Europe : Les banques touchées par une nouvelle poussée de fièvre, les investisseurs craignent que l’effondrement de Credit Suisse ne se propage aux autres établissements financiers
Quelques minutes lourdes de symbole. Mercredi, en fin de matinée, les cours de BNP Paribas et de Société Générale ont été brièvement suspendus à la Bourse de Paris. Une procédure automatique chez Euronext, visant à calmer les esprits lorsque certains titres dévissent trop vite.
Le coup de tabac a concerné l’ensemble des grandes banques européennes, BNP Paribas et Société Générale chutant de plus de 10 %. Une réaction épidermique à la crise traversée par Credit Suisse, qui s’est effondré de près de 25 % le même jour, après des déclarations jugées inquiétantes de son premier actionnaire.

« La réaction des marchés est totalement illégitime », s’agace un observateur au sein d’une banque européenne. Il n’empêche : à tort ou à raison, les marchés croient percevoir de possibles mécanismes de transmission.
« Un peu inquiétant »
C’est un peu inquiétant, Credit Suisse est une importante institution. Si ses difficultés sont connues de longue date, le marché interbancaire reste actif. Autant SVB [la banque californienne qui a fait faillite la semaine dernière, NDLR] était assez isolée, autant Credit Suisse est interconnecté. En matière de risque de contagion, on ne peut pas imaginer qu’aucun lien n’existe avec le reste du système bancaire », souligne un banquier d’affaires.
Jérôme Legras, directeur de la recherche chez Axiom AI, se veut plus rassurant. « Les expositions sont quand même très limitées, et tout cela est couvert. Les banques ne se prêtent pas beaucoup d’argent entre elles, et les métiers ne se recoupent pas non plus… il n’y a pas tant d’expositions croisées que cela. »
Les craintes sont aussi de nature psychologique : les voyants rouges s’allument depuis une semaine pour la finance, au départ sur un problème très localisé (SVB), mais la menace se situe à présent aux frontières de l’Union européenne et est d’une tout autre dimension.
Le secteur bancaire reste solide
Impressionnante, la chute des cours n’est pourtant pas en soi le signe que la solidité des banques est en cause. La plupart des grands établissements européens de la finance ont signé une année 2022 à des niveaux record.
Mais la situation reste anxiogène, et les pouvoirs publics doivent monter au créneau, à l’image du ministre de l’Economie Bruno Le Maire, pour souligner cette « solidité » du secteur bancaire. Ce qui est évidemment périlleux. Les établissements eux-mêmes se montrent discrets, craignant d’alimenter le feu par des paroles, mêmes rassurantes.
Les établissements du Vieux Continent restent par ailleurs en bonne position sur le front de la liquidité. A la différence de SVB, qui a subi une fuite massive de dépôts vendredi dernier , les banques européennes ont diversifié leurs risques à la fois par les clientèles servies et par les sources de financement (pas uniquement des dépôts bancaires, mais aussi des emprunts sur les marchés ou auprès de la BCE…). Cela constitue une protection, si d’aventure les déposants se retiraient massivement.
Une réglementation plus couvrante
Autre avantage des banques européennes : elles bénéficient d’une supervision unifiée pour la zone euro , assurée par la BCE. Un système qui avait pour vocation d’éviter qu’une autorité nationale ne mette la poussière sous le tapis pour sauver l’un de ses champions. Par comparaison, Credit Suisse est, précisément, surveillé par son autorité nationale.
Le système européen considère les banques comme « significatives » à partir de… 30 milliards d’euros de bilan, alors que ce seuil est de 250 milliards de dollars aux Etats-Unis. SVB échappait ainsi à certaines contraintes réglementaires, notamment en matière de liquidité. « La réglementation des banques européennes est la même pour toutes, quelle que soit leur taille », souligne Frédérick Lacroix, avocat en droit bancaire chez Clifford Chance.
Pour autant, les banques européennes ne sont pas « invulnérables », rappelle Moody’s. « Lorsque la confiance est rompue, la contagion peut être rapide », prévient l’agence de notation. « Les comportements irrationnels, la mentalité grégaire et les actions des vendeurs à découvert agressifs signifient que des impacts dommageables ne peuvent être exclus », abonde Scope Ratings.
« Un effondrement de Credit Suisse serait systémique »
Pour Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire de Candriam, la chute de SVB marque un tournant car elle illustre ce que tout le monde attendait. A savoir qu’on ne peut pas resserrer les taux sans que cela ait un impact sur le système financier.
Dans quelle mesure la chute de SVB marque-t-elle un tournant sur les marchés ?
La chute de SVB marque un tournant car elle est venue illustrer ce que tout le monde attendait . On ne peut pas resserrer les taux sans que cela ait un impact sur le système financier. Depuis SVB, on sait que toute hausse des taux supplémentaire aura un impact sur la stabilité financière. Les marchés ont changé de lunettes et ils analysent tout, et en premier lieu les difficultés de Credit Suisse , avec ces nouvelles lunettes. Ils risquent aussi de commencer à douter de l’efficacité de l’arsenal réglementaire mis en place après la grande crise financière de 2008.
Y a-t-il un risque de crise systémique ?
La réaction des autorités américaines a été très rapide après la chute de SVB . En soi, celle-ci n’est pas porteuse d’un risque systémique pour l’Europe. Elle nous incite à être plus prudents sur certains pans du marché : les banques régionales américaines ou les dettes subordonnées bancaires par exemple. A l’inverse, un effondrement de Credit Suisse serait systémique.
Le système bancaire européen est solide mais les interconnexions sont trop nombreuses pour que l’on puisse évaluer la portée d’un tel événement, s’il se produit. Les plus grands noms de la gestion d’actifs sont liés à Credit Suisse. Selon les données de Bloomberg, Blackrock possède 4 % du flottant, Vanguard 2,5 % et un certain nombre d’acteurs européens sont exposés comme UBS ou le gérant Pimco, dans le giron d’Allianz.
Faudrait-il évaluer tous les portefeuilles de titres des institutions financières à leur valeur de marché ?
Le décalage entre la valeur comptable de certains portefeuilles et leur valeur de marché, en mark-to-market, est désormais regardée de très près par les analystes financiers. La régulation permet à une grande partie des actifs des banques, mais aussi de l’assurance-vie ou des fonds de capital-investissement par exemple d’être évalués à leur valeur faciale dans les comptes.
En théorie, cela ne pose aucun problème car ils sont censés être conservés jusqu’à échéance [ils sont alors remboursés au pair, 100 % de leur valeur nominale, NDLR]. Mais en pratique, des sorties de capitaux importantes, si les déposants retirent leur argent ou si les investisseurs font des demandes de rachats importantes, peuvent se produire. Ce qui oblige alors à vendre des titres sur le marché et à constater les pertes. C’est ce qui est arrivé à SVB.
Qu’est ce qui vous a le plus surpris dans la réaction des marchés ces derniers jours ?
L’ampleur des mouvements sur les taux. On vit des séances hors du commun avec des détentes de plus 50 points de base sur les taux à 2 ans. La volatilité du marché obligataire a retrouvé des niveaux dont seuls ceux qui ont travaillé en salle de marchés dans les années 1980 se souviennent.