Bayonne (64) : « Mon mari a eu face à lui des bêtes féroces », le calvaire du chauffeur de bus détaillé aux assises

Deux jeunes hommes sont jugés pour avoir tabassé à mort ce père de trois enfants. Ils plaident la «simple bagarre» qui a mal tourné. La famille de la victime dénonce un acharnement sans limite.

Ses yeux noisette embués de larmes fixent le visage de son défunt époux imprimé sur papier glacé. Trois ans après la mort de Philippe Monguillot, Véronique s’apprête à pénétrer «un monde qu’[elle] ne connaît pas», celui d’une cour d’assises. Derrière l’épaisse façade cendrée du palais de justice de Pau, Maxime G. et Wyssem M. sont jugés à partir de ce vendredi pour l’agression mortelle de ce chauffeur de bus bayonnais de 59 ans. Un troisième accusé, Mohamed A., comparaît quant à lui pour leur avoir fourni une planque leur permettant d’échapper à la police pendant vingt-quatre heures.

Je ne sais pas ce qui m’attend, mais je dois le faire, j’ai fait la promesse à Philippe d’aller jusqu’au bout. Tout ce que je veux, c’est une peine exemplaire», espère cette mère de trois enfants, les traits tirés par le deuil. Étouffant quelques sanglots, elle ajoute auprès du Figaro : «Je n’ai qu’une seule question à poser aux accusés : pourquoi n’avoir laissé aucune chance à mon mari ?»

Le 5 juillet 2020, Philippe Monguillot est aux commandes de son Trambus dans les rues de Bayonne quand il croise le chemin deWyssem M., cheveux teints en rouge, t-shirt noir, et de Maxime G., longue chevelure resserrée dans une queue-de-cheval et polo blanc. À 14h06, le chauffeur les fait descendre pour qu’ils achètent des tickets. Selon une témoin, l’échange est tendu. Agacés, les jeunes de 22 et 23 ans auraient évoqué leur intention de revenir «avec une barre de fer» avant de quitter les lieux. Visiblement «perturbé» par cet incident, Philippe Monguillot ne fait toutefois pas état de «propos violents ou menaçants» auprès de l’un de ses collègues qu’il croise peu de temps après. Mais à 19h07, après une après-midi noyée dans le Jack Daniel’s, Wyssem M. et Maxime G. sont à court de whisky. Ils reprennent le Trambus et tombent sur le même chauffeur.

Comme si «on shootait dans un ballon de foot»

Le conducteur apostrophe le duo qui ne porte pas de masque – en plein Covid – et les esprits s’échauffent. Philippe Monguillot met le premier coup de tête et déclenche un déferlement de haine qui s’étend sur une minute et cinquante secondes. Les coups pleuvent. La bagarre se poursuit à l’extérieur du bus et le chauffeur tombe à terre, assailli de coups de poing et de pied, comme si «on shootait dans un ballon de foot», dépeint un témoin. Philippe se relève, tente de se protéger dans sa cabine quand Wyssem M. «administre un crochet ample dans le visage de la victime», selon le rapport d’enquête que Le Figaro a pu consulter. Il chute violemment, son crâne heurte l’asphalte dans un «gros choc indescriptible», d’après la description faite par des passants, «comme si quelque chose venait de se fracasser».

Philippe Monguillot mourra cinq jours plus tard des suites de ses blessures. La perte de ce «mari et père attentionné» qui devait partir à la retraite un an plus tard, plonge Bayonne dans l’effroi et la colère. D’autant qu’il s’était plaint auprès de ses proches des incivilités et de l’agressivité auxquelles les chauffeurs du réseau étaient régulièrement confrontés.

Philippe Monguillot mourra cinq jours plus tard des suites de ses blessures. La perte de ce «mari et père attentionné» qui devait partir à la retraite un an plus tard, plonge Bayonne dans l’effroi et la colère. D’autant qu’il s’était plaint auprès de ses proches des incivilités et de l’agressivité auxquelles les chauffeurs du réseau étaient régulièrement confrontés.

«Mon mari a eu face à lui des bêtes féroces», tance Véronique Monguillot. Wyssem M. et Maxime G. sont retrouvés 24 heures plus tard, hébergés chez un certain Mohamed A. En garde à vue, le premier jure «ne pas être un mec violent», mais aurait «pris rouge (sic)» face au comportement de la victime. Il reconnaît avoir porté l’ultime coup qui a provoqué sa chute : «Je me suis dit : termine-le. Je ne cherche pas la bagarre mais je savais déjà, lors du trajet à l’aller, qu’il était sur les nerfs vu comment il me parlait (…). Je ne souhaitais pas ça, à aucun moment (…). S’il m’avait rien fait, je serais descendu, il se serait rien passé». Le second admet quant à lui avoir lancé deux coups mais prétend n’être intervenu que pour mettre fin à la rixe, déclenchée selon lui par les «propos racistes» de Philippe Monguillot.

Personnalité antisociale et borderline

Au choc de la perte d’un être cher s’ajoute la violence de la réalité judiciaire pour la famille. L’enquête, d’abord ouverte pour «homicide volontaire», est requalifiée en septembre 2022 en «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner». Le coup fatal asséné par Wyssem M. «a provoqué la chute. Celle-ci a ultérieurement conduit au décès», insiste auprès du Figaro l’un des avocats de la défense, Me Thierry Sagardhoyto. Ce ne serait pas le geste de son client qui serait à l’origine de la mort, mais uniquement la chute. Mais pour l’avocat de la famille Monguillot, Me Alexandre Novion, «certains éléments caractérisant l’homicide volontaire sont éloquents».

Il en veut pour preuve les menaces exprimées sans retenue par les accusés à l’encontre de la victime – «je vais te finir» – et les coups ciblés principalement sur la tête, «qui témoignent d’un acharnement pouvant entraîner selon toute vraisemblance des lésions irréversibles». Et d’ajouter : «Le médecin légiste est formel : si Philippe n’avait pas été tabassé aussi fort, le dernier coup ne l’aurait pas fait tomber et il ne serait pas mort. Le processus létal était donc déjà engagé.»

Durant les cinq jours d’audience, la cour d’assises va tenter de comprendre ce qui a poussé ces deux jeunes à un tel déferlement de violences. Maxime G. a eu une enfance «heureuse et paisible» au sein d’une famille de restaurateurs de la région nîmoise. Mais à l’adolescence, ses mauvaises fréquentations l’ont écarté du droit chemin. Au moment de l’agression, il bénéficiait d’une liberté conditionnelle après avoir été condamné à trois reprises pour des vols aggravés et avec violences. C’est donc en état de récidive légale qu’il s’installera dans le box des accusés, tout comme son comparse Wyssem M., ce qui les fait encourir la réclusion criminelle à perpétuité. Ce jeune en échec scolaire a lentement dérivé vers la délinquance avant d’être condamné pour des trafics de stupéfiants et des vols. L’expert psychologue a relevé chez lui «une personnalité antisociale» et «borderline» qui semble liée à «un vécu de persécution» et aux violences subies durant son adolescence.

«Ce n’est plus une vie»

Si les deux accusés, en détention provisoire depuis 2020, ont exprimé des regrets durant leurs interrogatoires, l’expert psychologue a noté chez Wyssem M. une «banalisation de la violence de ses gestes», ce dernier les résumant à une «simple bagarre» qui a mal tourné. À cette seule évocation, Véronique Monguillot ne peut retenir ses larmes, de rage et de tristesse. «Depuis que Philippe n’est plus là, ce n’est plus une vie… C’est de la survie.» Elle se rattache à la force de caractère de ses trois filles, âgées de 21, 24 et 27 ans. Les deux plus jeunes ont brillamment poursuivi leurs études tandis que l’aînée a ouvert son cabinet d’esthétique. «Après cette épreuve, elles auraient pu mal tourner, mais elles n’ont rien lâché», sourit fièrement leur mère.

Elle, en revanche, ne parvient pas à se relever depuis que ses vingt-huit années de couple ont volé en éclats. La mère de famille a été déclarée inapte au travail. Prise au piège d’un deuil inachevé, la réalité la frappe «en pleine face». Sa seule échappatoire est alors une pièce de sa maison dans laquelle elle a accroché des photos de Philippe. «Je lui parle, lui raconte ma survie. Je pleure beaucoup… Ça m’apaise mais ça ne me guérira jamais», souffle-t-elle. «J’aimerais claquer des doigts et qu’il ouvre la porte.»

Le Figaro