Grèce : La colossale cité d’Ellinikon sort de terre près d’Athènes

Ellinikon s’annonce comme le plus grand projet de réaménagement urbain en Europe. Son coût, 8 milliards d’euros, représente aussi l’investissement le plus important financé par des fonds privés en Grèce. Une première tranche sera livrée en 2024.

Sur le papier, l’idée semble démesurée. Les croquis des plus célèbres architectes, irréels. Les montants exorbitants. Pourtant, une fois sur place, on parvient à imaginer ce que, d’ici à une dizaine d’années, devrait devenir ce terrain cabossé de 600 hectares, grand comme trois fois Monaco. Situé en Grèce, au sud d’Athènes, à 20 minutes (sans les bouchons) du centre-ville, l’Ellinikon Project est en marche. Les bulldozers et autres engins de chantier sont déjà à pied d’œuvre.

C’est une ville dans la ville qui verra le jour en 2034 avec, au programme, 237.000 m2 de commerces, dont trois centres commerciaux, des dizaines de restaurants et lieux de divertissement pouvant accueillir jusqu’à 25.000 personnes, un hôtel d’affaires, deux hôtels cinq étoiles, un casino, 27.000 m2 de bureaux et 10.000 logements dont des villas avec piscines privées. Et puis la mer, bien sûr, juste en face. Pour ceux qui préféreraient venir en bateau, est prévue une marina qui offrira une grande capacité d’accostage pour les méga-yachts. Au total, 400 postes d’amarrage seront disponibles.

Le premier gratte-ciel du pays

La construction de la Riviera Tower, d’une hauteur de 200 m, a débuté fin janvier. Il s’agira du plus haut bâtiment de Grèce, le tout premier gratte-ciel du pays. Son achèvement est prévu pour mars 2026. Composé de résidences et de penthouses avec une vue… très dégagée, il s’élèvera au-dessus de la Riviera Galleria, sorte de centre commercial de luxe avec maisons de couture internationales et boutiques de créateurs phares. Plusieurs marques de renommée mondiale ont déjà signé des accords ou des promesses pour s’y installer. A ce jour, 20 % de l’espace locatif a déjà été accordé. Les 50 % devraient être atteints à la fin de 2023.

Lancé par l’homme d’affaires grec Spiro Latsis à travers son entreprise de développement immobilier Lamda Development, le projet a pour objectif d’attirer les touristes du monde entier et de devenir un spot incontournable en Europe. Pour l’atteindre, l’entrepreneur n’a pas hésité à mettre le paquet, soit 8 milliards d’euros, ce qui fait d’Ellinikon l’investissement le plus important financé par des fonds privés en Grèce et le plus grand projet de réaménagement urbain en Europe.

Des détracteurs très remontés

« Beaucoup de touristes font escale à Athènes pour se rendre ensuite sur une de nos îles. Ils en profitent pour visiter le Parthénon, l’Acropole et toutes les autres merveilles de notre capitale puis repartent illico. Notre objectif est de les capter et les amener à séjourner plus longtemps », explique un porte-parole de Lamda Development.

Le site accueillait, au XXe siècle, l’aéroport international d’Athènes, lequel a déménagé en 2001.  © The American Geographical Society Library, University of Wisconsin-Milwaukee Libraries

En attendant, le chantier est aussi protégé qu’une base militaire américaine – le site, où prirent place naguère l’aéroport d’Athènes, mais aussi les installations des JO de 2004, en accueillait une dans les années 1990. Pour y pénétrer, il faut montrer patte blanche, et pas qu’une fois. C’est que le projet a son lot de détracteurs. Le terrain ayant été cédé moins de 1 milliard d’euros, certains y voient un cadeau fait par le gouvernement à l’influent milliardaire. « C’est du vol ! Le terrain vaut deux fois plus, ça va sans dire. Tout ça pour construire des infrastructures qui seront inaccessibles à la plupart des Athéniens, qui n’ont déjà pas les moyens de vivre correctement », fulmine Panagiotis Totzikas, responsable du comité de résistance d’Ellinikon. Outre le montant de la transaction, les inquiétudes sont nombreuses notamment quant à la survie de la clinique sociale présente sur place depuis les années 2010 et qui accueillait, avant le Covid, jusqu’à 10.000 patients chaque année.

Le plus grand parc côtier du monde

Mais Lamda Development a réponse à tout. « Nous avons entendu ces inquiétudes et nous avons prévu de réserver un espace pour construire un nouveau dispensaire et mettre l’accent sur les personnes en difficultés sociales et physiques », répond aux critiques l’un de ses dirigeants. Accusé de construire un ghetto pour riches sans bénéfice pour la population locale, le groupe met en avant le parc d’Ellinikon, place centrale du projet, ouvert à tous. Avec 242 hectares, il sera, une fois entièrement terminé en 2026, le plus grand parc côtier du monde et le plus grand d’Europe, presque deux fois plus vaste que Hyde Park à Londres.

Une première partie a ouvert au public l’année dernière et, même si l’adresse est encore confidentielle, le site commence à attirer bon nombre de familles avec enfants, ravies de profiter d’un espace de verdure au calme, dans une ville connue pour son agitation et son fort taux de pollution. Contrairement aux autres métropoles européennes, qui comptent en moyenne environ 40 % d’espaces verts publics, Athènes n’en offre actuellement que 10 %.

Habituée des lieux, Clio Papadopoulos se réjouit de l’ouverture d’un tel lieu de loisirs. « Je viens avec mes deux filles au moins une fois par semaine, principalement le week-end, explique cette Athénienne. La ville manque d’espaces aérés et verts, c’est une chance pour les enfants qui peuvent courir ou profiter de la grande aire de jeux et de la pataugeoire. »

Retombées économiques

Ce n’est donc pas un hasard si Lamda Development a commencé son gigantesque chantier par la création du parc. Une manière de calmer les esprits en proposant un lieu mais aussi des activités, comme des spectacles et des festivals en plein air ou dans l’amphithéâtre. Ici, les visiteurs sont chouchoutés. Une voiture de golf peut être mise à disposition gratuitement pour se déplacer dans ce labyrinthe d’allées bordées d’arbres, jalonné de food trucks, au milieu de grandes pelouses avec vue sur la mer Egée et ses magnifiques couchers du soleil. « C’est l’endroit rêvé pour faire une demande en mariage, même si en Grèce, on ne manque pas de lieux magiques pour le faire », plaisante une jeune fille au bras de son compagnon. Depuis son ouverture au printemps 2022, le parc a enregistré plus de 1 million de visiteurs.

Face à la mer Egée, s’élèvera bientôt la Riviera Tower, premier gratte-ciel de Grèce (ici, le chantier en mars 2023). 

Le kilomètre et demi de plages de sable bordant le quartier Ellinikon sera aussi ouvert au public. 50 km de pistes cyclables et piétonnes permettront de circuler dans toute la zone. Le coût de toutes ces infrastructures publiques est estimé à 1,5 milliard d’euros. Une contrepartie comprise dans le deal de départ, lors de la vente du terrain par le gouvernement grec. « Bien sûr, le projet Ellinikon inclut des développements spécifiques dédiés aux personnes ayant des revenus plus élevés, mais la majorité des infrastructures serviront à tous et auront des effets sur la population », assure Odisseas Athanasiou, le PDG de Lamda Development, qui cite comme exemple la valorisation probable du parc immobilier des communes voisines.

1 million : Le nombre de visiteurs que le projet ambitionne d’attirer chaque année.

Dans un français presque parfait, le PDG précise du reste que 96 % des réservations de la première tranche de logements mise sur le marché ont été effectuées par des nationaux. Toutefois, le bruit court que de nombreuses fortunes du Golfe auraient déjà posé des jalons pour les luxueuses villas sur mesure en front de mer. Pour Odisseas Athanasiou, « un tel projet ne peut pas plaire à tout le monde, il y aura toujours des gens pour s’opposer alors que notre but est de faire avancer le pays ».

Une chose est sûre, son impact sera bénéfique sur l’économie grecque. Lamda Development met en avant la création de près de 100.000 emplois, pour la construction puis la phase opérationnelle. L’objectif à terme est d’attirer 1 million de touristes par an et de générer ainsi 14 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour l’Etat. A lui seul, ce projet pourrait représenter environ 2,4 % du PIB de la Grèce. « Forcément, les retombées seront positives économiquement, mais aussi sur l’image du pays pour attirer davantage d’investisseurs étrangers dans des secteurs plus haut de gamme », analyse Panagiotis E. Petrakis, professeur d’économie à l’université d’Athènes.

Maquette interactive géante

Pour se faire une idée de ce à quoi ressemblera in fine le quartier, les curieux peuvent visiter gratuitement le « centre d’expériences » construit sur 4.800 m2 dans un ancien hangar à avions. Simulation de balade en yacht le long de la future marina ou de promenade à vélo (sur un vrai vélo fixé au sol face à un écran diffusant les images de synthèse du projet), visite d’un appartement témoin ultra-connecté où le réfrigérateur vous dit bonjour avant de vous indiquer le temps qu’il fait et les horaires du prochain cours de yoga.

Le centre est ainsi devenu, en peu de temps, une véritable attraction, les Athéniens n’hésitant pas à y emmener leurs enfants, qui s’amusent devant la plus grande maquette interactive jamais créée en Grèce. Celle-ci comprend plus de 25.000 éléments à l’échelle 1/625 et présente dans les moindres détails les espaces verts d’Ellinikon, ses rues, ses pistes cyclables et son lifestyle côtier. Un avant-goût ultra-réaliste de l’un des projets les plus audacieux de la Grèce d’après-crise.

Les Echos