Espagne : La découverte de traces d’ADN humain, datant de 23.000 ans, dévoile l’identité de nos plus anciens ancêtres européens
Le magazine “Nature Ecology & Evolution” publie les résultats d’une expédition scientifique internationale, qui a examiné la grotte andalouse Cueva del Malalmuerzo. Des traces d’ADN humain datant d’il y a 23.000 ans y ont été trouvées. Leur présence est associée au changement climatique affectant la vie de nos ancêtres préhistoriques. Ces individus auraient trouvé refuge en Espagne pour résister à la dernière glaciation.
L’Europe n’a pas toujours été un continent au climat tempéré, verdoyant et accueillant. Il y a encore 20.000 ans, la calotte glaciaire s’étendait jusqu’aux côtes bretonnes, rendant les conditions de vie particulièrement hostiles. C’est pourtant à cette période que se sont installées durablement les premières populations humaines ayant encore une descendance de nos jours. Cette nouvelle étude apporte de nouveaux éléments qui nous permettent de mieux comprendre qui étaient ces individus, et comment ils ont fait pour survivre.

L’étude se base sur l’analyse ADN de 356 fossiles, datés d’il y a entre 45.000 ans et 5000 ans et repartis de 34 pays. Parmi eux, 116 n’avaient jamais été étudiés auparavant et n’avaient fait l’objet d’aucune publication scientifique. Une partie des auteurs a publié le même jour, dans la revue Nature Ecology & Evolution , le génome d’un individu vieux de 23.000 ans ayant vécu dans le sud de l’Espagne, qui vient enrichir ce corpus.
Ce sont de nouvelles pièces précieuses qui permettent de compléter le puzzle de notre histoire, commente Eva-Maria Geigl, paléogénéticienne à l’Institut Jacques Monod du CNRS à Paris. Bien entendu, il nous reste encore beaucoup de choses à comprendre, mais un schéma se dessine désormais assez clairement.»
Cette histoire encore très parcellaire nous est racontée par l’entremise de deux sources complémentaires. La génétique, ce sur quoi s’appuie cette nouvelle étude, mais qui ne peut pas (encore) remonter au-delà d’un certain nombre d’années. Et l’archéologie, qui grâce aux artefacts que nous ont laissés les premiers hommes, permet de comprendre leurs comportements.
Manque d’ADN
Il y a plus de 50.000 ans, un groupe humain différent du nôtre peuplait l’Europe, il s’agit des Néandertaliens. Puis nos ancêtres Homo sapiens, originaires d’Afrique, sont arrivés et les Néandertaliens ont disparu. Les plus vieilles traces de cette incursion des Sapiens sont pour le moment datées de 54.000 ans dans la grotte de Mandrin, dans le sud de la France, grâce à une dent découverte l’année dernière. Nous ne disposons pas d’ADN pour ces individus, mais selon toute vraisemblance, ces premiers Sapiens n’ont pas perduré. Il faut attendre 9000 ans pour voir les traces d’une installation durable sur le continent.
«Je prends toujours les datations avec beaucoup de précautions, prévient Eva-Maria Geigl. Ce qui est important, c’est de comprendre les dynamiques, et pas forcément de s’arrêter sur une date. Il y avait des incursions d’Homo sapiens, bien plus tôt que nous le pensions. D’ailleurs, on voit dans l’ADN des traces de contact très lointain, vers les 300 000 ans, entre Neandertal et Sapiens. Mais l’installation durable d’Homo sapiens semble advenir il y a environ 45 000 ans.»
Le plus vieil ADN d’Homo sapiens dont nous disposons date précisément de cette époque, et il s’agit d’individus découverts sur le site de Zlaty Kun, en République tchèque. On sait qu’ils appartiennent à un groupe qui n’a pas eu de descendance européenne. Et pour trouver trace d’un groupe Homo sapiens ancestral, il faut attendre 35.000 ans avec un fossile découvert à Goyet, en Belgique. «Ces individus originaires d’Afrique ont remplacé l’ensemble des populations européennes les précédant, explique Évelyne Heyer, paléogénéticienne au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. On connaissait déjà ce schéma, mais dans ces travaux nous apprenons deux choses nouvelles : ces populations avaient la peau noire et les yeux bleus, et il y a une continuité génétique entre les différentes cultures qui se sont succédé à l’ouest du continent.»
À mesure que ces Homo sapiens s’établissent sur le continent, ils y laissent des traces. Et notamment de très nombreuses vénus, ces statuettes de femme découvertes en Allemagne ou encore en France. Mais aussi des grottes ornées, comme celle du Pech Merle, dans le Lot. Un art jusque-là totalement inédit en Europe qui s’étendra jusqu’à la Sibérie. Cette culture, baptisée «Gravettien» par les scientifiques, était développée par deux groupes génétiquement distincts repartis d’est en ouest du continent.
À l’ouest, ces populations ont été contraintes de migrer vers le sud de la France et l’Espagne, à la recherche de climat plus clément au plus fort de la dernière glaciation, il y a 20.000 ans. «Les conditions de vie ont dû être particulièrement difficiles à cette période, explique Eva-Maria Geigl. Les populations en ont énormément souffert. Les analyses génétiques révèlent d’ailleurs ce qu’on appelle un goulot d’étranglement, autrement dit un rétrécissement des populations.»
Hybridation des populations
Ce mouvement vers l’Espagne et le sud de la France s’est accompagné par le développement d’outils en silex, et la naissance d’une nouvelle culture que les scientifiques appellent le solutréen. Ces mêmes populations remonteront plus au nord quand le climat sera plus clément, et développeront ce que les scientifiques appellent le magdalénien, notamment connu à Lascaux. «Ces travaux montrent la continuité génétique entre ces trois cultures en Espagne, commente Évelyne Heyer. En revanche, nous n’assistons pas du tout au même phénomène en Italie. On constate sur la botte italienne un métissage des populations que l’on n’a pas du tout en France et en Espagne. L’hypothèse des auteurs est que l’Italie devait se trouver sur un couloir de migration façonné par l’ère glaciaire.»
Des groupes de chasseurs-cueilleurs, venus du Proche-Orient, commencent en effet à s’installer en Europe il y a environ 14.500 ans. Mais contrairement à ce que l’on a pu observer auparavant, il n’y a pas un remplacement total des populations. Du nord de l’Italie et des Balkans, ces populations métissées se sont ensuite répandues dans l’ensemble du continent. Pendant quelques milliers d’années, les Européens de l’Ouest semblent rester isolés de populations plus à l’Est qui portent avec elles des marqueurs génétiques caractérisant une peau plus claire et des yeux plus foncés.
La dernière grande vague migratoire démarre il y a un peu plus de 8.000 ans sur les plaines anatoliennes. Les premiers agriculteurs commencent leur route vers l’Europe. Là encore, il n’y a pas de remplacement des populations, mais une hybridation et les pratiques agricoles progressent sur tout le continent. Ces individus sont plus clairs de peaux, «on pense aussi qu’un changement dans le régime alimentaire a conduit à un appauvrissement des apports en vitamine D, explique Évelyne Heyer. Avec un ensoleillement plus faible, la couleur blanche compense cette perte, car elle permet de mieux absorber les rayonnements UV et de synthétiser la vitamine D.»
L’Histoire des Européens est faite de mélanges et «aucune population moderne ne peut revendiquer une origine unique des groupes humains qui se sont établis pour la première fois sur le continent» résume ainsi le paléogénéticien Ludovic Orlando (université de Toulouse Paul-Sabatier) chargé par la revue Nature de commenter ces travaux.