« Dubaï, c’est fini ! » : La grande désillusion des influenceurs français

La nouvelle loi française a fait s’effondrer une partie du marché du placement de produits. Devant cette nouvelle réalité, des jeunes voient leurs rêves de richesse s’envoler.

Un parfum de désillusion et de désenchantement a commencé à embaumer au fil des mois une poignée de la jeunesse française, qui nourrissait secrètement des espoirs de gloire et de richesse soudaine. Car la nouvelle loi qui encadre les pratiques des influenceurs dans le pays a sonné la fin de l’âge d’or d’un système de placement de produits bien rodé, dont les failles financières et les vices auront mis quelques années à être révélés au grand jour…

« Aujourd’hui, le rêve que nourrissaient nombre de jeunes de devenir influenceur s’effondre », lance au Figaro Serguei Reznik, participant à l’émission de téléréalité « Love Island ». À sa sortie du tournage, le Marseillais n’a reçu que deux propositions de placement de produits en l’espace de six mois. Comme le jeune homme, qui a choisi de se reconvertir dans un projet professionnel autour du sport, beaucoup de ses compagnons d’aventure de la chaîne W9 se sont résolus à se tourner vers des métiers plus classiques devant les difficultés à monétiser leur notoriété.”

Les exemples de personnalités populaires des réseaux sociaux qui ont repris leur travail se multiplient : Clarysse (153.000 abonnés sur Instagram) dans la restauration, Ludivine (44.000 abonnés) dans les ressources humaines, ou Valentin (45.100 abonnés) dans l’événementiel… Et des communautés moins engagées qu’avant.

Cette année, les tarifs pour les placements de produits se sont globalement effondrés depuis la campagne du rappeur Booba contre les « influvoleurs », puis les nombreuses actions du ministère de l’Économie. Selon nos informations, les marques qui proposaient hier en moyenne jusqu’à 2000 euros pour un placement de produit sur Instagram ne sont prêtes qu’à en débourser 300 aujourd’hui.

Fin d’un système pour la téléréalité

L’époque où les personnalités qui intégraient une émission de téléréalité avaient la garantie d’être signées par une agence spécialisée dans le marketing d’influence, comme Shauna Events (ex-propriété de Banijay) ou We Events, semble aujourd’hui bien loin. En quête d’une nouvelle jeunesse face à des audiences qui s’essoufflent, les productions télé choisissent de faire appel à des visages encore méconnus du grand public.

« La téléréalité devient progressivement une niche, et même les finalistes des émissions ne parviennent plus à attirer sur les réseaux sociaux beaucoup d’abonnés après la diffusion », analyse Jeff, youtubeur spécialisé dans la téléréalité. « Résultat, ils se retrouvent avec aucune ou très peu de demandes de collaborations rémunérées de la part des marques », abonde-t-il.

D’autant que les placements de produits de moindre qualité ou issus du « dropshipping » – une technique visant à revendre à prix élevé des produits de médiocre qualité souvent issus de Chine – ont progressivement disparu du paysage… « Or, c’était justement ces entreprises qui étaient prêtes à débourser le plus pour s’offrir nos faveurs publicitaires », confie un influenceur.

Au-delà de la nouvelle régulation, l’image d’une partie de la profession continue par ailleurs à être dégradée par la politique du « name and shame » engagée depuis quelques mois par l’exécutif. La DGCCRF, le bras armé de Bercy, choisit d’afficher publiquement les influenceurs épinglés pour pratiques commerciales trompeuses.

Train de vie à maintenir

Devenir un influenceur était devenu depuis quelques années le rêve de nombreux jeunes, qui se voyaient déjà en haut de l’affiche. Abandonner une partie de sa vie privée au public, à travers la télévision ou les réseaux sociaux, était perçu par certains comme un moyen de parvenir à une réussite financière sans être issu d’un milieu social favorisé ou passé par la case études. « L’espoir de déménager à Dubaï et de vivre la grande vie, c’est fini », confirme de son côté une influenceuse, qui souhaite garder l’anonymat. « La défaite appelant la défaite, je ne veux pas que les marques me perçoivent comme une ratée », justifie la jeune femme de 22 ans.

Symbole de ce phénomène de société, Dubaï s’était illustrée au fil des années comme un décor incontournable de ces galeries Instagram, où piscines d’hôtel, voitures et intérieurs luxueux avaient remplacé le rêve américain du siècle dernier. Nombre de personnalités s’étaient exilées dans cet eldorado des Émirats arabes unis (dont la population est constituée à 80 % d’expatriés), où les contribuables n’y paient presque aucun impôt sur le revenu, ni sur les sociétés.

L’essoufflement d’une partie du marché des placements de produits signe-t-il désormais la fin de ce paradis perdu des influenceurs ? « Il y a une vague de personnalités qui commencent à quitter Dubaï pour s’installer en Thaïlande, en Indonésie ou au Maroc, des pays où l’on paie moins d’impôts qu’en France mais dont la vie au quotidien est beaucoup moins chère que dans l’Émirat », raconte Nicolo Federico Ferrari (830 000 abonnés sur Instagram). Dans ce milieu où la discrétion est de rigueur sur l’état réel de ses finances, rares sont ces personnalités néanmoins à dévoiler les raisons de leur départ de l’Émirat. Certains ayant cédé à la folie des grandeurs en dépensant sans compter, sans penser au lendemain…

Les loyers, déjà très élevés dans l’Émirat, ont augmenté en moyenne de 27 % l’an passé, selon le Dubaï Land Department. Et les conditions d’accès supposent une confortable avance de cash : le bail type d’un an prévoit de régler le loyer généralement en deux fois. « Moi, je n’ai aucun problème à dire que les temps ont changé. Je ne travaille plus avec Shauna Events, je n’ai donc plus de travail », déclarait il y a quelques semaines Nikola Lozina (1,9 million d’abonnés sur Instagram), afin de justifier son retour dans son pays natal, la Belgique. Magali Berdah, la patronne de l’agence Shauna Events, qui s’est fait une spécialité de recycler la carrière des figurants de téléréalité, a elle-même quitté Dubaï.

Des cartes rebattues

Il devient très difficile pour les expatriés français de maintenir leur train de vie à Dubaï. Comme Julia Paredes (1 million d’abonnés sur Instagram), certains influenceurs, qui souhaitent rester sur place, se lancent dans l’immobilier en parallèle de leurs activités. Quand d’autres sont même de retour dans les boîtes de nuit de province de l’Hexagone pour renflouer les caisses, ou proposent d’autres services. « Il reste encore des trous, samedi en fin d’après-midi. Si vous êtes un restaurant, un coiffeur, un bowling, un karting, peu importe, n’hésitez pas ! », déclarait par exemple durant l’été Manon Tanti, auprès de ses trois millions d’abonnés sur Instagram.

« Quand l’économie de la téléréalité s’effondre, l’industrie de l’influence en France continue, elle, à se structurer face à la nouvelle loi française », glisse de son côté Cyril Attias, fondateur de l’agence de marketing adms.paris. Car ces candidats ne sont en réalité pas représentatifs de cet écosystème de l’influence très hétérogène, qui réunit aujourd’hui près de 150.000 personnalités en France.

«Il y a une montée en gamme du marché. Les marques répartissent différemment leur budget : entre moins d’influenceurs, mais mieux rémunérés », abonde Cyril Attias. Pour renforcer leur crédibilité auprès du grand public, des régulateurs et des marques, près de 70 entreprises du secteur (l’agence Follow, Point d’orgue, Kolsquare, Smile, Reech, Influence4You…) ont même décidé de se fédérer autour d’un nouveau syndicat, l’Umicc (Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus), et d’adopter en mars dernier une charte de bonnes pratiques.

Le Figaro