Cinéma : « Le procès Goldman », c’est la France de droite contre la France de gauche 

Cédric Kahn n’a pas voulu faire un film hagiographique sur Pierre Goldman, militant d’extrême gauche condamné pour divers braquages, mais acquitté pour le meurtre de deux pharmaciennes lors d’un procès mémorable, en 1975. « Ce qui m’intéresse chez lui, c’est sa parole », explique-t-il au Point. Dans Le Procès Goldman, qui a ouvert la Quinzaine des cinéastes à Cannes, le réalisateur de L’Ennui et de Roberto Succo donne la parole à toute cette France des années 1970 : les avocats, les policiers, les Français de droite, de gauche, les Parisiens, les provinciaux…

Une France coupée en deux, difficilement réconciliable. Les assises d’Amiens deviennent le théâtre d’affrontements entre ces deux France. Un lieu où s’exprime, non pas une, mais plusieurs vérités. Il en résulte un grand, un très grand film de procès qui résonne dans la France d’aujourd’hui. Une fiction aux allures de documentaire où l’on croise au côté de Pierre Goldman, accusé incontrôlable magnifiquement incarné par Arieh Worthalter, plusieurs avocats de renom, dont Georges Kiejman, qui vient de disparaître. Le film doit sortir en salle en septembre prochain. Entretien.

Cédric Kahn réalise un grand film de procès, en chirurgien de la vérité de ses personnages. Son long-métrage a ouvert la Quinzaine des cinéastes de Cannes.

D’où vous est venue l’envie de faire ce film de procès ?

Cédric Kahn : J’arrive au procès par un questionnement scénaristique. C’est la part d’ombre de Pierre Goldman qui m’intéresse. Je ne voulais pas en faire un héros. Mais je lui reconnais des qualités intellectuelles et un charisme de dingue. Son acte de bravoure est d’avoir réussi à être innocenté du meurtre des deux pharmaciennes. D’être sorti de ce traquenard. J’en viens ainsi naturellement au procès, lieu du langage. Les procès sont fascinants car il n’y a pas d’images. Les photos y sont interdites et nous n’avons que des dessins.

Quels sont les films de procès que vous aimez ?

J’adore en regarder comme spectateur. Il y a notamment En cas de malheur, avec Brigitte Bardot, et JFK. Mais j’ai plutôt pensé au procès d’Adolf Eichmann. Je voulais faire un film très documentaire, très immersif. Rentrer dans cette arène est captivant.

Ce procès cristallise les tensions de la France des années 1970, ou même celles d’aujourd’hui…

La sociologie du procès est très binaire. Il y a l’avocat Garraud, pour la partie civile, qui flirte avec l’extrême droite, les policiers… En face, il y a Pierre Goldman l’ultragauchiste, Georges Kiejman, socialiste qui a été plus tard ministre de François Mitterrand. C’est la France de droite contre la France de gauche. Les gens simples, la province contre Paris. Les témoins sont tous accusés de racisme. Aujourd’hui, la société reste très binaire. La situation s’est même radicalisée. Entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, il n’y a plus grand-chose sur le plan politique. Tout a été atomisé. On cherche toujours à opposer le peuple aux élites. Le procès Goldman, c’est cela. Il y a l’élite, l’intelligentsia parisienne de gauche, « bobo », qui défend Pierre Goldman et les témoins traversés par ces faits et dont la parole est remise en cause. Pierre Goldman politise ce procès en disant que parce qu’il est juif, il est le coupable idéal. Mais si on reste aux faits, il n’y a pas d’antisémitisme.

Aujourd’hui, la présomption d’innocence est beaucoup bafouée, notamment par la presse.

Y a-t-il une forme de réconciliation possible entre ces deux France ?

Difficilement. On le voit lors du verdict. Les parties civiles, qui restent convaincues de la culpabilité de Pierre Goldman, sont accablées. Tous les témoins reconnaissent Pierre Goldman. C’est troublant. L’intérêt de cette affaire est qu’elle n’est pas résolue. Elle reste un mystère.

Comment avez-vous travaillé pour préparer ce film ?

Nous n’avons pas réussi à avoir les minutes de procès, qui n’existaient pas à l’époque, mais nous avons récolté tous les articles de presse et les interviews ainsi que le livre de Pierre Goldman [Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, NDLR]. On a essayé d’être au plus proche de ce qui s’est dit. Georges Kiejman était l’avocat des éditeurs. Le procès Goldman constitue un tournant dans sa carrière. C’est son premier procès aux assises et le début de sa notoriété. On a repris sa plaidoirie, raccourcie pour les besoins du cinéma. Je l’ai rencontré pour le scénario. C’était un homme charmeur, très intelligent, accueillant, mais aussi mystérieux. Il contrôlait beaucoup sa parole.

Quels débats souhaitez-vous susciter avec votre film ?

J’aimerais qu’il rende hommage à la justice. Dans un procès, il n’y a pas qu’une mais des vérités. Chacun est dans la survie et défend sa position. Appréhender la vérité est un exercice difficile qui demande temps et rigueur. L’État de droit est compliqué à accepter. Accepter qu’on puisse relâcher des coupables. Georges Kiejman le dit très bien : un État qui n’accepterait plus la présomption d’innocence n’est plus un État de droit. Or, aujourd’hui, la présomption d’innocence est beaucoup bafouée, notamment par la presse. Il y a aussi une avidité du public de savoir et de transparence et de rapidité. Tout cela s’oppose, car la justice et le débat contradictoire prennent du temps.