Gale, syphilis, scorbut… : Ces anciennes maladies qui refont surface
On les pensait appartenir au passé. Certaines maladies anciennes n’ont pourtant pas dit leur dernier mot, et certaines augmentent même. Goutte, gale, syphilis ou scorbut… Des maladies surgies du passé, que beaucoup croient oubliées. Et pourtant: non contentes de perdurer, certaines sont même en augmentation. Flambée de l’obésité, moindre peur du sida, précarité, mauvaise alimentation ou méfiance vaccinale… Paradoxalement, c’est parfois la modernité qui favorise leur retour.
François Ier, Beethoven, Rimbaud, Maupassant ou Staline… Tous ont payé leur tribut à la «grande vérole», dont on pensait que les progrès de la médecine avaient scellé le sort. «Mais la syphilis est bien de retour», confirme le Pr Nicolas Dupin, dermatologue et vénérologue (hôpital Cochin, Paris). Certes, pas dans les mêmes proportions qu’en 1860, où elle avait tué 120.000 Français ; mais alors qu’elle avait quasi disparu dans les années 1980-1990, les CeGIDD (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles) en ont rapporté 3300 cas en 2021. Des chiffres probablement en deçà de la réalité puisque la syphilis n’est plus à déclaration obligatoire et qu’elle est probablement sous-diagnostiquée, tant elle peut prendre des allures polymorphes au stade secondaire.

La plus forte progression dans le domaine des IST (infections sexuellement transmissibles) concerne toutefois les gonococcies (aussi appelées blennorragies, ou «chaude-pisse»), avec 13.800 cas diagnostiqués par les CeGIDD en 2021 après une chute des contaminations entre 2019 et 2021 probablement due aux restrictions de sorties durant la pandémie de Covid-19. «On a même vu revenir le lymphogranulome vénérien (LGV), remarque le Pr Dupin. Il avait quasi disparu depuis les années 1960, mais quelques centaines de cas ont été diagnostiqués en 2022 en France. D’origine bactérienne, le LGV se traduit par des ulcérations sur les parties génitales ou anales, avec un gros ganglion qui fistulise et se vide (à traiter par antibiothérapie).» En cause dans toutes ces résurgences: un moindre recours au préservatif, depuis que les antirétroviraux ont réduit la peur du sida.
C’est une tout autre raison qui explique la progression d’une maladie comme la goutte, surnommée «maladie des rois» tant elle a été associée à une alimentation trop riche et un excès d’alcool. Louis XIV, Newton ou Darwin auraient souffert de cette pathologie héréditaire qui touche 1 % des adultes en France. «Sa prévalence augmente dans tous les milieux, notamment aux USA et dans les pays développés (5 % aux USA, 4 % en Angleterre), et elle apparaît dans des pays où elle n’existait pas auparavant (Chine, Afrique), explique le Pr Pascal Richette, rhumatologue (clinique de la Goutte, hôpital Lariboisière, Paris).
Cela s’explique par la hausse de l’obésité, du diabète et du recours aux diurétiques favorisant l’élévation de l’acide urique dans le sang, raison pour laquelle les insuffisants rénaux, cardiaques et les transplantés rénaux sont à risque.» Les «goutteux» étant mal pris en charge, la sévérité augmente en parallèle: «Sur près de 400 000 goutteux dans notre pays, seulement 20 % à 30 % reçoivent un traitement de fond bien conduit pour abaisser leur uricémie. Traiter les accès inflammatoires ne suffit pas», note le Pr Richette, d’autant qu’il existe «une association forte entre la goutte et les insuffisances coronarienne, cardiaque et rénale. De plus, les crises de goutte exposent à un risque accru d’infarctus du myocarde. Il y a donc urgence à mieux traiter.»
Risque d’importation
À l’inverse, ce sont parfois des conditions de vie précaires ou une mauvaise alimentation qui expliquent le retour de certaines maladies. Ainsi la tuberculose n’est toujours pas éliminée en Europe et la France est à la 8e place, avec 7,7 cas pour 100.000 habitants, les plus touchés étant les SDF (167,7 cas/100 000), les détenus et les personnes nées hors du territoire. En 2019, plus de 5000 cas ont été déclarés, principalement en Île-de-France, en Guyane et à Mayotte. Le vaccin (BCG), qui n’est plus obligatoire depuis 2007, ne confère que 50 % de protection contre les formes pulmonaires mais est très efficace sur les formes graves.
«En cas d’infection liée au contact avec un malade de la tuberculose, le risque de développer la maladie est de 5 % dans les deux ans qui suivent et 5 % dans le reste de sa vie. Elle peut donc se déclarer tardivement, d’où un impact difficile à évaluer de l’arrêt de la vaccination. Cependant, il n’y a pas eu d’exemple de recrudescence dans les autres pays où ce vaccin n’est plus réalisé depuis longtemps», rassure le Dr Paul-Henri Consigny, infectiologue et directeur du centre médical de l’Institut Pasteur (Paris). Scorbut ou gale aussi sont favorisés par la précarité.
Le premier touchait autrefois les marins passant des mois en mer sans consommer ni fruits ni légumes, et on le pensait disparu des pays développés depuis deux siècles ; mais une étude présentée lors du Congrès de recherche en médecine générale de Nice, en 2012, a estimé que jusqu’à 10 % des populations précaires sont touchées. Pour la gale, dont la transmission est favorisée par la promiscuité, il n’existe pas de surveillance, donc pas de chiffres récents ; mais Santé publique France estime qu’elle a augmenté de 10 % entre 2002 et 2010, pour toucher 328 habitants sur 100 000 en 2010. Depuis, des foyers sont régulièrement rapportés et les ventes d’antiparasitaires (remboursées, donc traçables) ne faiblissent pas, bien au contraire.
Il arrive aussi que des maladies disparues chez nous persistent dans d’autres régions du monde, avec un risque d’importation, surtout si la population néglige la vaccination. «En 2022, une trentaine de cas de diphtérie, majoritairement des formes cutanées moins graves (ulcérations qui guérissent mal), ont été répertoriés chez des personnes d’origine afghane et syrienne, non vaccinées, illustre Sylvain Brisse, directeur du Centre national de référence de la diphtérie et directeur du Centre national de la coqueluche (Institut Pasteur, Paris). Il n’y a pas eu de transmission à la population française, bien vaccinée .» Attention aussi àla polio, qui «sévit toujours en Afghanistan, au Pakistan, au Mozambique, indique le Dr Consigny. Un voyage est une bonne occasion de se mettre à jour avec le calendrier vaccinal français. Contrairement aux enfants ciblés par les obligations vaccinales, les adultes ne sont pas toujours attentifs à leurs rappels.»
La défiance vaccinale est une dernière cause de résurgence: la rougeole, dont l’Organisation mondiale de la santé estime pourtant qu’on pourrait l’éradiquer grâce à la vaccination, avait quasi disparu en France. Mais une baisse de la vaccination a fait émerger des pics depuis 2008, avec un maximum en 2011 (15.000 cas). En 2018, seuls 79 % de nourrissons étaient vaccinés, alors qu’il faut atteindre 95 % de couverture vaccinale pour empêcher la maladie de circuler ; la vaccination à deux doses est donc devenue obligatoire. Une stratégie qui, avec les gestes barrières adoptés durant le Covid, a porté ses fruits: seuls 16 cas (dont 5 importés) ont été comptabilisés en 2021 et 7 en 2022, contre 2919 en 2018.
La rougeole, parfois mortelle, toujours évitable

La rougeole est due à un virus dont l’unique réservoir est l’homme.
Elle profite de la méfiance vaccinale. La rougeole est due à un virus dont l’unique réservoir est l’homme. Parmi les plus contagieux, il se transmet par voie aérienne principalement et se traduit par une forte fièvre, de la toux, une rhinopharyngite et une conjonctivite, puis dans sa forme la plus connue une éruption cutanée (taches rouges). Mais la rougeole peut aussi entraîner des complications pulmonaires et/ou neurologiques graves sources de séquelles ou de décès. Il n’existe pas de traitement antiviral efficace. En revanche, le vaccin confère une bonne immunité, probablement à vie, à la quasi-totalité des personnes ayant reçu deux doses.
La gale, maladie qui démange
Très contagieuse, elle est favorisée par la promiscuité due à la vie en communauté (camps, colocations, crèches, maisons de retraite, etc.). La gale est due à un petit parasite invisible à l’œil nu (un acarien) qui pénètre dans l’épiderme et s’y reproduit. Le risque lors d’achat de linge de seconde main est probablement très faible: l’infection se fait presque toujours par contact direct car l’acarien en cause ne survit pas longtemps en dehors de son hôte. La gale entraîne de vives démangeaisons, d’où des lésions de grattage et des troubles du sommeil. Outre le traitement antiparasitaire, il faut décontaminer l’environnement. La maladie ne confère pas d’immunité, une personne guérie peut donc contracter la gale une seconde fois.
La goutte, quand la génétique rencontre l’abondance

Les crises de goutte doivent être traitées, mais pas seulement: un traitement de fond doit abaisser le niveau d’acide urique.
Obésité, diabète et usage des diurétiques favorisent la goutte. Due à un excès d’acide urique dans le sang pour des raisons avant tout génétiques, elle entraîne des poussées inflammatoires douloureuses dues à des dépôts de microcristaux d’acide urique dans les articulations. S’il y a un «goutteux» dans la famille, cela vaut la peine de doser son uricémie. Les crises doivent être traitées, mais pas seulement: un traitement de fond doit abaisser le niveau d’acide urique. Un régime alimentaire adapté est nécessaire (pas d’excès d’alcool, de viandes, de charcuteries qui font grimper l’uricémie), mais il n’est pas suffisant.
Syphilis, la grande simulatrice
Sexuellement transmissible, elle profite de la baisse du recours au préservatif liée à une moindre peur du sida. Elle touche principalement les hommes ayant des rapports avec des hommes (78 % des syphilis récentes). La syphilis est surnommée «la grande simulatrice», car quelques semaines après le premier stade (un chancre indolore guérissant spontanément) peuvent apparaître des éruptions cutanées, une alopécie ou des inflammations au coin des lèvres. Œil, reins, etc. peuvent être touchés. La syphilis tertiaire, qui atteint principalement le système nerveux et le cœur après des années d’évolution, est exceptionnelle. Un traitement antibiotique le plus précoce possible en vient à bout.
Autre IST en hausse, la gonococcie entraîne chez l’homme des brûlures à la miction et/ou à l’éjaculation et un écoulement jaune (mais à peine 30 % des femmes touchées ont des pertes). Le traitement (chez le malade et les partenaires) repose sur l’injection d’un antibiotique, mais la bactérie mute et acquiert des résistances. Non traitée, elle peut entraîner une infertilité chez la femme et une infection chronique de la prostate chez l’homme.
Le scorbut, à quelques fruits près

Le scorbut peut entraîner des saignements des gencives, des pertes dentaires, des douleurs articulaires, des troubles de la cicatrisation, etc.
Le scorbut est la forme extrême d’une carence en vitamine C (apport inférieur à 5 mg/jour au lieu des 110 recommandés chez l’adulte). Il peut entraîner des saignements des gencives, des pertes dentaires, des douleurs articulaires, des troubles de la cicatrisation, etc. Si une légère carence en vitamine C est assez fréquente, le scorbut à proprement parler touche des personnes très précaires ou ayant un régime très déséquilibré (des cas ont ainsi été rapportés chez des adolescents se nourrissant uniquement de fast-food), car une faible quantité de fruits et légumes suffit à apporter à l’organisme suffisamment d‘acide ascorbique pour l’éviter. Peuvent aussi être touchées les personnes ayant une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, et celles addicts à l’alcool et au tabac. Une supplémentation en vitamine C est alors utile.
Et si la peste revenait en France?
À l’évocation de son nom, plus d’un frémit en songeant à la tristement célèbre «peste noire» du Moyen Âge. Pourtant, aucun cas de peste n’est recensé depuis 1945 dans notre pays. Dans le reste du monde, selon l’OMS, 50.000 cas ont été comptabilisés entre 1990 et 2020, répartis dans 26 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. Le plus souvent transmise par les piqûres de puces de rongeurs, la peste entraîne une forte fièvre, une altération de l’état général, un gros ganglion, parfois une septicémie mortelle (forme bubonique).
La récente grève des éboueurs a ravivé chez certains le fantasme de son retour dans la capitale. «Mais si la peste refaisait surface en France, elle ne provoquerait pas d’épidémie car on dispose aujourd’hui d’une antibiothérapie efficace», rassure le Pr Nicolas Dupin (hôpital Cochin, Paris). Un avis partagé par le Dr Paul-Henri Consigny (centre médical de l’Institut Pasteur): «Les petits foyers de peste dans le monde sont vite repérés et traités quand ils surviennent.»