Dérives des centres ophtalmos : Un préjudice monstre de 150 millions d’euros pour la Sécu

De faux actes facturés à tort à la Sécu, pour un préjudice total s’élevant à 150 millions d’euros. Ces centres ophtalmos « déviants » sont dans le viseur de la justice.

Ce n’est pas parce que les façades sont rutilantes que la qualité est garantie à l’intérieur. Le scandale des arnaques dans des centres de santé ophtalmo « déviants » prend une nouvelle ampleur.

Le montant du préjudice s’élève à 150 millions d’euros pour l’Assurance maladie.

Le Dr Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologues de France, estime aujourd’hui au Point que « le montant du préjudice s’élève à 150 millions d’euros ». L’Assurance maladie mène toute une série d’enquêtes sur ces centres, et la justice pénale est elle aussi saisie. « Nous estimons qu’une quarantaine de ces centres de santé ophtalmo sont concernés par ces pratiques déviantes. Parfois il n’y a pas de professionnels de santé, parfois ce sont des actes qui sont surfacturés, on en est encore qu’au début de cette affaire hors norme », nous affirme Thierry Bour.

26 plaintes déposées par l’Assurance maladie

L’Assurance maladie nous confirme « qu’elle veut continuer à contrôler et à stopper les pratiques déviantes dans certains des centres de santé ophtalmologiques ». Vingt-six plaintes pénales ont été déposées par l’Assurance maladie à l’encontre de différents centres, implantés dans huit régions (Île-de-France, Paca, Normandie, Hauts-de-France, Pays de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Grand-Est) pour un préjudice financier de plusieurs millions d’euros. Parmi les sociétés mises en cause figure le groupe « Alliance vision ». Contacté, celui-ci n’a « pas souhaité faire de commentaires sur les enquêtes en cours ». De même, le groupe Cilae est lui aussi visé par les enquêtes. Contacté, le groupe Cilae n’a pas donné suite à notre demande.

Ce jeudi, la Caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine a déconventionné trois centres de santé dans les Hauts-de-Seine, dont deux centres ophtalmos et un centre ophtalmo et dentaire, comme révélé par France Info. « Le préjudice est de 1,7 million d’euros. Il est reproché à ces centres des actes fictifs », précise la CPAM du 92. En janvier dernier, deux autres centres avaient été déconventionnés, en Seine-Saint-Denis et dans les Yvelines. « Le déconventionnement d’un centre de santé implique que l’Assurance maladie ne prend en charge les soins pratiqués dans ce centre que sur une base très faible, le tarif d’autorité, soit pour une consultation d’ophtalmologie à 30 euros, un remboursement de 1,22 euro. L’Assurance maladie déconseille donc fortement à ses assurés d’avoir recours à ces centres », précise la CPAM.

La justice passe à l’action contre les fraudeurs

Selon nos informations, une juge d’instruction vient d’être nommée à Paris pour enquêter sur ces affaires. L’enquête est menée sur le plan pénal par l’Office central de lutte contre le travail illégal, auprès du parquet de Paris, qui centralise toutes les plaintes. Des perquisitions ont été effectuées dans différents centres de santé, et au domicile des sociétaires visés par les plaintes. L’enquête, toujours en cours, montre que certaines des personnes qui étaient à la tête de ces faux centres n’étaient pas des ophtalmologues, mais des commerçants, parfois binationaux, qui avaient senti le bon filon pour gagner un maximum d’argent sur le dos de la sécu. Des ramifications à l’étranger sont examinées par les enquêteurs.

Une proposition de loi a été votée mercredi au Sénat, qui permet de donner de nouveaux outils juridiques à l’Assurance maladie pour sanctionner ces centres « déviants ». Le texte, porté par la sénatrice Renaissance Fadila Khattabi, vise à « améliorer l’encadrement des centres de santé ». Désormais, ces centres devront obligatoirement être conventionnés auprès de l’Assurance maladie dès leur installation, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. C’est sur cette faiblesse juridique, qui date de la loi Touraine de 2016, que les escrocs ont pu s’engouffrer pour monter leurs arnaques à la sécu.

Thierry Bour a cru au départ qu’il avait la berlue face aux témoignages. « Des gens nous disaient : C’est bizarre. On rentre dans certains centres de santé ophtalmos pour une infection oculaire, et on ressort avec des lunettes. Ou encore : On nous demande 100 à 200 euros pour un examen basique de l’œil. » L’Assurance maladie, qui au départ ne croit pas à une vaste arnaque, finit par découvrir « une industrialisation de la surfacturation ».

Attention au tiers payant

Les escrocs ont de l’imagination. Par exemple, ils généralisent à presque tous leurs clients les « bilans orthoptiques » – la surveillance des mouvements de l’œil –, alors qu’ils ne doivent être faits que dans des cas bien précis. Et alors que cet examen est censé durer vingt minutes… il est expédié en une minute, ou parfois même pas réalisé du tout. L’examen de la vision des couleurs est aussi généralisé à tout le monde. Quant au patient, il ne se rend compte de rien… car tout est facturé en tiers payant. Sur le plan comptable, seule l’Assurance maladie est lésée. Mais les patients qui pensaient être bien traités pour leur vue sont eux aussi victimes d’une perte de chance sur le plan médical.

Le Point