“Ce n’est pas la vie que je veux”: Pourquoi le CDI n’est plus le Graal de la génération Z

L’arrivée sur le marché du travail des jeunes de la génération Z, nés entre 1997 et 2010, bouleverse le monde de l’entreprise. Sentiment d’étouffement, salaires trop faibles, rythme trop important, difficultés à se projeter… Des jeunes d’une vingtaine d’années confient pourquoi ils ne placent plus le CDI sur un piédestal… au grand dam des employeurs.

Le fameux contrat à durée indéterminée (CDI), Ketsia Bongo ne veut plus en entendre parler. Désormais, cette experte comptable ne jure que par les missions d’intérim, “plus flexibles” et “plus diverses”.

Depuis qu’elle a claqué la porte de son premier contrat il y a deux ans, la jeune femme de 24 ans a déjà refusé deux propositions d’embauche en région parisienne, par crainte de “se sentir enfermée” dans un poste ou une entreprise. Et pour cause, sa première expérience sur le marché du travail, dans un centre de contrôle technique à Buissy-Saint-George (Val-de-Marne) lui a laissé un goût amer.

J’étais pleine de bonne volonté, c’était mon premier vrai travail. Mais la façon de faire m’a dégoûtée”, raconte Ketsia Bongo, qui se souvient d’un management très vertical et paternaliste, à l’ancienne.

“On était fliqués et il n’y avait pas de place à la discussion, c’était comme ça et pas autrement”, se rémémore-t-elle. “Moi, ce n’est pas comme ça que j’envisage de travailler. Je me suis promis de ne plus jamais m’enfermer dans ce mode de fonctionnement.”

“Les gens sont devenus des glandeurs”

“Les jeunes ont-ils vraiment encore envie de bosser?”, s’interroge Olivia Kharoubi, depuis sa boutique de prêt-à-porter féminin du IIe arrondissement de Paris.

Ces dernières années, embaucher des jeunes vendeurs est devenu un vrai casse-tête pour la Parisienne de 36 ans. Lorsque le rythme de travail, le salaire ou les missions ne leur conviennent pas, les candidats n’hésitent plus à dire non au CDI. Et ça, elle a du mal à le concevoir, elle qui se souvient encore du jour où adolescente, elle a présenté avec fierté son premier contrat à ses parents.

“Sortez vous les doigts!”, demande-t-elle ainsi aux jeunes entrant sur le marché du travail, dans une vidéo publiée en juillet dernier sur Tiktok. “J’ai l’impression que les gens sont devenus des glandeurs. Ça a le don de m’agacer”, poursuit Olivia Kharoubi, qui propose “un job de vendeuse plutôt bien payé” selon elle, à 1800 euros net.

Aujourd’hui, ils ne veulent plus se faire chier. Ça ne les intéresse plus. (…) Ils ne veulent même plus de CDI!”, s’étonne la trentenaire.

Des conceptions qui s’entrechoquent

Dans la santé, les transports, la logistique ou les services à la personne… Ces derniers mois, les entreprises de certains secteurs d’activité s’affollent et “se questionnent”. “Elles ne comprennent pas pourquoi les jeunes claquent la porte ou boudent le sacro-saint CDI”, résume Élodie Gentina, dans son livre Génération Z: des Z consommateurs aux Z collaborateurs, sorti en 2018.

Les entreprises constatent qu’il est de plus en plus difficile de recruter ou de fidéliser des profils de jeunes dits de la génération Z – nés entre 1997 et 2010, explique l’enseignante chercheuse à l’école de management l’IESEG et conférencière en entreprise. Mais en réalité, ce n’est pas que les jeunes ne veulent pas travailler, analyse-t-elle: ils veulent juste travailler différemment.

“Le CDI n’a plus la cote comme avant, c’est vrai”, reconnaît-elle. “Il y a encore quelques années, c’était quelque chose qui ne se refusait pas. Mais les attentes de ceux qui rentrent sur le marché du travail ont changé, et ce n’est plus vraiment ce qu’ils cherchent.”

“Avant on entrait dans une entreprise on y restait 10, 15 ans, parfois toute une vie”, rappelle-t-elle. “On se sentait vraiment redevables vis-à-vis de l’entreprise donc on acceptait les contraintes sans broncher.”

La recherche de “sens”

Le cadre du contrat à durée indéterminée, qui pouvait autrefois être apprécié des salariés, ne séduit plus. La jeune génération lui préfère les contrats courts, les missions d’intérim voire l’entrepreneuriat. Une étude menée par Élodie Gentina auprès de 2300 jeunes étudiants montre ainsi que “44% ne savent pas s’ils souhaitent exercer le même métier toute leur vie et seuls 26% d’entre eux se projettent dans la même profession”.

“Cette génération est intéressante: hyperconnectée, elle est totalement dans l’immédiateté”, décrypte-t-elle. “Elle a besoin d’être très constamment stimulée et c’est hyper compliqué pour elle de se projeter sur du long-terme, ne serait-ce qu’au-delà d’un an.”

Elle a une telle soif de liberté qu’elle va se tourner davantage vers des missions ou des jobs à court terme pour être sûr de ne pas se lasser ou s’ennuyer. Ils fonctionnent davantage aux projets s’ils leur trouvent un sens.”

“Aujourd’hui ils vont plutôt tenter de répondre à un équilibre de vie”, après avoir été témoins des carrières longues et de la dévotion de leurs parents à leur travail. “Et ils sont nombreux à avoir été frappés par le décalage entre leurs heures supplémentaires, leurs sacrifices et le manque de reconnaissance de leurs employeurs”, résume-t-elle. “Ça ne les fait plus rêver.”

“Le 9h-19h, ce n’est pas la vie que je voulais”

C’est précisément la raison pour laquelle en janvier dernier, après seulement un an de CDI comme juriste dans une start-up parisienne, Kenza Bennani a posé sa démission pour se lancer tête baissée dans l’entrepreneuriat et le conseil aux entreprises.

“Après mes études de droit, j’attendais mon CDI comme un cadeau à Noël et pourtant ça a été la désillusion. J’avais un rythme harassant pour un salaire qui ne suivait pas du tout… Le 9h-19h tous les jours, au fil des mois, j’ai réalisé que ce n’était pas la vie que je voulais”, confie à BFMTV.com la jeune femme de 26 ans.

J’étais là, je donnais le meilleur de moi-même, je sacrifiais ma vie personnelle alors que je savais qu’ils pouvaient me remplacer à tout moment”, appuie Kenza Bennani.

La jeune femme assure qu’elle ne se reconnaissait pas dans “les missions chronophages” et “productivistes” qu’on lui confiait.

“Les mentalités ont beaucoup changé”, analyse aussi Laurène Lévy, consultante influence dans la publicité et Tiktokeuse spécialisée sur le monde du travail. “On a une ouverture d’esprit nouvelle, on est sensibles à de nouvelles choses, comme le harcèlement ou la question de la santé mentale”, explique la jeune femme de 27 ans.

Des parcours de vie de moins en moins linéaires

Il y a deux ans, tout juste sortie d’école, elle n’a pas hésité à mettre un terme à la période d’essai de son CDI fraîchement signé, contre l’avis de ses proches. À l’époque, ses parents et ses grands-parents ont pourtant essayé de lui faire valoir la préciosité du fameux contrat à durée indéterminé. “Pour eux c’était le but d’une vie, quelque chose d’exceptionnel de décrocher un CDI tout de suite après ses études”.

“La vie ça ne marche pas comme ça, mademoiselle”, lui a également répondu la directrice de la société, lorsqu’elle lui a annoncé vouloir partir en raison de sa mauvaise relation avec sa supérieure hiérarchique. “On ne lâche pas le bateau en cours de route. Moi ça fait 30 ans que je suis là, et même quand ça ne va pas je reste. Question de solidarité.”Play Video

Or ça, ça n’est pas du tout l’état d’esprit de Laurène Lévy. “Je fais mon travail, mais je ne leur dois pas plus que ça”, affirme la jeune femme. “Cette entreprise n’est ni celle de ma famille, ni la mienne. Je suis loyale envers moi-même mais je sais très bien que si demain l’entreprise veut me jeter, elle le fera sans aucun scrupule.”

Avec mes amis, on est conscients qu’avoir un CDI est utile pour changer d’appart ou pour faire un crédit immobilier, mais c’est tout”, poursuit-elle.

“Avec le Covid, les crises à répétition qu’on vit ces derniers temps, les gens se sont rendus compte que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain, donc à quoi bon se donner corps et âme?”, s’interroge aussi Kenza Bennani.

Des limites plus claires

Laurène Lévy, qui a mis du temps avant d’accepter un nouveau CDI après cette première expérience, a fixé des limites claires à son nouvel employeur. “Je ne regarde jamais mes mails et je ne répond à aucun message ou coup de téléphone en dehors de mes horaires de travail. Jamais. Je considère que c’est aussi à nous de ne pas nous laisser envahir”, explique Laurène Lévy.

“Ils sont beaucoup plus regardants, ça c’est clair”, appuie Olivia Kharoubi, la responsable de la boutique de prêt-à-porter parisienne.

Peut-être que ce sont eux qui ont raison au final”, s’interroge la commerçante. “Je me souviens qu’à mon époque on osait à peine demander à prendre une pause déjeuner. Désormais ils n’hésitent plus, et l’heure c’est l’heure.”

Pour l’enseignante-chercheuse Élodie Gentina, le point de vue et les exigences de la génération Z sont l’occasion de “nous réveiller et de nous questionner sur la question de la centralité du travail dans la vie”.

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