Allemagne : “Il faut 400.000 étrangers de plus par an”, le gouvernement réforme sa politique d’immigration car la pénurie de main d’œuvre menace ses fondamentaux économiques

Le gouvernement allemand réforme sa politique d’immigration pour faciliter le recrutement de personnels qualifiés sur toute la planète. Mais il faut convaincre ces étrangers de rester sur place et lutter contre la xénophobie de l’extrême droite.

Même les millions de réfugiés arrivés ces dernières années ne suffiront pas à compenser la faible natalité et les départs à la retraite de la génération des “babyboomers” L’Allemagne fait face à une pénurie de main-d’œuvre si grave qu’elle remet en cause son système social par répartition. Selon l’Agence fédérale pour l’emploi, il faut 400 000 étrangers de plus chaque année pour stabiliser le niveau du marché de l’emploi.

S’ils veulent sauver leur économie, les Allemands savent qu’ils ne peuvent plus se passer d’une immigration massive.”

Un trou de 7 millions de personnes en 2035

Pour les entreprises, le manque de personnel est une question existentielle. C’est le problème n° 1 des PME du “Mittelstand”, la colonne vertébrale du “made in Germany”, qui déplore près de 2 millions de postes vacants. “Au rythme actuel, il manquera 7 millions de personnes sur le marché du travail en 2035”, prévient Enzo Weber, de l’Institut de recherche sur le marché du travail (IAB).

Sans ouvriers qualifiés, le gouvernement sera incapable de mener à terme son programme de rénovation des bâtiments pour tenir ses engagements en matière de réduction des émissions de CO2. Rien que dans le secteur clef des sanitaires, 60 000 installateurs font défaut pour monter les millions de pompes à chaleurs que le gouvernement subventionne à coups de milliards d’euros. “La transition énergétique est créatrice d’emplois. Mais il manque 400 000 personnes dans les secteurs de l’énergie et du bâtiment”, relève Enzo Weber.

La loi sur l’immigration assouplie

“Parmi tous les leviers utilisés par le gouvernement, c’est le recrutement d’immigrés qui sera le plus important”, poursuit-il. Pour cela, le chancelier Olaf Scholz a réformé une fois de plus cette année la loi sur l’immigration en assouplissant les critères d’entrée sur le territoire. Plus de “préférence nationale” à l’embauche ou de permis de séjour avec un contrat de travail, plus besoin de parler la langue ou de présenter un contrat de travail avant de s’installer en Allemagne… Un système à points, sur le modèle canadien, permet même d’accélérer les procédures.

Selon le ministre social-démocrate du Travail, Hubertus Heil, l’Allemagne s’est dotée de la politique d’immigration “la plus moderne d’Europe”. “Mais il faudra porter les efforts sur l’intégration. Beaucoup d’immigrés qualifiés repartent au bout de quelques années par manque de perspectives professionnelles et pour des questions administratives”, commente Enzo Weber. La bureaucratie allemande est considérée comme l’un des principaux freins pour les candidats. “Nous avons 30 permis de séjour différents !” relève l’expert de l’IAB.

Tournée de recrutement au Brésil

L’Allemagne n’est pas la seule en Europe à être confrontée à une pénurie de main-d’œuvre. Une course contre la montre s’est engagée dans les “pays tiers” (hors UE) avec ses voisins britanniques ou français pour recruter les “meilleurs cerveaux” de la planète. Hubertus Heil et la cheffe de la diplomatie allemande, l’écologiste Annalena Baerbock, se sont rendus ensemble au Brésil avant l’été pour lancer une campagne médiatisée de recrutement d’aides-soignants pour les hôpitaux allemands.

“C’est une illusion de penser que tout le monde veut venir en Allemagne”, a concédé Hubertus Heil. “Notre jungle de réglementations est plutôt dissuasive. Pourquoi un aide-soignant brésilien devrait-il attendre la réponde des autorités allemandes quand les démarches sont plus simples au Portugal ou aux Etats-Unis ?” a-t-il ajouté.

Ce besoin d’immigration massive, même si celle-ci est acceptée par une grande partie de la population, bute néanmoins sur les arguments populistes de l’extrême droite. L’AfD (Alternative für Deutschland), un parti favorable au “Dexit”, perturbe le recrutement des entreprises en Inde, au Mexique ou en Afrique. En Saxe, surnommée la “Silicon Saxony” pour ses usines high-tech, 1 travailleur sur 3 partira à la retraite dans les sept prochaines années. L’AfD y atteint 35 % des intentions de vote à un an des élections régionales.

“La dernière chose dont nous avons besoin, c’est de la xénophobie”, s’est inquiété Siegfried Russwurm, le président de la Fédération des industriels allemands, lors d’un forum consacré aux investissements à l’est de l’Allemagne, dans l’ancienne RDA. Olaf Scholz a partagé ses inquiétudes : “Les travailleurs étrangers doivent être les bienvenus en Allemagne”.

L’Express