Le Figaro