Casteljaloux (47) : Vitrail pétainiste de l’église, omerta ou témoin nécessaire de l’Histoire ?
Depuis la restauration de l’église en 2005, la présence de vitraux sanctifiant Pétain et Darlan ne faisait plus vraiment couler d’encre…

Les vitraux ont été conçus par les ateliers toulousains de Saint-Blancat.
« Cela fait quatre-vingts ans tout juste que les quatre vitraux sont en place et l’ancre marine, allusion à l’amiral Darlan, a été restaurée. » Il faut lever la tête bien haut au-dessus de l’orgue de l’église Notre-Dame de Casteljaloux pour les voir, avec la mention « Don du Maréchal Pétain », mais ils chagrinent le local Eric Grandroques.
Du moins depuis qu’il les a découverts lors d’un documentaire sur les voyages de Pétain rediffusé sur La Chaîne parlementaire en février 2022. Telle ne fut pas sa surprise lorsqu’une partie du reportage s’attarde sur l’église de Casteljaloux et ses vitraux louant Saint-Philippe (pour Pétain) et Saint-François (pour Darlan, le « troisième homme de Vichy », né à Nérac…) . « Cela m’a heurté de voir la francisque, cette hache emblème du gouvernement du Vichy. C’est la première fois que j’en vois une autrement qu’en photo, c’est quand même violent », s’insurge celui qui habite la cité depuis 45 ans.

La verrière en détails “Les Cahiers du Bazadais”
Propagande
Lui-même était passé dessous sans s’attarder. Chroniqueur à la radio locale CFM, il a consacré, ses dernières semaines, quatre débuts d’émissions à ces vitraux. « L’église est un lieu public, propriété de la commune et la municipalité n’a rien fait. C’est étonnant, d’autant que de 1945 à 1952 le maire, Pierre Dufiet, appartenait au parti des fusillés », rappelle le retraité.
Journaliste et producteur radio, Philippe Collin a réuni la crème des historiens afin d proposer une biographie de Philippe Pétain sous la forme de podcasts et d’un livre. Jeudi 17 mars, à 19 heures, il sera à la librairie La Colline aux livres à Bergerac
Car sur cette douloureuse marque du passage du Pétain règne une certaine omerta. Tous les quatre sont les stigmates d’une visite de propagande du Maréchal en août 1941, dans le Lot-et-Garonne, de Mézin à Bon-Encontre. « Mais pourquoi a-t-il été offert à la cité des Cadets de Gascogne ? Force est de constater que les archives gardent à ce sujet le plus grand secret », observe l’historien Jean-Pierre Koscielniak dans « Pétain et Darlan sanctifiés : le vitrail de l’église Notre-Dame à Casteljaloux », dans « Les Cahiers du Bazadais » en septembre 2012. C’est dans cette même revue que le professeur d’histoire indique que les vitraux, conçus par les ateliers toulousains de Saint-Blancat, furent posés en 1943 à l’occasion de lourds travaux menés huit mois durant sur les chapelles et la nef de l’église.
J’explique tout cela aux visiteurs : ils ne s’en offusquent pas vraiment”
Marie-Claire Bouguet, guide des visites des Amis de Casteljaloux, ne manque pas d’en faire état lors de ses visites. « L’église a eu plusieurs phases de construction. Concernant la partie où se situe le vitrail de Saint-Philippe et François, l’abbé Cluzel, ami de Darlan, a sollicité Pétain pour avoir des finances de l’État. Chose faite, en remerciement, la verrière a été posée avec les deux protagonistes. J’explique tout cela aux visiteurs : ils ne s’en offusquent pas vraiment », livre la conteuse de Pays.
Le contextualiser et le déchiffrer pour éclairer en quoi le culte de la personnalité est un élément constitutif des régimes autoritaires”
Pour l’historien Jean-Pierre Koscielniak, des voix contestataires se sont fait entendre… mais au moment de la restauration de Notre-Dame en 2005. « À ma connaissance, ce vitrail est un témoignage unique en France de la période de Vichy. Il ne faut pas tomber dans le travers de la cancel culture, car si nous faisons cela, nous détruisons notre propre patrimoine. Il faut le contextualiser et le déchiffrer pour éclairer en quoi le culte de la personnalité est un élément constitutif des régimes autoritaires. Détruire ce qui nous dérange, c’est oublier… »