Croatie : « Sans lui, l’opération aurait pu tourner au désastre », comment le nouveau président tchèque a sauvé 53 soldats français
Petr Pavel, élu président tchèque le 28 janvier, a permis l’évacuation de soldats français en ex-Yougoslavie, fin janvier 1993. Éric Zanolini, à la tête du détachement, se souvient.
«C’est toujours difficile pour moi d’en parler. J’y ai perdu deux hommes…», lâche Éric Zanolini, qui commandait le détachement français sous mandat de l’ONU présent à Karin-Plaza (Croatie) en 1993. Sa voix rieuse devient rauque. Ses soldats, déployés dans la Krajina, une zone majoritairement peuplée de Serbes, devaient s’interposer entre ces derniers et l’armée croate. «Les Serbes, au début de la guerre, ont pris les armes et de facto coupé la Croatie en deux, la liaison Split-Zagreb ne pouvait plus se faire que par la mer». L’armée française va se retrouver sous les tirs croisés des deux belligérants, et ne devra son salut qu’à l’opération d’évacuation commandée par un lieutenant-colonel de l’armée tchécoslovaque, Petr Pavel, tout récemment élu président de Tchéquie, et ses 27 volontaires.

«Notre mission était d’établir sur zone les conditions nécessaires au dialogue», relate Éric Zanolini. Mais «très vite», il s’aperçoit que le dialogue ne sera pas possible et alerte sa hiérarchie sur une offensive croate prochaine. «La mission de la FORPRONU, en termes de mandat, était si faible et, du point de vue d’aujourd’hui, si mal gérée, que je suis surpris que beaucoup plus de mauvaises choses ne se soient pas produites là-bas. Nous étions plus un fardeau pour les Serbes et les Croates», avait lui-même décrit Petr Pavel au journal tchèque Lidové en 2019.
Les forces françaises, coincées entre un champ de mines serbes et les Croates, subissent dès le 22 janvier 1993 des tirs croisés. «J’avais demandé à mes chefs quelle devait être ma conduite. Il m’a été demandé de renseigner et de faire de l’autodéfense», se souvient Eric Zanolini. Les Français de Karin-Plaza sont bloqués par un déluge de feu, sous le regard de leurs camarades qui ne peuvent leur porter secours, un pont ayant été détruit. Le bataillon tchécoslovaque «était le seul à avoir une liberté de mouvement dans le secteur», racontera le général Pavel plusieurs années plus tard.
Négocier avec les Serbes
Son unité parvient à extraire deux sections le 25 janvier côté serbe. «Les soldats français s’étaient blottis sur l’étroite plage entre les falaises et la mer. Ils n’avaient nulle part où s’échapper, ils ne pouvaient même pas bouger… et deux d’entre eux ont également péri», explique le général tchèque à l’historien Jindřich Marek dans une revue historique, Historie a Vojenství. La France perd le sergent-chef James Canavese et l’adjudant Patrick Rodange. Eric Zanolini n’est secouru que deux jours plus tard. «Je l’ai vu (Petr Pavel, ndlr) pour la première fois quand il est arrivé sur ma position et qu’il a exfiltré le groupe de combat qui était avec moi sur le poste, alors que la zone était en proie à de violents combats».
Pour évacuer les troupes françaises, le général doit négocier directement avec le commandant serbe. «Quand nous sommes arrivés là-bas, les Serbes ne voulaient pas nous laisser partir. Quand les Croates les attaquent, ils tuent les Français. C’est ce que leur commandant m’a dit. J’ai négocié avec lui pendant une heure. Ils ont menacé de nous tuer aussi si je ne le laissais pas faire. Au final, nous avons conclu un accord qui a été très douloureux pour les Français»,relate Petr Pavel à Lidové. Les militaires pourront partir avec les volontaires tchèques à condition de laisser leurs véhicules blindés de transport de troupes. «Pavel était calme, professionnel. Sans ces qualités, et surtout son absence de bellicisme, l’opération aurait pu tourner au désastre pour les troupes françaises, tchécoslovaques ou pour les combattants serbes», confie Eric Zanolini qui après son évacuation repart au front pour secourir «un autre groupe à 5 kilomètres de là».
Le plus grand succès de l’armée tchèque sous mandant de l’ONU
Ce fait d’armes est considéré comme le plus grand succès de l’armée tchèque sous mandat des Nations unies. La France lui décernera en 1995 la Croix de la valeur militaire française avec étoile de bronze. «À cette occasion, vous aviez manifesté un courage hors du commun, non seulement en vous interposant entre les belligérants serbes et croates, mais également parce que dans l’incertitude de l’environnement des missions de l’ONU de l’époque, vous ne saviez pas si cette initiative vous vaudrait une récompense ou une sanction», selon les mots de Pierre Lévy en 2012, alors ambassadeur de France en République tchèque.
Après les combats, le 27 janvier au soir, Eric Zanolini et Petr Pavel se rejoignent au poste de commandement des Nations unies, trente kilomètres en arrière, en zone serbe. «Nous avons fait le tour des popotes alliées, pour faire retomber le stress, et d’emblée, le courant est passé entre nous». Après cette «tournée des popotes», l’officier tchèque propose à son homologue français une «tower». Intrigué, le Français accepte. «Nous avons bu 6 canettes de bière empilées. Une fois bues, nous les écrasions et les empilions à côté. J’ai dormi ensuite comme un loir», se souvient Eric Zanolini en souriant.
Les deux officiers ne se revoient plus pendant plusieurs années. En poste avec les forces spéciales en Afghanistan, Zanolini demande néanmoins le contact du général Pavel, et les échanges se resserrent. Les deux hommes se retrouvent finalement en Corse en décembre 2022, à l’approche de l’élection présidentielle tchèque. «Le président Pavel ressemble à s’y méprendre au major Pavel que j’avais rencontré 30 ans plus tôt : calme, sympathique, professionnel et concentré sur l’objectif», juge Eric Zanolini qui, marqué par la «Tower» de 1993, lui en a servi une en 2022.