Fraude fiscale de plusieurs milliards d’euros : Nouveau procès pour les héritiers du collectionneur d’art Daniel Wildenstein
Après deux relaxes, les Wildenstein seront-ils condamnés pour une fraude fiscale de plusieurs centaines de millions d’euros ? Les héritiers de la famille de marchands d’art sont rejugés à partir de lundi 18 septembre à Paris lors d’un troisième procès ordonné par la Cour de cassation. Dans le dossier, exceptionnel par ses montants à neuf chiffres et par les rebondissements qu’il a connus, doivent comparaître Guy Wildenstein, son neveu Alec junior et son ex-belle-sœur Liouba Stoupakova, ainsi que deux avocats, un notaire et deux gestionnaires de fonds.
Ils sont poursuivis pour avoir, après les décès de Daniel Wildenstein en 2001 puis de son fils Alec senior en 2008, dissimulé la majeure partie d’un patrimoine estimé à plusieurs milliards d’euros : somptueux ranch au Kenya, tableaux de Bonnard, Fragonard ou Caravage, chevaux de course, galeries d’art… Ces biens étaient placé dans des « trusts », des sociétés de droit anglo-saxon qui abritent des actifs confiés par leur propriétaire à une personne de confiance, le « trustee ».

550 millions de redressement réclamés par le fisc
Pour le fisc, qui leur avait réclamé en 2014 un total de 550 millions d’euros en droits éludés et pénalités, ils auraient dû intégrer ces actifs dans les déclarations de succession. Guy et Alec avaient mentionné 40,9 millions d’euros d’héritage en 2002 et payé – en bas-reliefs sculptés pour la laiterie de la reine Marie-Antoinette – des droits de succession de 17,7 millions d’euros.”
« Après deux relaxes successives en faveur de Guy Wildenstein, nous sommes confiants dans la décision à venir », a déclaré Me Olinka Malaterre, avocate du Franco-Américain aujourd’hui âgé de 77 ans.
La première relaxe date du 12 janvier 2017, une décision en contraste total avec les réquisitions sévères du Parquet national financier (PNF), qui avait parlé de la fraude fiscale « la plus lourde et la plus sophistiquée » de la Ve République.
Le fonctionnement des « trusts » analysé
Le tribunal avait invoqué les lacunes de l’enquête et de la législation française. Ce n’est qu’en 2011, donc après les deux déclarations de succession, qu’une loi est venue organiser en France la fiscalité des « trusts ».
Le 29 juin 2018, la cour d’appel avait confirmé la relaxe dans la même logique, estimant en outre que les faits étaient en partie prescrits.
Mais le 6 janvier 2021, la Cour de cassation avait annulé la décision et ordonné un nouveau procès. La haute juridiction avait écarté la prescription et estimé qu’avant la loi de 2011, il n’y avait pas « absence de toute fiscalité » sur les « trusts ».
Toute la question est de savoir si les Wildenstein s’étaient réellement dessaisis de leurs biens via ces structures : si c’était le cas, ils n’avaient pas à les déclarer. Au contraire, s’ils pouvaient en disposer, ils auraient dû payer les droits de succession sur l’intégralité du patrimoine.
Les audiences devraient ainsi être consacrées à décortiquer le fonctionnement précis des « Sons trust », « David trust », « Delta trust », « Sylvia trust »…
Deux veuves s’estimaient lésées
L’affaire avait démarré avec la saisine de la justice par deux veuves en secondes noces qui s’estimaient lésées : Sylvia Wildenstein (depuis décédée) et Liouba Stoupakova, 50 ans, jugée pour complicité de blanchiment.
« Mme Stoupakova est concernée par un appendice de ce dossier. Nous n’avons pas d’inquiétude concernant la confirmation du jugement sur sa relaxe », a déclaré Me François Honnorat, son avocat.
L’avocat Peter Altorfer, 70 ans, qui comparaît en tant que « protecteur » des trusts pour complicité et blanchiment aggravé de fraude fiscale, « est de nationalité suisse, il n’avait strictement aucune connaissance de la fiscalité française », a fait valoir son conseil Me Jean-Yves Dupeux.
« La fiscalité française sur les trusts était absolument nulle (…) par conséquent, on voit mal comment il aurait pu prêter son concours à une fraude fiscale », a-t-il poursuivi.
Plusieurs procédures civiles sont toujours en cours, en parallèle, concernant les considérables redressements fiscaux adressés aux héritiers. Le procès doit s’achever le 4 octobre et la décision du tribunal sera mise en délibéré.
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La dynastie des Wildenstein, saga hors normes au coeur du monde de l’art
Le procès pour fraude fiscale de cette famille qui a régné sur le marché de l’art pendant plus d’un siècle s’ouvre à Paris ce 18 septembre. Une affaire retentissante, à la dimension d’une saga hors normes.

Guy Wildenstein (ici en 2016), 78 ans, sera le seul parmi les héritiers de son père Daniel à affronter les juges à compter du 18 septembre.
Ils ont eu une ferme en Afrique. Immense, magnifique, s’étendant sur plus de 30.000 hectares. Le ranch d’Ol Jogia a servi de décor au film Out of Africa signé Sydney Pollack, avec Meryl Streep et Robert Redford. À chaque Noël, la tribu aimait s’y retrouver, à l’abri des regards. Une année, pour amuser ses petits-enfants, Daniel Wildenstein avait fait venir sur les terres arides kenyanes un traîneau tiré par des antilopes. Immensément riches, collectionneurs et marchands ultrasecrets, les Wildenstein ont régné sur le monde de l’art pendant plus d’un siècle. Aujourd’hui, de scandales en procès, la dynastie Wildenstein s’éteint dans un lent crépuscule. Devenus trop sulfureux mais toujours aussi fortunés – eux se disent ruinés -, ils ont perdu une grande partie de leur influence. Leur histoire, elle, reste incroyable.
Nul n’a jamais connu avec certitude l’étendue de leur fortune… même pas eux sans doute : 3 milliards d’euros, 7, voire 10, sous forme de tableaux, propriétés – dont un immense appartement avenue Montaigne, un autre avec piscine à Manhattan -, de châteaux, de yachts… Les chiffres les plus fous ont été avancés. Depuis 2013, le fisc français leur réclame, pénalités comprises, plus de 600 millions d’euros. Aujourd’hui, à l’heure où s’ouvre à nouveau le procès de la famille, il ne reste que Guy Wildenstein, 78 ans, parmi les héritiers de Daniel, pour affronter les juges. Le patriarche, désormais seul aux commandes de Wildenstein & Co, est renvoyé pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. L’audience en appel de cette affaire retentissante doit se tenir à Paris du 18 septembre au 4 octobre.

Daniel Wildenstein, le petit-fils de Nathan, le fondateur de la dynastie, en 1977, posant parmi ses tableaux, dans sa galerie new-yorkaise.
Voici plusieurs années maintenant que la nouvelle génération des Wildenstein cherche à se faire oublier. Comme si elle prenait acte de la splendeur ternie des « W ». Les champs de courses ont vu disparaître la célèbre casaque bleu azur de la famille, l’autre passion de la famille… et l’objet du scandale. Diane Wildenstein, la fille d’Alec (le frère de Guy), décédé en 2008, a liquidé fin août ce qui restait de l’écurie familiale. Son oncle Guy avait déjà vendu une centaine de chevaux en 2016. C’était juste après avoir cédé pour près de 80 millions de dollars, l’immeuble de la mythique galerie de New York dont le terrain avait été acheté en 1931 par le fondateur de la dynastie, Nathan Wildenstein dans la 64e rue. Depuis, Wildenstein & Co s’est installé au 15e étage d’un immeuble sans âme à Midtown.
Même l’Institut Wildenstein fondé à partir de la bibliothèque appartenant au grand-père, s’est dilué en 2016 dans une institution à but non lucratif créée par Guy Wildenstein et la fondation d’origine allemande, Hasso Plattner, spécialiste des technologies digitales. L’institution abritait les catalogues « raisonnés », ces sommes gigantesques permettant de répertorier l’ensemble de l’oeuvre d’un artiste. Une « traçabilité » qui a largement contribué à la réussite de la famille.
Sylvia, la seconde épouse de Daniel Wildensetin, avec «Cocktail Jet», vainqueur du Grand Prix d’Amérique, en 1996. Depuis, l’écurie à la casaque bleu azur a été vendue.
« Les Wildenstein, c’était le mélange parfait de la culture et de l’argent, explique Corinne Hershkovitch, une avocate reconnue dans le monde de l’art, spécialisée notamment dans la restitution des biens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années d’après-guerre aucune oeuvre ne se vendait sans eux. Les plus beaux tableaux anciens et modernes sont passés entre leurs mains. Et puis ça a été la dégringolade. »
Pour bien comprendre le sort de cette dynastie qui a régné sur le marché de l’art pendant quatre générations, relire Thomas Mann et son oeuvre majeure, les Buddenbrook, ne serait pas inutile. L’auteur allemand nobélisé y raconte avec une particulière acuité sociologique le destin d’une famille de riches marchands de la Hanse, son ascension, à la fin du XIXe siècle, sa consolidation dans la rigueur et le travail, puis les compromissions et les scandales qui la conduiront à un lent et inexorable déclin.
Dans les années d’après-guerre, aucune oeuvre ne se vendait sans eux. Les plus beaux tableaux anciens et modernes sont passés etre leurs mains. Et puis, ça a été la dégringolade.” – Corinne Hershkovitch Avocate
C’est à la même époque, en 1870, que Nathan Wildenstein, le fondateur de la dynastie, quitte son Alsace natale. L’aîné des sept enfants de cette famille juive ashkénaze d’éleveurs de chevaux ne veut pas devenir allemand et se fait marchand de tissus à Vitry-le-François. Il ne reverra jamais sa famille et cachera même toute sa vie ses origines à sa femme et à ses enfants à qui il racontera être le fils unique d’un rabbin. Le secret déjà. Le mensonge sera découvert des années plus tard par son petit-fils Daniel Wildenstein qui le révèle dans Marchands d’art, un livre écrit avec Yves Stavridès.
La légende familiale veut que ce soit la rencontre avec une cliente, impressionnée par les talents de commerçant de Nathan qui décidera de son destin. Cette femme lui demande un jour de vendre pour son compte des tableaux dont elle veut se débarrasser. Sur cette première vente, Nathan touchera une commission de 1.000 francs qu’il réinvestira dans l’achat d’un Boucher et d’un pastel de Quentin de la Tour… Comme la légendaire pomme des Rockefeller, le petit tableau marquera le début de la dynastie et de la fortune des Wildenstein.
Guy Wildenstein, le 10 septembre 2015, dans les réserves de sa galerie du Wildenstein & Company Building, 64e rue, à New York.
Nathan se lance en effet dans le commerce de l’art avec un sens aigu du négoce et une force de travail hors du commun. Pour se former, il passera dix jours enfermé au Louvre avant de se spécialiser dans le XVIIIe siècle français auquel il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie. À cette époque, Les Fragonard, Watteau, Boucher, Greuze ou Quentin de la Tour sont encore peu recherchés par les collectionneurs. Ruinée par la guerre, la noblesse de France vend ses tableaux à Nathan, qui réalise au passage des affaires formidables.
Pressentant l’internationalisation du marché, dès 1889, Nathan Wildenstein ouvre une galerie à Londres, puis en 1903 à New York. Les premiers clients ne seront autres que le banquier John Pierpont Morgan et Randolph Hearst, propriétaire du New York Journal qui feront beaucoup pour sa reconnaissance. La maison Wildenstein rivalise vite avec les Seligman, les Vollard et tous les autres grands marchands d’art. Né en 1892, son fils Georges, la fera rayonner au-delà des frontières et des siècles.
L’omerta en règle de conduite
Intellectuel raffiné, ami des cubistes, puis des surréalistes, ce dernier devient un des très grands spécialistes des impressionnistes. Dans ses mémoires, son fils, Daniel se souvient des déjeuners « de la petite bande » dans l’hôtel particulier de la rue La Boétie à Paris : Georges Bataille, Max Ernst, André Breton, Michel Leiris, le « très drôle » Marcel Duchamp et Dali, « le préféré de papa ». Quelle enfance ! Quelles rencontres aussi, comme lorsque Georges emmène son propre fils rencontrer… Claude Monet à Giverny. Le même Georges inscrit définitivement la famille Wildenstein parmi les très grands intellectuels et collectionneurs d’art.
C’est lui qui a l’idée géniale « d’industrialiser » les catalogues raisonnés qui vont leur permettre de tracer les oeuvres et d’être les premiers à se rendre chez les héritiers pour acquérir les plus belles pièces. « Georges a transformé les Wildenstein de marchands classiques en experts et collectionneurs de premier plan, s’enthousiasme l’expert français Eric Turquin. Les Wildenstein ont fait vivre des centaines d’historiens d’art. Les catalogues Manet ou Vernet font encore aujourd’hui référence. Ils étaient à la pointe de la découverte. »
En mai 1963, Georges Wildenstein, avait reçu «Paris Match» dans son bureau de la rue La Boétie, où il gardait sa précieuse collection de miniatures.
Pour autant, tout n’est pas rose chez les Wildenstein. « Mon père a été un mauvais père. Et j’ai donc été un mauvais fils » , convient Daniel dans ses mémoires. Georges est dur, sévère, austère. Secret jusqu’à la paranoïa – « On aurait dit le grand chef du FBI », se souvient encore Daniel – Georges Wildenstein continue d’amasser les oeuvres fabuleuses en toute discrétion, en conservant les stocks sans jamais révéler ce qu’il possède.
Mieux vaut passer pour un crétin que pour un bavard: dans ma famille, nous avions élevé la discrétion au rang du mutisme.” – Marchand d’art
L’omerta est érigée en règle de conduite. « Il vaut mieux passer pour un crétin que pour un bavard », disait Georges « Dans ma famille, nous avons élevé la discrétion au rang de mutisme. On ne parle pas. On ne raconte pas. On ne se raconte pas. Nous avons toujours été terriblement secrets, et c’est probablement un tort », a reconnu Daniel Wildenstein, qui perpétuera cependant la tradition familiale et sera tout aussi sévère avec Guy et Alec, ses fils, les humiliant parfois en public. Il trouve inutile qu’ils fassent des études, trouvera dangereux qu’ils se marient. Au lieu de ça, il les traîne dans les musées et… dans les maisons closes.
Première alerte en 1999
Et les femmes dans cette histoire ? Les mères, les filles, les sœurs ? Il en est rarement question. Au moment de la naissance de Daniel, son grand-père qui se promenait dans le jardin avait prévenu : « Si c’est un garçon, faites sonner la cloche, si c’est une fille, ce n’est pas la peine. » D’Elisabeth, la sœur aînée de Georges, Daniel dira qu’elle était « bête, laide et pimbêche ». Elle sera cependant la première, à la mort de Nathan en 1934, à attaquer en justice les mâles Wildenstein pour toucher une partie de l’héritage paternel et finira, quatorze ans après, par grappiller quelques miettes. Puis, ce sera au tour de Miriam, la sœur de Daniel, de s’épuiser à demander son dû. Sans succès. Leurs successeures se vengeront.
La première véritable alarme sonne en 1999 avec le divorce d’Alec, le frère aîné de Guy. Surnommée par la presse, la « fiancée de Wildenstein », Jocelyne, la première femme d’Alec, défigurée par l’abus de chirurgie esthétique divorce à grand fracas de son mari. Celui-ci, surpris dans le lit conjugal avec une de ses maîtresses l’a menacée d’un pistolet et lui refuse toute indemnisation.
La revanche de la femme bafouée
La femme bafouée fait éclater le scandale, parle à presse, révèle les réserves fabuleuses des Wildenstein, notamment les tableaux cachés et transférés sans droits de douane. Pire, elle susurre que la famille aurait « aryanisé » certaines de ces oeuvres afin de les conserver et sauver l’entreprise familiale pendant la Seconde Guerre. Le retentissant procès vire au grand déballage, contraignant Daniel à sortir son carnet de chèques pour faire taire la trop bavarde et voyante bru et retrouver vite l’anonymat indispensable aux affaires.
Selon le New York Times Magazine, le tribunal de New York, où le couple vivait, aurait évalué la collection d’art de la famille à environ 10 milliards de dollars et, pour les juges, les revenus déclarés par Alec « insultaient l’intelligence du tribunal ». Le couple aurait transigé pour 3,8 milliards de dollars « ce qui constituerait le plus important accord de divorce de New York » écrit le magazine américain, précisant que Jocelyne nie le montant de l’accord mais admet qu’il était « énorme ».
Le coup de semonce a été rude, mais la famille fait corps et le scandale passe. Le personnage de Jocelyne, hors norme, fait douter de ses propos délirants. Le décès de Daniel en 2001, puis celui d’Alec en 2008 vont remuer une boue autrement plus collante et dangereuse.
Dallas-sur-Seine
Sylvia Roth est la seconde femme de Daniel Wildenstein, donc la belle-mère de Guy et d’Alec. Daniel et elle se sont mariés en secondes noces en 1978, après dix-sept ans de vie commune. « Pour te protéger de mes enfants », lui avait-il expliqué lors de la cérémonie. Tristement prémonitoire, car la guerre de succession entre la veuve et ses beaux-fils va devenir un véritable « Dallas-sur-Seine », comme l’a qualifié Sylvia juste avant sa mort.
« Ils l’ont prise pour une c… », résume plus prosaïquement son avocate Claude Dumont Beghi. Pendant des années, l’ancienne mannequin a joué à la ravissante idiote, entourée de personnel et d’oeuvres d’art dans au moins cinq maisons sur cinq continents. C’est son mari qui signe les chèques. À la mort de Daniel, Guy et Alec font croire à Sylvia que leur père est mort ruiné, qu’un redressement fiscal va la mettre sur la paille. À moitié vrai. Depuis 1996, le fisc français s’intéresse en effet au train de vie de Daniel qui déclarait en tout et pour tout 870 francs de revenus mensuels. Sylvia les croit et accepte de renoncer à tout héritage. En échange, ils lui promettent une rente annuelle.
Liouba, la seconde femme d’Alec, en 2001, au Prix de Diane, à Chantilly
Mais très vite les choses changent. Guy renvoie ses affaires des îles Vierges, là où elle passait des vacances avec Daniel depuis des années. Elle n’est plus invitée aux fêtes de famille dans le ranch du Kenya. Surtout, elle va s’apercevoir que Guy et Alec ont transféré la propriété de ses pur-sang, ses « bébés », dans un fonds leur appartenant. Elle engage alors une avocate parisienne, Claude Dumont Beghi, qui se souvient : « Guy et Alec étaient confits dans leur arrogance avec un mépris insolent pour les femmes ».
L’avocate et sa cliente partent à la chasse : où sont passés les fabuleux tableaux qui ornaient les résidences de la famille ? Où est particulièrement ce si joyeux Nu rose à la baignoire de Bonnard, que Daniel avait offert à Sylvia alors qu’elle l’avait admiré chez un marchand ? Comment se fait-il qu’avec les oeuvres d’art, l’écurie de chevaux de course, le château de Marienthal, dans l’Essonne, Xanadu, l’îlot dans les îles Vierges britanniques, la résidence dans l’Upper East Side, le quartier le plus huppé de New York, ou encore le gigantesque ranch au Kenya, Guy et Alec n’aient déclaré « que » 40,9 millions d’euros au fisc ?
Des holdings en cascade
L’avocate pugnace ne met pas longtemps à découvrir que la propriété du mirobolant patrimoine familial est en grande partie dissimulée dans des trusts établis dans des paradis fiscaux, aux Bahamas, aux îles Caïmans ou à Guernesey. Détenus via une cascade de holding, les précieux biens échappent au fisc.
Quant aux Watteau, Poussin, Titien, Caravage, Bonnard, Fragonard, Monet Gauguin… ils s’entassent dans des ports francs, comme celui de Genève. Indépendants de toute juridiction nationale, ils permettent aux négociants de stocker et d’expédier les oeuvres sans payer de taxes ou de droit de douane. Pour la propriété de l’écurie, l’enquête révélera que les fils ont fait signer à leur père dans le coma l’acte de vente, deux jours avant sa mort.
Alec Wildenstein, le second fils de Daniel, lui aussi en 1977 parmi les tableaux conservés dans les coffres de la galerie Wildenstein, ouverte par son aïeul Nathan, 64e rue à New York.
Le décès en 2008 d’Alec vient encore grossir l’affaire. Liouba Stoupakova, la seconde épouse d’Alec, s’estimant, elle aussi, flouée par la famille va fournir au fisc et à l’avocate de Sylvia nombre de documents compromettants. Notamment ceux prouvant l’existence du Delta Trust, et de son milliard de dollars de toiles de maîtres.
Des perquisitions dans les coffres des Wildenstein en France permettront de trouver des oeuvres d’art disparues depuis longtemps, notamment des tableaux de Degas et de Berthe Morisot, relançant les rumeurs sur le passé sulfureux des « W » pendant la seconde guerre mondiale et leurs rapports avec le régime nazi. Un héritier portera plainte. Mais l’affaire sera classée.
Il n’empêche, l’image des Wildenstein est ternie. « Le marché de l’art a changé et se tourne plus volontiers vers l’art contemporain ce qui n’est pas la spécialité des Wildenstein. Ils ont perdu leur volonté de puissance », note Eric Turquin. Et puis, désormais, l’affaire n’est plus celles des veuves flouées, mais celle du fisc français. Ne demeure que Guy Wildenstein en tant que responsable de l’entreprise familiale pour l’affronter, ses quatre enfants se font plus que discrets, de même que le fils et la fille d’Alec. Il reste que ce drame familial est devenu un cas d’école du droit pénal fiscal et met en lumière les rouages pas toujours reluisants du commerce de l’art. Un marché qui, comme les Wildenstein, aime sans doute trop le secret.
Ce que le fisc reproche aux Wildenstein
Après la confirmation par la cour d’appel de Paris de la spectaculaire relaxe prononcée en première instance en juin 2018, la Cour de cassation a annulé le 6 novembre 2021 ladite relaxe des héritiers Wildenstein et de leurs conseillers poursuivis pour fraude fiscale et ordonné un nouveau procès par la cour d’appel. Le fisc considère que le clan a dissimulé au fil des successions la réalité de son patrimoine, en particulier celui logé dans des trusts. Une pratique qui s’est perpétuée de génération en génération aboutissant à un impôt et des pénalités dont le cumul représente peu ou prou l’équivalent de l’actif successoral estimé par le fisc à 616 millions d’euros, bien au-delà des 40,9 millions déclarés à l’époque du décès de Daniel pas ses fils. Les Wildenstein contestent cette analyse qui « ne repose sur aucune jurisprudence ou doctrine ». De plus, leur défense fait valoir que la loi qui a fiscalisé, en France, certains biens trustés date de 2011, donc bien après les différentes successions.