Allemagne : “L’armée est fauchée, elle manque de tout”, la Bundeswehr serait incapable de faire face à une attaque

Avant même de présenter ce mardi 14 mars son rapport annuel sur l’état des forces armées allemandes, la contrôleuse parlementaire de la Bundeswehr a voulu anticiper le choc en faisant quelques déclarations à la presse. “L’armée manque de tout”, a répété Eva Högl dans les médias. “Les militaires luttent tous les jours contre la pénurie”, déplore celle que l’on surnomme “l’avocate des soldats”.

Personne ne conteste son constat, inquiétant : l’Allemagne est actuellement incapable de se défendre face à une attaque. Le nouveau ministre de la Défense, Boris Pistorius, s’en inquiète d’autant plus que sa prédécesseuse, Christine Lambrecht, n’avait pas jugé bon de commander les matériels livrés à l’Ukraine pour les remplacer dans les casernes. Résultat : l’Allemagne est encore plus vulnérable qu’avant la guerre ! Les réserves de munitions permettraient de tenir deux jours. Les équipements sont tellement vétustes que les conducteurs de char, qui utilisent des radios des années 1980, doivent communiquer entre eux en sortant de leur tourelle. C’est une armée “fauchée”, selon l’expression de ses propres généraux.

Boris Pistorius est donc l’homme qui doit sauver cette Bundeswehr en lambeaux pour en faire une armée de combat. Il était le dernier social-démocrate compétent que le chancelier Scholz ait réussi à trouver au Parti social-démocrate (SPD) pour prendre ce poste à haut risque, surnommé le “siège éjectable” dans le jargon politique berlinois. Armin Papperger, le patron de l’industriel Rheinmetall (fabriquant du char Leopard), n’a pas manqué de rappeler que Pistorius était le onzième interlocuteur de l’entreprise au ministère de la Défense depuis le début de sa carrière !

Russian connexion

Personne n’attendait à Berlin ce ministre régional de l’Intérieur de Basse-Saxe, ancien maire d’Osnabrück (sa ville natale), sans expérience fédérale, mais qui compte parmi les politiciens les plus expérimentés du pays en matière de sécurité. D’autant que ce russophone avait fait partie de cette frange du SPD qui avait ignoré la menace Poutine. Il avait notamment remis en question l’efficacité des sanctions prises par l’Occident contre la Russie après l’occupation de la Crimée. “Encore un membre de la ‘russian connexion’ qui prend sa place au cabinet fédéral”, s’était emporté le député conservateur Tilman Kuban lors de sa nomination. Depuis, Pistorius a clairement pris ses distances avec ses positions antérieures.

“Jusqu’à présent, il a réalisé un sans-faute”, constate Christian Mölling, expert des questions de Défense à l’Institut allemand de politique étrangère. Boris Pistorius est même en tête des sondages de popularité, loin devant le chancelier et le ministre écologiste de l’Economie, Robert Habeck, l’ancienne coqueluche des sondages.

“Nous avons besoin d’avions qui volent”

L’Allemagne a-t-elle trouvé le bon ministre pour mettre en œuvre mettre la “Zeitenwende” (changement d’époque) décrétée par Olaf Scholz il y a un an ? “Nous avons besoin d’avions qui volent, de bateaux qui puissent prendre la mer et de soldats équipés pour leurs missions”, avait déclaré le chancelier, trois jours après l’attaque russe, en annonçant un fonds spécial de 100 milliards pour moderniser la Bundeswehr (armée allemande). L’objectif de Scholz est de doter l’Allemagne de “la plus grande armée conventionnelle de l’Otan en Europe”.

Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, mi-février, Boris Pistorius a annoncé une réforme structurelle de son ministère, dont une partie est encore à Bonn, l’ancienne capitale. “Oui, 3000 personnes, ça fait beaucoup au ministère”, a-t-il lâché sans donner plus de détails sur ses projets de réforme. Il a toutefois démontré qu’il était encore plus déterminé que le chancelier à aider l’Ukraine. Alors que Scholz continue de se cacher derrière Washington pour prendre des décisions, Boris Pistorius semble prêt à assumer ce rôle de leadership en Europe que Joe Biden attend de l’Allemagne.

En réclamant à ses alliés européens de livrer plus rapidement les chars de combat Leopard promis à l’Ukraine, l’Allemagne ne donne plus l’impression, avec lui, d’être un frein, mais plutôt le fer de lance de l’aide militaire occidentale à Kiev. Si Scholz estime que l’Ukraine “ne doit pas perdre” la guerre, Pistorius préfère la formule “L’Ukraine doit gagner”. “Le choix des mots n’est pas anodin”, estime Christian Mölling.

Une F1 sans moteur

La tâche de ce social-démocrate de 63 ans, qui rêvait dans sa jeunesse de devenir diplomate, est immense, comme le confirme le rapport publié ce mardi à Berlin. Pour faire de la Bundeswehr la plus puissante armée de l’Union européenne, Boris Pistorius ne pourra pas se contenter des 100 milliards d’euros du fonds spécial créé par Olaf Scholz en juin dernier. Il réclame au moins 10 milliards de plus par an pour acheter des chars, des obusiers mais aussi des systèmes de défense aérienne, point faible de l’armée allemande. “Pour l’instant, le ‘changement d’époque’ de Scholz, c’est une F1 qui n’a pas de moteur”, constate Christian Mölling.

Une mission d’autant plus difficile que le ministre libéral des Finances au gouvernement, Christian Lindner, tient absolument au retour du sacro-saint “frein à la dette” inscrit dans la Constitution. Dans son propre camp politique, qui continue de se référer à la ‘politique de détente’ de Willy-Brandt, il sent déjà des vents contraires. La coprésidente du Parti social-démocrate, Saskia Esken, préférerait que les sommes gigantesques dédiées aux armements soient dépensées pour la sécurité civile ou les bâtiments scolaires.

Pour l’instant, Pistorius profite encore d’une période de grâce. “Il n’a eu pour l’instant que des belles paroles, mais tout le monde le laisse tranquille. Ce n’est pas le moment de lui mettre des bâtons dans les roues”, constate Christian Mölling. “Je lui laisse encore un mois”, prévient Anton Hofreiter, le spécialiste des questions de sécurité et de défense au groupe parlementaire des écologistes. “Mais après, il faudra qu’il prenne des décisions”, dit-il avant d’ajouter : “Dans son ministère, on n’a pas encore pris conscience qu’une guerre fait rage au milieu de l’Europe”.

L’Express