Gris Nez (62) : Naufrage de migrants dans la Manche, cinq gendarmes mis en examen pour non-assistance à personne en danger

Une embarcation de migrants avait coulé le 24 novembre 2021 au large de Calais alors qu’elle tentait de rejoindre les côtes britanniques. Les secours français sont suspectés d’avoir été appelés une quinzaine de fois par les passagers en détresse, sans intervenir.

Cinq militaires du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris Nez (Pas-de-Calais) ont été mis en examen pour non-assistance à personne en danger dans l’affaire du naufrage de migrants dans la Manche en novembre 2021, qui avait coûté la vie à 27 d’entre eux, a-t-on appris ce jeudi de source judiciaire. Neuf secouristes, présents le soir du drame et suspectés de n’avoir pas répondu aux appels de détresse, avaient été placés en garde à vue mardi matin dans les locaux de la section de recherches de la gendarmerie maritime. Cinq d’entre eux – trois femmes et deux hommes, d’après une source proche du dossier – ont été présentés à un magistrat instructeur qui a décidé de leur mise en examen dans le cadre de l’enquête ouverte en France pour non-assistance à personne en danger.

Le soir du drame, les secouristes sont suspectés d’avoir reçu une quinzaine d’appels de détresse de la part de l’embarcation, sans prendre la décision d’intervenir.

Le matin du 24 novembre 2021, une embarcation de clandestins, majoritairement des Kurdes irakiens, âgés de 7 à 46 ans, avait chaviré au large de Calais, alors qu’ils tentaient de rejoindre les côtes britanniques. Personne ne leur est venu en aide. Ni côté français, ni côté britannique, chacun passant la nuit à se renvoyer la balle, selon des documents de l’enquête. Le soir du drame, les autorités françaises sont suspectées d’avoir été appelées à l’aide à une quinzaine de reprises, sans succès.

Dans une conversation téléphonique avec le Cross, dont l’AFP a eu connaissance, un migrant déclare : « Au secours s’il vous plaît (…) je suis dans l’eau ». « Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises Monsieur », lui répond son interlocutrice. « Non, non pas les eaux anglaises, les eaux françaises, s’il vous plaît pouvez-vous venir vite », supplie-t-il encore, avant que la conversation ne soit coupée. « Ah bah, t’entends pas, tu seras pas sauvé. J’ai les pieds dans l’eau, bah je t’ai pas demandé de partir », dit alors l’opératrice.

« L’affaire suit son cours »

Ces éléments, qui concordent avec les déclarations des deux survivants, ont secoué le Cross Gris-Nez, chargé des secours dans la Manche, et ont suscité la « consternation » des associations d’aide aux migrants. Les retranscriptions de conversations laissent toutefois apparaître que le Cross a contacté à plusieurs reprises les garde-côtes britanniques.

« Tous les opérateurs actuellement au Cross Gris-Nez ou embarqués ont toute la confiance du préfet pour conduire les opérations de sauvetage en mer », a réagi la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord auprès de l’AFP. « L’affaire suit son cours et l’instruction n’est pas de notre ressort », a-t-elle ajouté, se refusant à tout autre commentaire.

Lors de précédentes auditions dans cette enquête, des agents du Cross avaient invoqué le manque de moyens qui contraint « à prioriser ». Ce soir-là, le Cross a traité « des centaines, voire des milliers d’appels », avait rapporté l’un d’eux. « Si à un quelconque moment il y a eu un manquement, une erreur, les sanctions seront prises », avait aussi assuré en novembre le secrétaire d’État Hervé Berville, reconnaissant avoir ressenti de l’« effroi » à la lecture des informations de presse.

« On ne peut que se réjouir que les choses avancent d’un point de vue pénal, qu’on fasse enfin la lumière sur cette affaire, que la parole des victimes ou des proches des victimes puisse enfin être entendue à un niveau judiciaire », a réagi Flore Judet, porte-parole d’Utopia 56, association d’aide aux migrants.

Dix passeurs présumés, majoritairement afghans, ont été mis en examen dans l’information judiciaire parisienne sur ce drame, qui a fait monter la tension entre Paris et Londres. Mais sans décourager les candidats à l’Angleterre. Une enquête est également en cours outre-Manche. Les autorités britanniques ont annoncé fin novembre avoir arrêté un homme, « suspecté d’être un membre du groupe criminel organisé qui a conspiré pour transporter les migrants au Royaume-Uni à bord d’un petit bateau ».

Le Parisien