Cinéma : « Green Border », un film polonais qui met en scène l’enfer des migrants, victime d’une déferlante de haine

La cinéaste Agnieszka Holland victime d’une déferlante de haine. Son dernier film, « Green Border », mettant en scène l’enfer des migrants à la frontière polono-biélorusse, est l’objet d’une virulente campagne de dénigrement, y compris par le gouvernement ultraconservateur.

« Poubelle antipolonaise », « collaboratrice », « juive aux racines bolcheviques »… Ce sont quelques-unes des insultes adressées sur X (anciennement Twitter) à la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland. Son dernier long-métrage, Green Border («frontière verte »), ne sortira en Pologne que le 22 septembre, mais il fait déjà l’objet d’une campagne de dénigrement sans précédent depuis le début du mois. Une déferlante qui semble s’être accélérée depuis que l’œuvre a reçu, le 10 septembre, le Prix spécial du jury de la Mostra de Venise, où il a été projeté en avant-première.

Fiction inspirée de faits réels, Green Border raconte des vies bouleversées en Podlachie, une région rurale de Pologne qui jouxte la frontière biélorusse, au cœur d’une crise migratoire depuis deux ans. A l’hiver 2021, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants du Moyen-Orient et d’Afrique ont emprunté cette nouvelle route migratoire sciemment ouverte par Alexandre Loukachenko, le dirigeant biélorusse, leur faisant miroiter la perspective d’un passage rapide vers l’Union européenne. Refoulées de part et d’autre par les autorités biélorusses et polonaises – qui ont érigé un mur d’acier à la frontière en juillet 2022 – une cinquantaine de personnes y auraient perdu la vie.”

« C’est orchestré par le pouvoir »

Ovationné à Venise et dans les festivals où il a déjà été présenté, le film a reçu un accueil bien plus mouvementé dans le pays natal d’Agnieszka Holland, qui vit entre la Pologne, la France (dont elle a acquis la nationalité), et les Etats-Unis. En campagne pour les élections législatives du 15 octobre, les ultraconservateurs de Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, considérant l’aide aux migrants et la critique des refoulements comme faisant le jeu du président Loukachenko, ont lancé les premières attaques. « Sous le IIIe Reich, les Allemands produisaient des films de propagande montrant les Polonais comme des bandits et des meurtriers. Aujourd’hui, ils ont Agnieszka Holland pour ça », a déclaré le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, le 4 septembre, sur X.

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Agniezka Holland, réalisatrice polonaise de “Europa Europa” et “Le Jardin secret”, revient cette année à une thématique liée aux frontières, après un film historique certes classique mais plutôt réussi (“Le Procès de l’herboriste”). En s’attaquant à la question des migrants à la frontière entre Biélorussie et Pologne, elle aborde un sujet hautement inflammable en son pays, ayant des résonances dans de nombreux pays d’Europe. Malheureusement son film se réduit globalement à la présentation des parties, celles-ci donnant leur titre à chacun des chapitres du film : les réfugiés, les gardes frontières, les activistes, et les habitants. Décrivant ainsi de manière systématique les agissements de chacun (marche dans la forêt, reconduite ou extorsion, repérage et aide…), elle donne un aperçu des règles que chacun doit suivre dans ce status-quo glaçant qui continue encore aujourd’hui, et questionne l’implication des citoyens comme de l’Union Européenne.

Mais le choix de réduire ceux-ci à quelques silhouette d’agriculteurs (potentiellement délateurs) en mettant uniquement en avant une psychanalyste, disposant de plus d’une grande maison où loger d’autres personnes biaise forcément quelque peu la démonstration. Le film n’évite pas certaines scènes difficiles, liées au sort des corps retrouvés morts le long des barbelés de la zone d’exclusion, ou aux dangers des tourbières. Mais les plans insistants sur des pieds à la fois sales et mutilés, les facilités scénaristiques liées à la présence d’une afghane parlant anglais, et le moment choisi pour montrer le garde polonais en pleine remise en cause, sans compter les habitants parlant français qui font la pub d’un bouquet de chaînes télé à des migrants africains, semblent autant de maladresses, qui accumulées finissent par faire paraître le film comme relativement manichéen. Ceci d’autant plus que quelques dialogues des plus naïfs sont également au rendez-vous.