Guerre contre la Russie, la Chine, les musulmans… : Les sept scénarios noirs de l’armée française d’ici à 2030

L’Express a imaginé sept situations qui pourraient mener la France à la guerre. A l’heure où le conflit s’enlise en Ukraine, L’Express a imaginé avec l’aide d’une quarantaine d’experts sept situations qui pourraient mener la France à la guerre.

Les collines, la garrigue, et la mer Méditerranée qui scin­tille au point du jour. Fron­tignan, commune balnéaire jouxtant la ville de Sète, a tout d’un décor de cinéma. Le samedi 25 février, on a joué à la guerre. Un catamaran s’avance silencieusement vers un ponton, où sont déjà rassemblés plusieurs militaires. Tout à coup, un bruit de sirène retentit. Une cinquantaine de soldats, tout en armes et en treillis, se pré­cipitent hors du navire. Quelques minutes plus tôt, des échanges de tirs nourris ont été entendus. Mais pas de panique : ni l’Aude, ni le Tarn ne cherchent à envahir l’Hérault.

Ce simulacre a pour objectif de prépa­rer les militaires français à une agression extérieure – une vraie. L’opération Orion rassemble 7.000 soldats dans une ving­taine de départements. Il s’agit de défendre un pays fictif, Arnland, victime d’une dés­tabilisation menée par des milices, Tantale, au service de l’Etat Mercure. D’aucuns auront reconnu un pays balte, Wagner et la Russie. Cela n’a rien de fortuit. La France cherche à s’entraîner dans les conditions proches d’un véritable affron­tement, en prévision du jour J. Celui où il faudra se battre pour de bon contre un ennemi puissant.

L’invasion de l’Ukraine a rappelé que la force reste le moyen le plus simple d’arriver à ses fins. Le corollaire de ce principe, un peu oublié pendant la triple décennie des baisses de budget militaire, aussi appelées “dividendes de la paix” post­-guerre froide, saute désormais aux yeux : pour être libre, il faut être fort. “Un pays respecté est un pays dissuasif”, résume le général Bertrand Ract­-Madoux, ancien chef d’état­-major de l’armée de terre et directeur de cabinet du DGSE. L’inverse est vrai : subir un déclassement militaire, c’est risquer d’être exclu des boucles d’in­formation des pays “qui comptent”, de ne plus peser lorsqu’il s’agit d’imposer un accord favorable à ses intérêts écono­miques ou à sa vision du monde.

Avec ses sous-­marins lanceurs d’en­gins capables d’envoyer une bombe nu­cléaire n’importe où dans le monde, la France paraît à peu près à l’abri d’une inva­sion de son territoire. Mais la bombe H ne nous immunise pas contre les agressions, les attentats, les piratages, la désinforma­tion et tous les actes hostiles qui nous affaiblissent. Longtemps, le microcosme de la défense a salué le modèle d’armée français “complet”, c’est-à­-dire capable à la fois de protéger son territoire, y compris outre­-mer, et de se projeter dans un pays étran­ger pour porter assistance à un Etat ami.

Puis la perspective d’un combat face à une grande puissance a rappelé que la polyva­lence et le savoir-­faire cachaient aussi un modèle “échantillonnaire” – le mot a pu être utilisé à l’Elysée. L’armée manque de munitions et d’équipements, au­-delà des fameux canons Caesar donnés par la France à l’Ukraine. “Dans un conflit de haute intensité […], l’armée de l’air n’aurait plus d’avions en dix jours et vraisembla­blement plus de missiles au bout de deux jours”, a rappelé le général Bruno Maigret, dans un rapport parlementaire publié six jours avant l’invasion de l’Ukraine.

Une quarantaine d’experts sollicités

Au moment de préparer la loi de pro­grammation militaire pour les années 2024 à 2030, le ministère des Armées a demandé aux chefs d’état­-major de détailler les menaces qui pèsent sur notre pays. En clair, de proposer des scénarios crédibles justi­fiant le recours à la force. En toute indépen­dance, L’Express a souhaité développer ses propres “scénarios noirs” afin d’interro­ger la préparation, les éventuelles failles de la défense française, et alimenter ainsi le nécessaire débat public sur ces questions à 60 milliards d’euros l’année.

Une quaran­taine d’experts – chercheurs, diplomates, généraux, anciens cadres de la DGSE – ont été sollicités pour livrer leurs analyses des principales menaces qui guettent l’Hexa­gone d’ici à 2030. Ces scénarios ne consti­tuent aucunement des prévisions. Leur trame a été élaborée à partir d’une situation géopolitique crédible, à laquelle on a inté­gré la loi de Murphy (un militaire améri­cain) : “Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal.” Ils comprennent parfois, mais pas toujours, une erreur d’analyse française. La majorité de ces hypothèses recoupent celles sur lesquelles travaillent les armées, à l’exception notable d’une montée des tensions avec l’Algérie, totale­ment taboue au sein de l’Etat. Les stratèges militaires ont en revanche jaugé la possibi­lité d’une nouvelle intervention au Liban, ou bien les répliques à apporter à une attaque de nos satellites.

Scénario 1 :2026, les chars russes entrent en Estonie et en Lituanie : “La zone est un point faible de l’Otan”

Scénario 2 : 2028 : Madagascar reprend les îles Eparses à la France, la Chine tire les ficelles

Scénario 3 : 2026 : quatre missiles hypersoniques chinois font couler le porte-avions Charles-de-Gaulle

Scénario 4 : 2024, le Mali tombe aux mains des djihadistes : “Un nouveau Daech pourrait voir le jour”

Scénario 5 : 2027 : une cyberattaque majeure plonge Paris dans le noir pendant sept heures

Scénario 6 : 2028 : la Turquie d’Erdogan attaque les îles Imia, la France vole au secours de la Grèce

Scénario 7 : 2029 : la France et l’Algérie se fâchent, Alger demande de l’aide à la Russie

Drones tueurs robotisés, gilets pare-balles ultra-fins

Et puis il y a tous ces scénarios qu’on pense farfelus, à tort. “On sera forcément soumis à une surprise stratégique d’ici à 2030, peut-­être une rupture technolo­gique”, prévient le général Jean­-Marc Vigilant, directeur de l’Ecole de guerre entre 2020 et 2022. Le haut-gradé conseil­lait à ses élèves de lire La Flotte fantôme, un roman d’August Cole et P. W. Singer, chercheur et consultant pour le départe­ment d’Etat américain, sur une guerre mondiale Chine-­Etats­-Unis vers 2030. On y croise des lasers tueurs de satellites, des puces d’avion piégées, des hackeurs de GPS militaires. “D’ici à 2030, on pourrait avoir des drones tueurs robotisés, des gilets pare-­balles fins comme une che­mise”, imagine le général Vigilant.

Il faudra aussi s’adapter aux boulever­sements politiques. Le véritable scénario noir de l’armée française, affirment presque tous les experts, consisterait en une victoire d’un candidat isolationniste à l’élection présidentielle américaine de 2024. “Si les Etats­-Unis se désengagent de l’Otan, ce sera un coup très dur pour l’Eu­rope”, juge le général Michel Yakovleff, ancien n° 4 de la chaîne de commande­ment de l’Otan, qui considère déjà 2025 comme une année à risques : “Si le nou­veau président américain est isolation­niste, il y aura en 2025 une fenêtre de vul­nérabilité pour les pays occidentaux car leur effort militaire n’aura pas encore tota­lement porté ses fruits.” On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ; mais se préparer au pire, c’est aussi savoir qu’il n’est jamais sûr. Même pour un militaire.

L’Express