Fin des tickets de caisse : « Une fois de plus, les Français sont lésés par cette écologie punitive »

À quoi peut bien servir de supprimer les tickets de caisse, quand le papier est l’un des matériaux qui se recycle le mieux ? Une mesure nuisible, notamment aux personnes âgées, pour Maxime De Blasi, ancien élève de l’ENA, auteur-compositeur interprète et essayiste. À la place, alors que 80 à 90 % des déchets d’emballages plastiques ne sont pas recyclés, il appelle à une réorientation de l’industrie plasturgique.

Six ans après le prometteur et provocant « Make our planet great again » adressé à Donald Trump, l’écologie macronienne se solde par une consécration, un pinacle, une apothéose : la suppression des tickets de caisse au 1er août ! On pourrait rire de cette « mesurette des facturettes » si elle ne lésait pas les consommateurs, pour un impact écologique insignifiant car le papier est encore le plus recyclable et biodégradable des matériaux.

Les tickets de caisse sont essentiels pour beaucoup pour tenir leurs comptes, vérifier l’addition, et notamment pour les personnes âgées, dont on sait qu’elles sont les moins susceptibles de les consulter ultérieurement par mail ou SMS – ce qui d’ailleurs consomme de l’énergie, non renouvelable la plupart du temps, à la différence du papier des tickets de caisse.

Selon un très récent sondage, 80 % des plus de 66 ans conservent leurs tickets de caisse pour leurs achats alimentaires contre 65 % pour les autres. Une fois de plus, les consommateurs sont lésés et culpabilisés par cette écologie punitive, tandis que les distributeurs et les fabricants sont épargnés, eux qui par ailleurs continuent de noyer les Français sous les déchets plastiques, non recyclés et non recyclables sans qu’aucune amélioration ne soit visible malgré le vote d’une très timide loi antigaspillage qui ne donne aucun résultat ou presque tant les emballages plastiques prédominent dans la grande distribution.”

Qui ne fait pas le constat que nous sommes noyés sous des emballages plastiques ? Dans les foyers, la poubelle « recyclable » est devenue plus grosse que la poubelle « organique », beaucoup de Français peuvent faire ce constat. Or, il y a longtemps que l’on sait que 80 % à 90 % des déchets d’emballages plastiques ne sont pas recyclés : ils sont enfouis, brûlés ou finissent dans les océans, tuant les espèces marines, et condamnant à terme la santé humaine sous la forme de microbilles absorbées par la chaîne alimentaire marine et ultérieurement par l’homme.

Et pour la faible part qui est « recyclée », il s’agit en réalité d’un « décyclage » puisque le plastique de nos emballages finit sous la forme dégradée de revêtements, mousses, billes, ceci au prix d’une noria de « poubelles jaunes », de camions spécifiques, d’énergie pour le faire fondre dans les centres de « recyclage ». Un très maigre butin que celui du « recyclage » du plastique comme je l’ai exposé dans Marianne, pour une dépense publique de plusieurs milliards d’euros supportée par les collectivités locales, l’État et les Français !

UN RÉSULTAT NUL

Alors, Emmanuel Macron a bien organisé un sommet international, sorte de grand-messe, de « grand débat » très apprécié par ce « débagogue », mais qui conduit au final à ne pas agir, tant les intérêts internationaux sont divergents entre la France, l’Europe et la Chine et les États-Unis, on le savait dès le départ. Face à l’échec, une « ébauche » de traité international doit être proposée à la fin de l’année, très loin donc d’être finalisée, ni encore moins adoptée et mise en vigueur, juridiquement et dans les faits. Pourtant, Emmanuel Macron avait dit en ouverture qu’« il n’y a pas de temps à perdre ». Or, une action énergique et susceptible de résultats probants et rapides pour l’écologie et pour l’économie est possible au niveau national, supprimant rapidement les trois quarts des déchets plastiques si on le veut bien et si on tape du poing sur la table avec les fabricants et les distributeurs.

Il faut d’abord faire le bilan du recyclage du plastique : il est inefficace, et quand 10 à 20 % seulement sont « décyclés », on peut même parler d’échec. Alors mettons fin à la récolte différenciée qui « emm… » les Français pour un résultat nul, aux poubelles jaunes, aux camions spécifiques, à l’entier secteur du soi-disant « recyclage » du plastique. Concrètement, jetons, enfouissons le plastique avec les déchets normaux – ce qui ne changera rien avec la situation présente pour 80 à 90 % des déchets plastiques dont le recyclage est largement une fiction dans les faits.

EMBALLAGES VRAIMENT RECYCLABLES

Mais avec les milliards d’euros ainsi économisés par les collectivités territoriales, créons un fonds spécifique et subventionnons la réorientation de l’industrie plasturgique, très forte en France et notamment dans les vallées alpines, vers les matériaux de substitution au plastique réellement et concrètement recyclables qui existent déjà, souvent bien plus chers, et donc beaucoup moins utilisés. Même sans matériaux nouveaux d’ailleurs, une part importante des emballages plastiques actuels peut déjà être remplacée par des matériaux recyclables si la volonté politique est réellement là pour édicter une interdiction de principe du plastique, sauf exception. Les consommateurs français sont déjà prêts à des emballages moins « tape à l’œil » mais vraiment recyclables.

Surtout, en plus de remplacer le plastique par des matériaux réellement recyclables, cette interdiction et cette réorientation de la manne publique du « recyclage » permettra de développer et favoriser l’émergence en France d’un nouveau secteur industriel de pointe à haute valeur ajoutée et à forte capacité d’exportation, en forçant l’industrie plasturgique à s’adapter à la nouvelle donne pour lui permettre ultérieurement d’exporter ce savoir-faire des matériaux de substitution recyclables vers la Chine, les États-Unis et le monde entier.

Un leadership encore à prendre mais qui, compte tenu de la problématique mondiale du plastique, permet va s’avérer extrêmement porteur pour notre économie au XXIe siècle, bien plus que la conservation d’une situation existante condamnée à moyen terme. C’est ce que j’appelle « écologie stratégique » qui combine matériaux écologiques, développement d’un secteur industriel d’avenir, et association des consommateurs. Tout l’inverse de l’écologie punitive et antiéconomique actuellement pratiquée.

Il est des clients de grandes surfaces qui ont un mode d’emploi des achats greffé dans le cerveau. Ils arrivent avec une liste de courses, comparent les prix à la loupe, lorgnent les bonnes affaires du moment, arrivent à la caisse la boule au ventre, obsédés à l’idée d’avoir dépassé leur budget. Ensuite, ils regardent les produits défiler et les chiffres s’additionner, règlent leur facture et s’emparent du ticket de caisse. Une fois le dos tourné à la caissière, ils jettent un coup d’œil angoissé audit ticket afin de vérifier qu’il n’y a pas d’erreur, qu’ils ne se sont pas trompés, qu’ils n’ont pas été arnaqués – auquel cas ils poussent leur chariot vers le lieu où ils pourront obtenir réparation.

Ce sont des gens pour qui un sou est un sou ; et un euro, un euro. Ils en ont si peu dans leur poche qu’il leur faut compter en permanence. Pour eux, la suppression annoncée du ticket de caisse est une gifle supplémentaire, comme si on leur enlevait l’un des rares parachutes de secours qui les empêche de s’écraser sur le bitume du malheur. En effet, au nom d’une loi antigaspillage votée en 2020, le gouvernement a annoncé la fin de l’impression automatique du ticket de caisse. Initialement prévue pour le 1er janvier 2023, la mesure a été décalée au 1er avril (une bonne idée de poisson !) avant d’être de nouveau reportée au mois d’août ou de septembre, en raison de la hausse des prix – ce qui est une manière de reconnaître l’angoisse des familles.

« POIDS MORTS DE LA MODERNITÉ »

Hausse ou pas, le résultat sera le même. Des clients obligés de racler les fonds de tiroir pour remplir leur panier vont se retrouver dans l’impossibilité de vérifier qu’ils n’ont pas été roulés dans la farine en achetant leur pain. En guise de réponse, on leur dit qu’ils auront droit à des tickets dématérialisés, envoyés par SMS ou par courriel, ou qu’ils peuvent utiliser leur QR Code, comme tout le (petit) monde branché sur son téléphone portable en permanence, habitué au paiement via le smartphone. C’est oublier qu’il existe encore une frange de la population pour qui Internet, c’est de l’hébreu, qui n’est pas habituée à surfer sur le Web, qui ne peut pas se permettre de payer les yeux fermés, et qui veut vérifier de visu qu’elle en a eu pour son argent, ni plus ni moins.

Expliquer à tous les dépendants du ­ticket de caisse que cette époque sera bientôt révolue pour économiser un papier allègrement gaspillé par ailleurs, revient à leur dire qu’ils sont des poids morts de la modernité. C’est une vieille rengaine. On les rend déjà coupables du désastre environnemental en les accusant de rouler au diesel, de fumer des clopes, de ne pas être végétariens, de vouloir encore envoyer une lettre par la poste, voire d’être chasseurs, ce qui est un comble. Pas étonnant qu’ils se révoltent contre ce système et s’opposent aussi au recul de l’âge de la retraite, cette réforme conçue par des mackinseyistes qui se foutent du passage en caisse vu qu’ils la tiennent (la caisse).

Marianne