Détox digitale : Le business rentable d’une vie sans écran
L’hyperconnexion ne cesse d’augmenter tant et si bien que l’addiction aux écrans est aujourd’hui considérée comme un trouble psychologique. De nombreuses entreprises se sont engouffrées dans la brèche pour proposer de lutter contre cette dépendance au numérique.
Passer une journée entière sans téléphone ni ordinateur, est-ce encore possible ? Le défi semble de plus en plus ardu tant l’hyperconnexion est devenue la norme. En moyenne, les Français regardent un écran 32 heures par semaine, soit un cinquième du temps hebdomadaire, selon une étude du Baromètre numérique.

Bip-bip, tadam, tic-tac, les notifications de smartphones, tablettes et autres ordinateurs envahissent notre quotidien. Dès la réception de ces sonorités familières, tous les sens sont en alerte, le regard est happé par l’écran, la main se tend irrésistiblement vers le portable, un besoin urgent se fait sentir de le consulter.
Cette hyperconnexion concerne également les plus jeunes. Le temps passé par les enfants sur les écrans ne fait qu’augmenter, avec 56 minutes par jour pour un petit de 2 ans, et les confinements n’ont pas arrangé les choses. Les adolescents doivent désormais consulter leur portable pour accéder à Pronote ou EcoleDirecte tandis que les adultes reçoivent des notifications Teams même en plein week-end. Ainsi, 30 % des salariés seraient concernés par une hyperconnexion. Une surcharge dont ils ont du mal à se défaire, empêchant la bonne régulation du stress, ce qui, à terme, entraîne une dégradation de la santé mentale et physique.
Retour à l’ancien
Pour pallier cette connexion permanente, de nombreuses entreprises ont fait le pari de proposer des solutions de détox digitales afin de réapprendre à passer moins de temps sur les écrans. Parmi elles, Vintage Mobile, un site Internet vendant des anciens téléphones portables. « On retrouve des vieux modèles chez les collectionneurs, on les reconditionne et on les revend à nos clients », explique Djassem Haddad, cofondateur du site. L’entreprise créée en 2009 était au départ cantonnée aux amateurs de vintage, mais son offre s’est élargie.
Anciens Nokia, Motorola ou BlackBerry, ces téléphones à touche sont pris d’assaut par « ceux qui veulent retrouver l’essence de la communication sans fonctionnalités superflues. Ces portables ne permettent que d’appeler ou d’envoyer des SMS et c’est tout », détaille le chef d’entreprise. Avec des appareils bien moins coûteux que les smartphones – en moyenne entre 80 et 100 euros -, Vintage Mobile est une affaire qui marche. Dans les bonnes années, le chiffre d’affaires de l’entreprise avoisine les 300.000 euros.
Mais ce business sert parfois plus les clients nostalgiques que ceux qui souhaitent réellement être déconnectés. « En réalité, peu de nos clients utilisent ces portables en seule utilisation, ils gardent leur smartphone pour rester connectés », reconnaît Djassem Haddad.
Contrainte choisie
Le problème principal, l’addiction au smartphone, n’est donc qu’à moitié résolu. Alors, depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’applications mobiles proposent de bloquer l’accès à son portable directement sur son smartphone. Sur les plateformes de téléchargement comme PlayStore ou AppStore, des dizaines d’applications, gratuites pour la plupart, proposent différentes formules pour limiter la consommation d’écrans.
C’est le cas de Digital Detox. Développée par l’entreprise Urbandroid, cette application permet d’interdire l’ouverture d’Instagram, Facebook ou TikTok par exemple, pendant une période choisie par l’utilisateur. Une fois la contrainte mise en place, il n’est absolument plus possible de consulter ces applications sauf moyennant une somme d’argent, technique dissuasive pour l’utilisateur.
Détox digitale
Une option facile à installer pour les réseaux sociaux mais plus compliquée à mettre en place pour les messageries professionnelles. Pourtant, depuis 2016, il existe bien un droit à la déconnexion garantissant aux travailleurs la possibilité de ne pas rester connectés aux outils numériques professionnels hors des horaires de travail.
Le droit à la déconnexion
Face au risque de burn-out, un droit à la déconnexion a été mis en place en 2016 avec la loi travail de Myriam El Khomri. Comme le stipule l’article 55 de la loi, ce droit vise à « assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ». Accord collectif ou charte, les conditions de mise en place de cette déconnexion sont à établir entre le salarié et l’employeur. En cas d’absence de charte, l’employeur peut être condamné s’il y a accident du travail du salarié lié au non-respect du droit à la déconnexion. Après la crise sanitaire et la généralisation du télétravail, cette déconnexion a fait l’objet d’un point d’attention. Le guide sur le télétravail publié par le gouvernement en 2020 postule qu’en cas de travail à la maison, « la distinction entre temps de travail et temps de repos doit être claire ». Pourtant, entre 2017 et 2022, seuls 25.000 accords d’entreprise ont été signés.
C’est justement pour ces travailleurs que certains établissements proposent des séjours de détox digitale. Le Waldorf Astoria à Versailles a opté pour la version luxueuse. En partenariat avec l’application de bien-être Pleace, l’hôtel cinq étoiles permet à ses clients de profiter d’un week-end de déconnexion. « C’est une offre qui permet de laisser son portable de côté pour se relier à des activités plus authentiques comme des ateliers d’écriture, de danse ou de respiration », explique Susanne Bruemmerstaedt, directrice commerciale du Waldorf Astoria.
L’idée lui est venue après la pandémie : proposer une expérience complète de déconnexion dans un cadre exceptionnel, à deux pas du château de Versailles et de ses jardins à la française. « Pour ces séjours, notre cible est orientée autour des cadres quarantenaires qui ont habituellement des journées très chargées », raconte la responsable. Programme qui vise une clientèle aisée : 450 euros la nuit avec 150 euros de plus pour la formule détox.
Portables confisqués
Pour les plus courageux, certains organismes proposent des séjours de déconnexion totale en interdisant l’accès aux appareils numériques. Une expérience proposée par L’Escale Jeûne, qui présente, parmi ses nombreuses cures, un stage de détox digitale à Valensole en plein coeur de la Provence. « Nous avons eu l’idée de cette expérience en voyant nos clients qui suivaient d’autres cures mais qui se plaignaient du stress dû à leur téléphone portable », explique Cécile Enderlé, naturopathe à l’origine du projet.
Les chiffres clés de l’hyperconnexion
– 9 ans : âge moyen d’acquisition d’un téléphone portable.
– 7 h 13 : temps moyen quotidien passé par les cadres sur les écrans.
– 30 : nombre moyen d’e-mails envoyés par jour par un salarié français.
– 61 % : proportion des 16-30 ans reconnaissant une « perte de contrôle » suite à une exposition aux écrans.
– 10 minutes : fréquence de consultation d’un portable pour 50 % des Français.
Dans son centre, elle accueille tous types de clients, de l’adolescent surconnecté, au cadre qui n’arrive pas à décrocher en passant par des personnes âgées isolées complètement accros au téléphone. Le programme du séjour est millimétré : « D’abord je confisque les portables, et s’ensuivent de nombreuses activités comme de la randonnée, de la relaxation mais aussi de l’hypnose pour travailler sur le dégoût des réseaux sociaux », détaille la naturopathe.
La formule phare est un séjour de six jours pour une somme de 875 euros comprenant l’hébergement, la nourriture et les activités prévues. Alors, au bout de l’expérience, les clients arrivent-ils réellement à déconnecter du numérique ? Cécile Enderlé hésite, « forcément, lorsqu’on leur rend leur portable, ils font attention au début et puis certains reprennent leur travers. Ils reviennent généralement pour des séjours plus courts de deux jours à 270 euros par exemple ». Une déconnexion sur le long terme qui permet au business des détox digitales de rester fructueux.