Après les manifestations : La France proche de sombrer “dans le chaos”
Au lendemain de la neuvième journée de manifestations contre la réforme des retraites, la presse internationale constate l’aggravation de la situation et la violence qui a émaillé la nuit française. Elle est moins unanime sur les moyens de sortir de la crise.
Les images de la mairie de Bordeaux en flammes jeudi 23 mars au soir ont fait le tour du monde. La neuvième journée de manifestations, qui a réuni plus de 1 million de personnes selon la police et 3,5 millions selon la CGT, a été émaillée d’incidents qui se sont multipliés tard dans la nuit. La presse internationale, à l’instar du Washington Post, s’arrête sur “les images impressionnantes des flammes engloutissant l’entrée principale de l’hôtel de ville de Bordeaux, tandis qu’une foule se réjouissait à l’extérieur”.

La situation s’est visiblement “aggravée”, constate la Süddeutsche Zeitung, les opposants à la réforme ayant “bloqué des gares, des routes et même une partie de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Paris”, tandis que “l’ambiance était électrique dans les manifestations à Bordeaux, Nantes et Rennes”, et qu’à Paris la “police a fait usage de gaz lacrymogènes dès l’après-midi”. D’ailleurs, le bilan est lui aussi plus lourd : 440 blessés du côté des forces de l’ordre et 457 arrestations.
C’est la “fureur dans les rues” de France, titre The Times. Et le quotidien britannique de commencer son récit par cette scène à Paris : “Un groupe d’hommes cagoulés bras en l’air bloque un camion de pompiers qui tente d’éteindre un tas d’ordures incendié. Derrière eux, les grenades assourdissantes de la police résonnent sur les murs de l’opéra de Paris, alors que les volutes de fumée se mêlent aux gaz lacrymogènes tirés par les policiers antiémeute, qui cherchent à contrôler la foule.” Sur place, un syndicaliste de la CFDT explique au quotidien conservateur que ce qui se joue là “va bien au-delà d’une manifestation, c’est l’expression d’une colère générale”.
Ce que confirme Die Zeit dans un récit en images, titré “Un pays en colère”. Non seulement la mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, mais “les violences se multiplient”. Le média de Hambourg note que, “dans plusieurs villes, des manifestants se sont attaqués à des bâtiments publics”. C’est même d’“émeutes” qu’il s’agit, selon Politico, qui titre : “After Macron, le déluge” (en français dans le texte). Pour le média en ligne européen, cette nuit, dans “de grandes villes comme Paris et Lyon, des manifestants vêtus de noir ont allumé des feux de joie et lancé des projectiles sur la police antiémeute”.
Et demain, un duel catastrophique ? Ces violences “viennent couronner des semaines de manifestations massives” contre la réforme qui portera l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Mais la suite des événements pourrait être “encore plus grave”. Car malgré ou à cause de l’exercice du pouvoir “comme un roi” d’Emmanuel Macron, “le chaos qui engloutit le pays” fait peser de lourdes menaces sur l’avenir “pour tous ceux qui espèrent voir la France rester fermement ancrée dans le camp libéral proeuropéen et pro-Otan”, continue le site. Le Temps voit lui aussi au-delà des “poubelles qui brûlent”, car, “en termes de crises, la France en a vu d’autres”.
Selon Paul Ackermann, correspondant à Paris du quotidien de Genève, “le vrai bord du gouffre français”, c’est 2027. “La dramatisation à l’extrême du débat par ceux qui surfent sur la violence” ne peut que mener “à un rabougrissement du camp de la raison” qui aboutirait “à un duel présidentiel catastrophique pour la France entre Jean-Luc Mélenchon, “La nouvelle devise de la France est-elle en train de devenir ‘opprimé, inégalité, surdité’ ?” se demande en écho le quotidien flamand De Morgen.
Ces “scènes copiées-collées du triste hiver 2018-2019” lors de la crise des “gilets jaunes” risquent de conduire le pouvoir à “une possible dérive autoritaire”. Le président, “incapable de donner du sens à son second mandat, a besoin d’urgence d’un retour à l’ordre”. Alors que la solution serait de “mettre en pause la réforme des retraites”, comme l’a demandé le patron de la CFDT, Laurent Berger, pour ce président “résolu à avancer à marche forcée, cela signifierait une capitulation”.
Richard Werly, dans Blick, met également en garde contre la tentation d’une “spirale autoritaire”. Pour le correspondant en France du média en ligne suisse, “le pari qu’a pris Emmanuel Macron”, c’est que la France est sujette aux accès de violence par “goût de la révolution” et que “cette bataille sociale va finir par s’étioler”. Cependant, ce n connaisseur de la France avoue :
Je n’y crois pas, parce que j’ai vu, la nuit passée, le pire devenir réalité. Les grands boulevards parisiens jonchés de brasiers d’immondices. Des kiosques à journaux en feu place de l’Opéra. Des bandes de casseurs poursuivis par des policiers après minuit dans les ruelles proches de la gare de Lyon.”
The Daily Telegraph, lui, préfère poser une autre question : “Est-il prudent de visiter Paris en ce moment ?” Faut-il faire comme le roi Charles, contraint d’ajourner sa visite en France ? Le quotidien conservateur britannique temporise et conseille à ses lecteurs qui voudraient traverser la Manche de se tenir au courant de l’évolution de la situation.