“Frantz Fanon – L’antiracisme universaliste” : Le livre que les wokes devraient lire
Avec « Frantz Fanon. L’antiracisme universaliste » (Michalon), notre collaborateur Kévin Boucaud-Victoire signe un essai fouillé sur l’œuvre révolutionnaire du psychiatre d’origine martiniquaise.
Comment définir Frantz Fanon autrement qu’en épluchant avec rigueur toute son œuvre ? C’est ce travail que Kévin Boucaud-Victoire rédacteur en chef de la rubrique « Débats-Idées » de Marianne a entrepris puis réalisé avec la publication en ce début d’année de Frantz Fanon. L’antiracisme universaliste (Michalon). Rendant grâce par la même occasion aux travaux de l’auteur des Damnés de la terre (1961), modernes avant l’heure et d’une complexité bienvenue alors que notre époque en manque tant.

« Trop culturaliste pour les uns, trop universaliste pour les autres » comme le définit Alice Cherki, l’une de ses disciples, Fanon s’est battu pour disséquer le système colonial et signaler les monstres qu’il pouvait engendrer, en particulier le racisme et l’aliénation, autant que pour dessiner des perspectives heureuses pour l’Afrique : démocratique, socialiste, mais aussi laïque. Très didactique, cet ouvrage est découpé en trois parties, soit autant de faces du psychiatre d’origine martiniquaise. D’abord, Fanon l’antiraciste, puis l’anticolonialiste. Lui qui a découvert le racisme en France en fera très vite son objet d’étude, notamment du côté des colonies. Selon lui, si « la mise en place du régime colonialn’entraîne pas pour autant la mort de la culture autochtone, le but recherché est davantage une agonie continuée qu’une disparition totale de la culture préexistante ».
Contre la « négritude »
Un asservissement culturel qui mène à l’infériorisation, avec des conséquences pour les colonisés comme pour les colons. « L’infrastructure raciste crée une superstructure raciste, qui renforce l’infrastructure raciste, et ainsi de suite, note Kévin Boucaud-Victoire se référant à la primordialité de la base matérielle d’une société notamment théorisée par Karl Marx. Voilà pourquoi, à travers la culture, la société raciste produit des individus racistes. » Face à cela, Fanon notait que les Algériens, pour leur part, avaient tenté de résister sur le plan culturel avec une « attitude de contre-assimilation, de maintien d’une originalité culturelle, donc nationale ». En s’accrochant, par exemple, au hidjab. Une démarche contre-productive qui « fige la société algérienne », notait-il.
C’est le Blanc qui crée le nègre, mais c’est le nègre qui crée la négritude » expliquait Fanon.
La « négritude », d’ailleurs, parlons-en. Ce concept, apparu dans l’Étudiant noir revue créée par Aimé Césaire dans les années 1930, qui a pour but de valoriser les Africains et leur culture face à l’oppression coloniale est pour Fanon une « impasse ». Kévin Boucaud-Victoire le décrit parfaitement : « La négritude, comme tout culturalisme, lui apparaît plus comme une pathologie du racisme que comme une solution viable. Certes, le repli sur des “traditions crispées”, comme il l’écrit plusieurs fois, est un mode de résistance à la domination coloniale. Mais il ne peut mener à aucune émancipation, et risque au contraire de reproduire le pire de la situation précoloniale. »
C’est en définitive « un nouvel humanisme » que défend Fanon, en proposant de construire de l’universel à partir des particularités. « À une époque où l’antiracisme dit “politique” aime s’opposer à l’universalisme, en raison des exactions commises en son nom, ce pan, souvent laissé de côté, de la pensée de Fanon devrait être redécouvert d’urgence » estime Kévin Boucaud-Victoire. Cette publication en est l’occasion parfaite.
Frantz Fanon. L’antiracisme universaliste de Kévin Boucaud-Victoire, « Le Bien commun », Michalon, 128 p., 12 €.