Angleterre : “Une personne sur six est née à l’étranger, à Londres, c’est même le cas pour 40 % de la population”, l’immigration a changé le visage du pays

Si le Brexit a ralenti les arrivées d’Europe de l’Est, l’immigration en provenance d’Asie et du Moyen-Orient reste très dynamique. L’an dernier, 10 millions de personnes vivant en Angleterre et au Pays de Galles étaient nées à l’étranger.

On savait la société anglaise plus multiculturelle qu’il y a 20 ans. Le dernier recensement décennal, réalisé en 2021, vient donner une idée de l’ampleur de ces mutations. L’an dernier, 10 millions de personnes vivant en Angleterre et au Pays de Galles étaient nées à l’étranger, représentant près d’un sixième de la population (16 %).

C’est un changement considérable par rapport au dernier recensement réalisé dix ans plus tôt. Les immigrés étaient seulement 7,5 millions en 2011, soit 13 % de la population, un chiffre déjà en nette progression par rapport à 2001, où 4,6 millions de personnes étaient nées hors du Royaume-Uni (9 %). Sans surprise, la région la plus cosmopolite est celle de Londres : 40 % de la population est née à l’étranger, contre 27 % il y a 20 ans.

Ces données diffusées vendredi par l’ONS (Office national des statistiques) n’ont pas encore été publiées pour l’Ecosse et l’Irlande du Nord, mais elles donnent une première photographie des mutations démographiques traversées par le Royaume-Uni au moment du Brexit.

C’est le chiffre le plus fiable et le plus complet qu’on puisse avoir pour mesurer l’immigration, estime Madeleine Sumption, directrice de l’Observatoire des migrations à l’Université d’Oxford. La population originaire de l’Union européenne, notamment, est beaucoup moins importante que ce que d’autres estimations laissaient entendre. »

Population européenne surestimée

Au lendemain du Brexit, l’administration britannique avait publié le nombre d’Européens ayant demandé le « settled status » , ce statut de résident qui leur assurait la continuité de leurs droits après la sortie de l’UE.

A près de 6 millions de demandes, ce chiffre surestimait largement la population européenne encore présente en Grande-Bretagne. « Beaucoup de demandeurs avaient déjà quitté le pays au moment de faire leur demande », explique Madeleine Sumption. Ces données permettent également de prendre en compte la population née à l’étranger mais qui a adopté la nationalité britannique.

Finalement, le nombre d’Européens vivant de l’autre côté de la Manche s’élève à 3,6 millions. Un chiffre en hausse de 44 % en 10 ans, devenu un argument des « Brexiters » pour défendre la fin de la libre circulation. La population hors-UE a elle aussi progressé rapidement, passant de 5,1 à 6,4 millions de personnes en dix ans (+25 %).

Changement drastique

Sur vingt ans, la composition de cette immigration a drastiquement changé. En 2001, ce sont les Irlandais et les Indiens qui constituaient une grande partie des étrangers, juste devant les Pakistanais et les Allemands. Vingt ans plus tard, les personnes d’origine indienne sont toujours les plus nombreuses (plus de 900.000 résidents en Angleterre et au Pays de Galles), mais elles sont désormais talonnées par les Polonais (743.000) et les Roumains (539.000).

Deux vagues successives ont eu lieu avec le premier élargissement de l’UE à l’Est en 2004 et le second en 2007. Elles ont été suivies par des arrivées d’Europe du Sud, où les jeunes étaient frappés par des taux de chômage élevés après la crise financière. C’est ainsi que les Italiens font désormais partie des dix nations les plus représentées, devant les Allemands. Rare cohorte en recul, la population originaire d’Irlande a diminué, comme celle venue d’Australie ou de Nouvelle-Zélande.

Forte immigration en provenance d’Asie

Le recensement ayant lieu tous les dix ans, l’étude peine à capter tous les effets du Brexit, dont le référendum a eu lieu au milieu de la décennie. Mais elle révèle quelques tendances. Les arrivées en provenance d’Europe de l’Est étaient majoritaires en 2011, puis ont marqué le pas à partir de 2013. Pour la Roumanie et la Bulgarie, qui ont rejoint le marché commun plus tard, le pic est intervenu en 2015.

En revanche, l’immigration en provenance d’Asie et du Moyen-Orient n’a cessé d’augmenter, si bien qu’elle représente plus de 40 % des nouvelles arrivées en 2021. Une année pourtant marquée par les confinements et les restrictions sur les déplacements internationaux.

« Même pendant le Covid, les travailleurs et les étudiants sont arrivés en nombre », observe Madeleine Sumption. Les arrivées ont été particulièrement importantes chez les étudiants venus de Chine et d’Inde, qui ont supplanté les Européens dans les inscriptions à l’université depuis que, avec le Brexit, les frais de scolarité ont été alignés. Le système de santé, ayant bénéficié d’un visa plus souple que les autres secteurs , a fait venir de nombreux travailleurs d’Inde, du Pakistan ou du Nigeria. Ainsi, les arrivées en provenance d’Asie et du Moyen-Orient sont désormais plus nombreuses que celles en provenance d’Europe avant le Brexit. De quoi fragiliser la promesse des Brexiters de « reprendre le contrôle » des frontières.

Les Français d’Angleterre, moins nombreux qu’on ne le croit

Londres, sixième ville de France ? Cette affirmation a été lancée par Nicolas Sarkozy en 2008 lors de sa visite d’Etat au Royaume-Uni, puis entretenue par Boris Johnson lorsqu’il était maire de Londres. Elle était particulièrement populaire à l’époque où David Cameron voulait dérouler le « tapis rouge » pour les talentueux entrepreneurs français croulant sous le poids des taxes. Le recensement britannique montre pourtant que la réalité est bien en dessous des fantasmes.

L’ONS, s’il ne donne pas le chiffre de la population française à Londres, publie celui des personnes vivant en Angleterre et au Pays de Galles, nées en France. Elles étaient 155.320 en 2021. Un chiffre certes en hausse de 19 % par rapport à 2011 et de 74 % par rapport à 2001, mais très loin de la population des grandes villes françaises. Malgré la proximité géographique, les Français sont nettement moins nombreux à vivre en Angleterre que les Polonais, les Roumains, les Irlandais, les Italiens, les Allemands, les Espagnols, les Portugais, et même les Lituaniens.

Les Echos