En Turquie, les réfugiés syriens sont devenus un enjeu électoral malgré eux

A quelques mois des élections présidentielle et législatives prévues le 14 mai, le président Recep Tayyip Erdogan a pour ambition de renvoyer chez eux un million de migrants syriens et de se réconcilier avec le régime de Damas.

Youssef tient une petite échoppe de bois et de plastique où il vend ses sandwichs à l’œuf, oignon et frites froides au premier venu. Il est installé ici, au bout de la longue route plate et droite reliant Gaziantep à la Syrie, depuis près de dix ans déjà. La trentaine bien engagée, il ne parle que quelques mots de turc mais se montre heureux d’être de ce côté de la frontière. La guerre, la répression systématique du régime de Bachar Al-Assad l’ont poussé à franchir la ligne de front de 900 kilomètres qui sépare la Turquie de la Syrie.

Aujourd’hui, il ne peut plus bouger de sa petite ville frontalière de Kilis, assigné, comme tous les réfugiés syriens, à sa commune de résidence. Il fait mine de ne pas s’en plaindre. Il dit juste être bien résolu à ne pas retourner là-bas, de l’autre côté, avant de détourner fébrilement les yeux et de taquiner son pain.

L’horizon du jeune homme est le poste frontière d’Oncüpinar, « la source pionnière », en turc. Cinq guérites, une poignée de douaniers et des camions chargés à bloc en direction de la Syrie. Près de 200 véhicules et 300 ouvriers turcs traversent ainsi chaque jour ce point de passage – un des sept postes ouverts entre les deux pays. Une file qui illustre parfaitement le rôle croissant joué par Ankara au-delà de sa frontière.

Depuis l’entrée des chars turcs en Syrie, pour la première fois, il y a six ans, l’opération militaire destinée à repousser les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), considérées comme une organisation terroriste par Ankara, s’est transformée, au fil du temps et des multiples interventions, en une mission touchant pratiquement toutes les sphères de la sécurité et de la vie quotidienne des quelque deux millions de Syriens installés dans les trois enclaves contrôlées par les forces d’Ankara. On y paie en argent turc, on se soigne dans les hôpitaux turcs, on s’éclaire avec l’électricité turque et les écoliers apprennent le turc en deuxième langue.

Hostilité de plus en plus visible

Depuis six mois, la Turquie n’accueille plus de réfugiés syriens sur son sol. Le gigantesque centre d’Oncüpinar, construit à la hâte en 2012, est vide. Situé en face du stand de Youssef, ce camp de containers de plus de 60 hectares a été entièrement évacué à l’été 2019. Officiellement, les autorités avaient évoqué les coûts élevés de fonctionnement et les perspectives d’intégration des Syriens dans la société turque, en dehors des camps.

Selon Omar Kadkoy, analyste politique à la Fondation pour la recherche sur les politiques économiques de Turquie, la décision avait moins à voir avec une volonté du gouvernement d’élaborer une réelle politique d’intégration qu’avec la contextualisation d’un retour potentiel des réfugiés en Syrie.

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