« Emmanuel Macron était un astre en 2017, il devient un rempart en 2022 » : Le dernier livre d’Alain Duhamel repousse les limites de la flagornerie

Dans « Le Prince balafré » (L’Observatoire), l’éditorialiste Alain Duhamel fait montre de tout son talent pour faire semblant de relever quelques erreurs du chef de l’État afin de mieux l’encenser sur plus de 250 pages. Avertissement : la flagornerie de l’auteur peut être violente pour certains lecteurs mais toutes les citations sont authentiques.

Dans Le Prince balafré (L’Observatoire), Alain Duhamel s’intéresse à la personnalité du chef de l’État, héros contrarié par les crises, un livre aussi original en 2023 qu’un essai sur les dangers de la guerre en Ukraine et la personnalité inquiétante de Poutine. Pour ce faire, l’auteur se mue en Machiavel moderne : un Machiavel passé par un stage de reconnexion bienveillante à son Moi profond via l’enlacement des arbres animé par Francis Lalanne.

Un peu plus de deux ans après la sortie d’Emmanuel le Hardi chez la même maison d’édition, Alain Duhamel prouve avec ce nouveau livre sur Macron qu’il sait se renouveler mais également changer d’avis. Car ce dernier ouvrage est celui d’une étonnante prise de recul par rapport à ce personnage autrefois adulé :

« Emmanuel Macron était un astre en 2017, il devient un rempart en 2022. » Quand Alain Duhamel annonce qu’il va « dire les choses comme elles sont », on sait qu’on ne sera pas déçu par les analyses « sans concession » qui suivront, au risque de pulvériser la langue de bois : « En 2017, Emmanuel Macron avait réussi une campagne brillante, allègre et originale. » Aura-t-il besoin d’une protection policière après un tel aveu ? C’est loin d’être impossible.

Malentendus et injustice

Si le chef de l’État occupe une très large place, cet ouvrage n’est pas seulement le récit touchant d’un président extraordinaire empêché d’exercer son génie, c’est avant tout celui d’une quête : « Le mystère est de savoir pourquoi Emmanuel Macron apparaît, plus encore qu’aucun de ses prédécesseurs, le président que les Français adorent détester. » Inexplicable, en effet, tout comme l’absence d’état de grâce sur laquelle l’auteur s’interroge. On pourrait penser que de telles énigmes resteront à jamais insolubles. C’est compter sans l’opiniâtreté de notre journaliste qui n’a jamais eu peur des questions qui fâchent : « Est-ce parce que sa personnalité urticante de lovelace autoritaire, de charmeur provocant, brouille sans cesse les lignes ordinaires et transgresse allègrement les catégories établies ? », « Est-ce parce qu’il cherche à imprimer un rythme des réformes que les Français ne sont pas prêts à accepter ? » Difficile à dire, sans doute un peu des deux. Dès l’introduction, en tout cas, on sent à quel point on va être plongé dans des abîmes de pensée complexe.

Alain Duhamel en est sûr, l’un des gros problèmes de Macron, c’est « le sentiment d’injustice suscité par un personnage aux dons provocants, à la séduction trop professionnelle, à l’ascension trop aisée ». Car le président est un homme politique avec « une connaissance des dossiers inégalable » et « une capacité de travail phénoménale ». C’est aussi « une très forte personnalité. Inclassable, hétérodoxe mais impressionnante. » Il est enfin « l’annonciateur d’un monde nouveau qui effarouche souvent et qui répugne parfois. » Est-il le Christ ou plus modestement saint Jean-Baptiste ? L’auteur ne répondra hélas jamais à cette question, préférant sans doute trancher dans un troisième opus sur le président.

L’autre explication au désamour des Français pour Macron serait le malentendu. Il y aurait entre eux un « dialogue raté » et « de l’incompréhension réciproque » notamment en raison « de la déformation, de la récupération et de la volonté de nuire » de ses adversaires. Ce malentendu biaiserait l’interprétation des citoyens qui « se sentent comme collectivement insultés » et « se croient méprisés ». Emmanuel Macron « passe ainsi chez beaucoup pour hautain, distant, froid et dédaigneux » alors qu’il est en réalité « chaleureux et cherchant le dialogue ». Bref, au fond, il n’a qu’une envie : boire un canon avec vous en vous flanquant une grande tape dans le dos avant de vous raconter des histoires grivoises.

Macron ? Un des nôtres

Quel dommage qu’en raison d’à peine « vingt “petites phrases” malheureuses », on assiste au « retour de la haine », et notamment de « la haine de classe », expression récurrente dans le livre en lieu et place de l’expression « la lutte des classes » étrangement passée sous silence. Mais que voulez-vous ? Comme le dit si bien Alain, « en France, être citoyen, c’est être mécontent ». Si seulement le président avait eu le temps de faire preuve de davantage de « pédagogie »… De même, l’image de technocrate et d’ « énarque coupé de la vraie vie » qui colle à la peau de celui qui ferait passer Bruno Le Maire pour un gars proche du peuple serait totalement usurpée : « La réalité est qu’il a des racines picardes (…) la maison du Touquet n’est pas éloignée de ses terres natales et il reste par ailleurs nostalgique des Pyrénées. » Macron est certes chef de l’État mais il aurait tout aussi bien pu devenir berger.

En outre, Macron doit une grande partie de sa détestation au contexte de l’époque, ce qu’en termes scientifiques on nomme communément « la faute à pas de chance ». Rendez-vous compte, ce « président des crises » a dû affronter la guerre en Ukraine, « la croisade des Gilets jaunes », « l’éruption violente du 27 juin » (dans le monde merveilleux d’Alain, tout surgit toujours par hasard, comme le début des émeutes), la réforme des retraites contrecarrée par « une averse de fake news » (celles du gouvernement sur les 1 200 euros de pension minimale ?) ou encore le fait que « la démocratie française (soit) frappée d’indifférence ». Sans que Macron n’ait bien évidemment rien à voir avec tout ça et surtout sans que les choses rentrent rapidement dans l’ordre. « Au moins croyait-on que la réforme des retraites enfin entérinée, l’ « apaisement » annoncé par Emmanuel Macron allait se produire » déplore l’auteur, dans un accès d’extralucidité dont il a le secret. Inexplicable, c’est le maître mot de ce livre.

Inexplicable et profondément injuste car enfin, face à toutes ces crises, les réponses du président sont incritiquables. Son bilan face à la pandémie ? « Plus qu’honorable ». Les émeutes ? « Emmanuel Macron a bien réagi face à ce choc de violence et de fureur. » Le pouvoir d’achat ? Outre « sa logique de réindustrialisation » (défense de rire), « Emmanuel Macron a déployé un étendard libéral-social dont les Français ont surtout remarqué les couleurs libérales. » Un peu de patience, ça ne devrait plus tarder à ruisseler. Le Grand débat pour répondre à la colère sociale ? « Presque un pèlerinage d’Emmanuel Macron à travers toute la France une nouveauté, un pari, une expérimentation très macronienne, du jamais-vu. » D’ailleurs, « même ses adversaires l’ont reconnu : le “grand débat” est un succès. » Le Prince balafré, ce n’est pas seulement un enchaînement d’analyses d’une finesse inégalable, c’est aussi une accumulation d’affirmations gratuites qu’il n’est même pas nécessaire de démontrer.

Cela suffirait amplement à faire de cet essai un grand livre. Pourtant, Alain Duhamel va plus loin. En tant qu’observateur généreux, il tient à nous gratifier d’autres informations « sans concession » sur la Macronie. Ainsi on apprend tour à tour que Jean Castex « a une autorité naturelle », que Gérald Darmanin « prend ses risques, il les assume », que Clément Beaune « maîtrise ses dossiers et affiche son dynamisme » (bigre, voilà qui est on ne peut plus original), qu’Olivier Véran était un « inépuisable et vif ministre de la Santé », que Bruno Le Maire est « auteur de bons livres » – et de non moins beaux renflements — et qu’Élisabeth Borne a le « sens du dialogue » et « ne manque pas d’humour ». Qu’est-ce que ce serait si ce n’était pas le cas ?

Un livre multifonction

Parfois, il déborde même du cadre de l’exécutif pour nous révéler que François Baroin a « un physique séduisant, une voix magnifique, de l’habileté et de la compétence » (ce que Jack Lang aurait résumé par « quel bel homme ! »), que François Hollande est un grand « tacticien » ou que Clémentine Autain est « romancière à ses heures ». On ne se souvenait que de son long courrier du cœur publié chez Grasset, on aurait donc raté quelque chose ?

Alain Duhamel est également un formidable conteur ou plutôt un re-conteur tant il aime narrer des épisodes que tout le monde a suivis comme l’élection présidentielle de 2022 ou, encore plus passionnante, la période séparant la présidentielle des législatives. On n’est jamais très loin d’Alexandre Dumas, mais raconté par David Pujadas et avec la puissance créatrice de Nabilla. L’auteur aime également, telle une Apolline de Malherbe du futur, se projeter dans la prochaine élection présidentielle avec quatre ans d’avance. Il passe ainsi en revue toutes les hypothèses possibles, toutes plus captivantes les unes que les autres, le tout avec un talent de visionnaire qui ridiculise les prophètes de l’Ancienne alliance : « Si la majorité relative se sort bien de celles-ci, ce qui n’est pas acquis, et si Les Républicains s’en sortent mal, ce qui n’est pas certain, alors peut-être l’éventualité d’une alliance pourrait-elle resurgir. » Voilà ce qu’on appelle de la politique ultrafiction.

Avec tout ça, le lecteur en a déjà pour son argent mais ce n’est pas tout puisqu’il pourra aussi se livrer à un petit jeu, « le dudurama ». En quoi cela consiste-t-il ? Trouver l’adjectif ou l’adverbe glissé discrètement par Dudu qui permet de connaître son opinion sur un sujet. Attention, il n’y a pas de piège. À vous de jouer :

À/ Lucidement européen

B/ Rétablissement d’un impôt sur la fortune vengeur

C/ Renationalisation ruineuse des autoroutes

D/ Socialisme chauvin

E/ (à propos de l’affaire Benalla) Commission d’enquête théâtrale

F/ (à propos de Roussel) Démagogiquement cordial

Enfin, l’auteur a l’immense mérite de mêler analyse politique aussi pertinente qu’inédite et poésie, avec une très légère tendance, mais à peine perceptible, à l’utiliser pour mieux encenser le chef de l’État : « Après la crise des Gilets jaunes, puis celle du Covid, Emmanuel Macron avait déjà dû sortir de l’enfer du rejet pour le purgatoire du ressentiment » / « Macron consentit à (…) à oser la province » / « En 2017, Emmanuel Macron chargeait sabre au clair sous le soleil. En 2022, il marchait à l’ombre. »

On pourrait penser que l’auteur en fait un peu trop, on se tromperait lourdement. Alain Duhamel sait mieux que quiconque alterner louanges et critiques acerbes, comme le prouve la conclusion : « C’est un audacieux au sein d’une France anxieuse, un réformateur, parfois compulsif, dans un pays conservateur. Un autoritaire face à un peuple égalitaire, un hardi dans un climat frileux (…) Emmanuel Macron n’a pas de prédécesseurs qui lui ressemblent (…) Le prince balafré défie tous les critères de l’orthodoxie politique. » Le livre, lui, défie tous les critères de la lèche.

Le Prince balafré, Éditions de l’Observatoire, 240 pages. 23 euros.

Marianne