Cinéma : “16 ans”, une relecture de Roméo et Juliette qui autopsie le bourbier racial et social de la France d’aujourd’hui

Le réalisateur de « Welcome » adapte librement l’inusable « Roméo et Juliette » dont il transpose l’action de nos jours dans une Hexagone où le communautarisme et le racisme social font des ravages. Ce film incarné par deux jeunes acteurs remarquables s’impose comme la première réussite de l’année du cinéma français.

Ils tombent amoureux au premier regard échangé. Ou peut-être au deuxième. Nora et Léo se rencontrent le jour de rentrée scolaire dans leur classe de seconde et éprouvent immédiatement l’un pour l’autre une attirance irrépressible et une douce complicité. Avec les maladresses de leur âge, ils entament une idylle brûlante, rapidement menacée par la cruauté du monde qui les entoure. Explication : Tarek, le frère de Nora, accusé (à tort) d’un vol, vient de se faire renvoyer de l’hypermarché où il travaillait comme manutentionnaire et dont le directeur n’est autre que… le père de Léo.

Blessé au plus profond par l’injustice dont il est victime, Tarek ne supporte pas de voir sa sœur flirter avec un garçon dont le seul tort est d’être le fils du patron honni. Bientôt, l’affaire s’envenime et suscite des crispations venimeuses dans les familles respectives des deux personnages. Celle de Nora qui vit en HLM dans un quartier déshérité et qui cède peu à peu à la tentation du repli communautaire. Celle de Léo qui habite dans une zone pavillonnaire privilégiée et où on considère que le héros n’a rien à gagner dans une liaison jugée contre-nature. « Il y a peut-être d’autres gens à fréquenter que ceux de la Croix-Blanche », s’entend ainsi dire Léo dans son environnement familial où l’on « pratique » le racisme social sans même s’en apercevoir.

Le repli et la haine

Dans sa carrière entamée en 1994 avec Tombés du ciel, Philippe Lioret a souvent privilégié la fiction sociale et a remporté d’importants succès populaires. En tête de liste : Welcome, son film sur les migrants qui a rassemblé 1,2 million de spectateurs. Le cinéaste, sans démagogie ni effets de manches, creuse son sillon dans 16 ans, un film âpre où il reprend la trame du Roméo et Juliette de Shakespeare pour autopsier certaines blessures contemporaines.

Une centaine de mètres sépare géographiquement les quartiers où résident Nora et Léo, mais une frontière peut-être infranchissable se dresse entre eux. Le renvoi de Tarek a mis le feu aux poudres et, bientôt, un incendie généralisé se propage. Le néochômeur, avec ses copains, fait une descente punitive dans l’hypermarché et y provoque un scandale qui nuit à la bonne réputation de l’établissement. Après l’incident, le père de Léo, cette incarnation de la réussite, perd son poste de patron et sombre dans la dépression. Cet enchaînement délétère n’arrange évidemment pas les affaires sentimentales des deux ados. Nora est menacée d’être « envoyée au bled » si elle continue de « se conduire mal ». Léo, lui, subit les humeurs de son père qui sombre à son tour dans la violence.

Philippe Lioret, avec une rigueur de chaque scène, donne à voir la mécanique folle du repli et de la haine. Et si fidèle à Shakespeare, son lointain modèle, il honore l’amour qui lie ses deux personnages juvéniles, il ne signe en rien une bluette. À l’image du remake de West Side Story, de Steven Spielberg l’an passé – une autre adaptation de l’inusable Roméo et Juliette16 ans, en toute logique, ne s’achèvera pas par un réconfortant happy end, mais par une scène sombre et lapidaire qui témoigne de réalités et fractures qui affligent la France d’aujourd’hui. L’épilogue inévitable d’un film rude qui, hélas, vise juste.