Houellebecq, Moix, Tesson… une « extrême droite littéraire » selon François Krug

En consacrant un livre très documenté aux parcours de Michel Houellebecq, Yann Moix et Sylvain Tesson, le journaliste François Krug montre à quel point ces trois célèbres écrivains sont, depuis leurs débuts dans les années 1990, fascinés par des idéologies réactionnaires. Entretien.

C’est une enquête qui se lit comme un roman, avec son lot de secrets, de trahisons et de mauvais démons. Ses personnages principaux ? Michel Houellebecq, Yann Moix et Sylvain Tesson. Trois écrivains célèbres aux styles et parcours différents, mais qui partagent un point commun longtemps laissé dans l’ombre : chacun d’eux a entretenu, et parfois continue d’entretenir, des liens avec l’extrême droite, sans y être explicitement affilié et sans l’avoir jamais revendiqué. Bien au contraire, tous ont cherché à brouiller les pistes. Voire à effacer les traces les plus compromettantes qui auraient pu nuire à leur carrière ou leur coûter un Goncourt.

Houellebecq s’est ainsi longtemps caché derrière la distinction auteur/narrateur pour échapper aux accusations de racisme et d’islamophobie qu’ont pu susciter certains de ses livres. Yann Moix, lui, a plaidé l’erreur de jeunesse lorsque ses fanzines antisémites et révisionnistes ont refait surface en 2019. Quant à Sylvain Tesson, cet antimoderne patenté dont « les Chemins noirs » est aujourd’hui adapté au cinéma avec Jean Dujardin, il a adopté la posture de l’écrivain-voyageur apolitique, surplombant du haut des sommets enneigés les bassesses partisanes.

Tout le mérite du méticuleux journaliste François Krug dans « Réactions françaises » est justement de mettre en perspective les postures adoptées par chacun des trois écrivains, en retraçant précisément leurs itinéraires, en reconstituant leurs compagnonnages et en exhumant des textes rares ou disparus. Houellebecq fréquente très tôt de jeunes royalistes d’obédience maurrassienne (« Je ne peux accorder au mot liberté un autre sens que négatif », leur déclarait-il dès 1996) ; Sylvain Tesson fait ses premiers pas d’animateur sur Radio Courtoisie, où officient alors d’anciens membres de l’OAS, du groupuscule Ordre nouveau ou de la rédaction de « Minute » ; et Yann Moix prend tardivement ses distances avec des fréquentations de la nébuleuse révisionniste.

Krug montre ainsi que l’extrême droite n’a rien d’un accident de parcours ou d’une dérive tardive pour ces trois auteurs. C’est l’imaginaire politique dans lequel ils baignent depuis leurs débuts, dans les années 1990. Un imaginaire et des idées qui n’ont cessé de gagner du terrain en trente ans. Au point qu’aujourd’hui, le Rassemblement national se retrouve aux portes du pouvoir.

Les victoires électorales de l’extrême droite sont indissociables de ses victoires sur le terrain culturel. Gagner la bataille des idées pour s’imposer dans les urnes, c’est peu ou prou ce qu’avait théorisé le philosophe communiste Antonio Gramsci sous le concept de « métapolitique », repris en France, ce n’est pas un hasard, par Alain de Benoist, figure de la Nouvelle Droite, mouvance d’extrême droite dont Sylvain Tesson est proche. Par leurs livres, mais surtout par leurs fréquentes interventions dans le débat public, Houellebecq, Moix et Tesson ont-ils contribué à rendre les idées d’extrême droite plus acceptables, à leur ouvrir la fenêtre d’Overton ? Comme l’écrit François Krug, l’itinéraire des trois écrivains raconte une histoire vraie : « Celle d’un pays où les digues idéologiques ont sauté, y compris dans le milieu littéraire. »

Comment vous est venue l’idée de cette « Enquête sur l’extrême droite littéraire » ?

J’avais lu, dans sa biographie par Denis Demonpion, que Michel Houellebecq s’était retrouvé, un peu par accident, à une soirée donnée en l’honneur de Marc-Edouard Nabe, dans le jardin du Sénat, en 1991. Puis, en 2022, Nabe a raconté sur internet que Yann Moix, qui n’avait alors que 23 ans, s’était incrusté à cette même soirée. Je trouvais amusant qu’il ait aimanté ainsi ces deux futurs écrivains. Qu’est-ce qu’ils foutaient auprès d’un Nabe qui, après des propos frôlant l’antisémitisme, sentait déjà le soufre ? Je voulais enquêter depuis longtemps sur l’aspect culturel de l’extrême droite, cette soirée est devenue la scène inaugurale de mon livre.

Mais les principaux auteurs dont vous parlez ne sont pas, au sens strict, affiliés à l’extrême droite…

Mon livre ne porte pas sur le Front national ni sur des structures politiques. Il parle d’une nébuleuse intellectuelle qu’on a tendance à sous-estimer. Quand on mentionne Alain de Benoist, on dit que c’est un théoricien de l’extrême droite, mais on n’explique pas en quoi consistent ses théories. On néglige souvent cet aspect culturel. Or je pense que ça joue beaucoup dans le fait que les digues sautent et qu’on puisse, désormais, juger normal que l’extrême droite soit aux portes du pouvoir. J’aurais bien aimé pouvoir écrire noir sur blanc qu’il y a une infiltration du monde culturel par l’extrême droite, mais ce n’est pas ça. Il y a une fascination, un désir de jouer avec le feu, plus qu’une adhésion idéologique. Sauf que cette fascination esthétique peut se transformer en acceptation de certaines idées. Je ne sais pas pour qui votent Yann Moix, Michel Houellebecq et Sylvain Tesson. Ce n’est pas l’objet de mon enquête. J’ai juste voulu voir quel était leur imaginaire politique.

Pourquoi ces trois-là, et pas Renaud Camus ou Richard Millet, qui incarnent aussi la réaction française ?

Ces trois personnages sont connus du grand public. Chacun incarne un rôle dans le paysage littéraire : Michel Houellebecq, le grand écrivain national qui court après le prix Nobel de littérature ; Yann Moix, l’écrivain médiatique ; Sylvain Tesson, l’écrivain-voyageur. Mais ce sont aussi des acteurs du débat public. Houellebecq donne son avis dans toutes ses interviews, que ce soit sur l’euthanasie, l’islam ou son amour des chiens ; Moix parle de tout et de rien, mais beaucoup ; et Tesson le fait aussi depuis quelques années. Il est devenu celui qui plaide auprès de Macron la cause des Arméniens du Haut-Karabakh, une cause très noble, mais qu’il défend au côté de SOS Chrétiens d’Orient, association proche de l’extrême droite… En France, les écrivains ont une aura particulière. Mais les idées qu’ils promeuvent ne descendent pas du ciel. Je me suis demandé si elles venaient de fréquentations qu’ils ont eues, d’un univers idéologique dans lequel ils baignent. La réponse est oui.

Votre récit couvre trente années…

Oui, en fait je raconte trente ans de l’histoire de l’extrême droite par le biais des écrivains. J’ai commencé en 1991, à cause de cette soirée au Luxembourg. Et je reviens sur une revue lancée en 1990 par Thierry Ardisson, « Rive Droite », dans laquelle Nabe a fait publier un texte de l’ancien collaborateur Lucien Rebatet. C’est encore l’époque où on crie « La jeunesse emmerde le Front national ». L’extrême droite constitue un danger, mais qui reste fantasmé ou virtuel. Personne ne se dit qu’elle pourrait arriver au pouvoir. Puis on voit peu à peu l’extrême droite politique progresser et, à travers les cas de ces écrivains, ses idées se diffuser.

Quand Houellebecq sort « les Particules élémentaires » en 1998, ses copains de la revue « Perpendiculaire » lui reprochent d’avoir rempli son roman de remarques issues d’une idéologie d’extrême droite. La polémique est assez vive, mais elle n’intéresse qu’un cercle germanopratin… et s’éteint vite. Pourtant, dans « les Particules élémentaires », il y a déjà, par exemple, l’affirmation que l’islam est « de loin la plus bête, la plus fausse et la plus obscurantiste de toutes les religions ». Soit un propos qui ne fera scandale qu’en 2001 lorsque Houellebecq le reprendra dans une interview, à un moment où l’extrême droite n’est plus une force politique périphérique.

Comment analysez-vous le parcours de Houellebecq ?

Au début, c’est l’auteur chouchou des « Inrockuptibles », porté par un public plutôt de gauche. Houellebecq parle du travail d’une façon en apparence anticapitaliste, opposée au libéralisme. On commence à s’interroger lorsque Daniel Lindenberg publie son « Enquête sur les nouveaux réactionnaires », en 2002. Aujourd’hui, on en arrive à dire : « Quel gâchis », « Houellebecq pète les plombs »

En réalité, il n’a jamais dévié de sa ligne. Est-ce une ligne idéologique claire ? Je ne sais pas. A ses débuts, il atterrit un peu par hasard aux Editions du Rocher, un repaire de néohussards. Puis il collabore à « l’Idiot international », à un moment où le journal de Jean-Edern Hallier a déjà été accusé d’antisémitisme. Dans le premier numéro où figure un papier de Houellebecq, la couverture est signée par Konk, le dessinateur de « National Hebdo » et de « Minute » qui avait émis des doutes sur la Shoah. Dans un autre, il est publié à côté d’une tribune d’Alain de Benoist. L’écrivain baigne, déjà, dans un univers ouvert à l’extrême droite. Son passage chez Maurice Nadeau pour « Extension du domaine de la lutte » (1994) et le soutien des « Inrocks » ont permis d’occulter ça. En fait, il rencontre des gens, s’entiche d’eux, puis passe à un autre groupe.

Quand on s’étonne que Houellebecq soit en couverture de « Valeurs actuelles » et fréquente l’équipe de ce journal, qui est très jeune, il n’y a pas de surprise. C’est le même homme qui s’était entiché en 1996 des jeunes royalistes de la revue « Immédiatement », qui a fait de la publicité au site Ring à partir de 2005, et qui, l’an dernier, a donné une conférence à l’Action française : sur les photos, on le voit parler sous un portrait de Charles Maurras. Nationaliste, antisémite, Maurras a théorisé « les quatre Etats confédérés » – juifs, protestants, Francs-maçons et « métèques » – qui selon lui, menaient la France, contre le peuple écrasé par la République. Houellebecq le sait forcément, mais il accepte l’invitation de l’Action française, un mouvement qui prétend n’être ni de gauche ni de droite parce que le roi est au-dessus des partis, mais qui appelle à voter Marine Le Pen et dont des jeunes militants font des opérations anti-migrants.

Il peut pourtant aussi s’enticher de jeunes gens de gauche. Il va voir partout, non ?

C’est ce que répondent ses copains. Sauf que quand il va voir à l’extrême droite, il reprend une partie de ses idées. Et puis ça l’amuse. En 2010, il est invité à l’Elysée par Nicolas Sarkozy pour fêter son prix Goncourt. Il y emmène un petit jeune, Laurent Obertone, qui n’a pas encore publié « la France Orange mécanique » (2013). Ce n’est personne à l’époque. Juste quelqu’un qui écrit des papiers sur le site Ring, qui est peu lu. Or Houellebecq l’emmène dîner chez Sarkozy. On peut y voir un geste punk, mais pourquoi lui ? Il faut retrouver ce qu’Obertone écrivait à l’époque et que Houellebecq appréciait. Ce sont des papiers identitaires et xénophobes. Bien sûr que sur sa route, il y a aussi des gens de gauche. Mais pourquoi ne voient-ils pas ce qui se passe de l’autre côté ou ne disent rien ?

En juillet 2022, Michel Houellebecq donne une conférence à l’Action française, sous un portrait de Charles Maurras, inspirateur du mouvement

Peut-être parce qu’il efface parfois ses traces ? Vous exhumez un texte écrit par Houellebecq à Berlin, en 2002…

Oui, il avait totalement disparu. Pour nourrir ses volumes d’« Interventions » [recueils de textes et d’articles], il fait pourtant ses fonds de tiroirs. Mais on n’y trouve aucune référence à « l’Idiot international » ni au texte assez hallucinant dont vous parlez. Il avait été publié sur le site de son fan club, qui a disparu, et parle de racisme anti-blanc, un concept clairement d’extrême droite. J’ai aussi retrouvé un texte de Maurice G. Dantec que Houellebecq a déclaré trouver « pas mal », dans une interview au « Grand Journal » de Canal+. Ce texte, paru à l’époque sur le site Ring, est totalement raciste et identitaire.

Diriez-vous qu’aujourd’hui, Houellebecq assume davantage ce genre d’idées ? Son récent entretien avec Michel Onfray l’a bien montré…

Ce genre de propos est aussi devenu audible. Dire que l’islam est une religion complètement con, ça passe désormais… peut-être grâce à lui d’ailleurs, parce qu’il a été relaxé il y a vingt ans quand il l’a dit. Le contexte a changé et je pense qu’il y a contribué, comme tous les auteurs dont je parle. Pas forcément consciemment. Mais être fasciné par l’extrême droite, fréquenter des négationnistes ou faire des blagues négationnistes, c’est jouer avec le feu et ce n’est pas sans danger. Peut-être que ce que Houellebecq dit à Onfray sur les musulmans ne choquera plus grand monde dans cinq ans ? Les écrivains dont je parle s’imprègnent du contexte, mais ils l’alimentent aussi. Ils contribuent à renforcer et légitimer des idées, en tant qu’acteurs du débat public ou en donnant des coups de main à des copains douteux comme l’a fait Yann Moix.

Le cas de Yann Moix n’est-il pas en effet différent ? C’est par l’antisémitisme qu’il est lié à l’extrême droite, puisqu’il avait créé, dans sa jeunesse, un fanzine appelé « Ushoahia », sous-titré comme l’émission de Nicolas Hulot « le magazine de l’extrême ».

Quand le fanzine a refait surface, Moix a présenté son histoire comme celle d’un gamin qui s’emmerdait en province dans les années 1980. Mitterrand était président, c’était la fin de l’Histoire… Quoi de mieux que des blagues antisémites pour choquer le bourgeois ? C’était son argument : « J’ai fait une erreur de jeunesse, j’ai coupé les ponts avec tout ça. » L’affaire a fait beaucoup de bruit, puis pschitt parce que son argumentation a porté. Mais si c’est bien une erreur de jeunesse, Moix a mis longtemps à couper les ponts avec le copain, encarté au FN, avec qui il faisait les fanzines. Leur amitié a duré. Jusqu’en 2002, ils ont travaillé ensemble sur le scénario du film « Podium ».

Vous évoquez un autre de ses « copains », Paul-Eric Blanrue…

Moix l’aurait rencontré en 2001. Il va accepter de préfacer son anthologie de propos antisémites et essaiera même de la faire éditer chez Grasset. C’est à se demander comment il choisit ses amis… C’est une époque où Moix se déclare « apprenti-juif » dans « la Règle du jeu » de Bernard-Henri Lévy, où il écrit « Mort et vie d’Edith Stein ». Il présente l’anthologie comme un bouquin qui sert à édifier le public. Sauf que les citations comme les notules rédigées par Blanrue sont extrêmement ambiguës. Le livre, qui paraît en 2007, sera d’ailleurs republié en 2013 – sans la préface cette fois – par Alain Soral et attaqué par la Licra…

Dans l’intervalle, en 2010, Blanrue lance une pétition contre la loi Gayssot et pour la libération de Vincent Reynouard, un négationniste en taule pour une énième condamnation pour contestation de crime contre l’humanité. Ce prof a été révoqué pour avoir fait faire des exercices de stats à ses élèves à partir de la mortalité à Dachau. Moix accepte de signer.

N’a-t-il pas dit qu’il avait été piégé ?

Oui, il a prétendu avoir compris que la pétition serait signée par Robert Badinter et non pas Robert Faurisson. Mais sa justification est bidon. Encore un cas où il est attiré par le soufre, mais où, dès que ça provoque une polémique, il recule.

Pour Sylvain Tesson, le lien avec l’extrême droite est moins évident, non ?

Comme c’est un écrivain-voyageur et que le voyage n’est ni de droite ni de gauche, Sylvain Tesson est considéré comme apolitique. Il parle de l’appel de la forêt, du lac Baïkal, de la panthère des neiges… Il fait autant rêver le public de « Télérama » et de France-Inter que celui du « Point » ou du « Fig Mag ». Tesson s’inscrit pourtant dans une famille de l’extrême droite qui est la moins connue et la plus construite intellectuellement : la Nouvelle Droite, l’extrême droite païenne.

En le lisant, on comprend qu’il n’est pas très moderniste, ni très progressiste. Mais au début de mon enquête, ses affinités avec cette idéologie-là ne reposaient que sur quelques indices, comme le fait qu’il ait été animateur d’une émission d’aventures sur Radio Courtoisie. Pourquoi un gamin d’une vingtaine d’années, très bien introduit, qui aurait pu commencer une carrière dans les médias n’importe où ailleurs, a-t-il choisi cette radio, le laboratoire de toutes les extrêmes droites ? Et il est retourné sur Radio Courtoisie très souvent en tant qu’invité. Jusqu’en 2010-2011, quand il a commencé à avoir beaucoup de succès…

Sylvain Tesson et Jean Raspail au domicile de ce dernier, en 2015. L’auteur du « Camp des saints », ouvrage de référence de l’extrême droite fut le mentor de l’écrivain-voyageur.

Que retenez-vous de sa proximité avec Jean Raspail ?

Lui est clairement un écrivain d’extrême droite. Bien sûr, Raspail a écrit des romans d’aventures et créé le royaume imaginaire de Patagonie – Michel-Edouard Leclerc a son passeport patagon, Michel Déon l’avait aussi. Mais ça, c’est de l’amusement pour boy-scouts. Son « Camp des saints » (1973) est un des plus grands classiques de la littérature d’extrême droite. Raspail y parle de race blanche, de la menace que constituent les autres races – les « rats ». Et il a soutenu le Parti des Forces nouvelles, créé en 1973 par des néofascistes qui trouvaient Le Pen trop mou… Or dès ses débuts, Tesson a cherché le parrainage de Jean Raspail. C’est son mentor. Il fait des allusions au « Camp des saints » dans l’un de ses premiers bouquins, « la Marche dans le ciel » (1998). Puis quand Tesson devient une star, c’est lui qui va aider Raspail, en le mentionnant dans ses interviews ou en préfaçant un recueil de ses romans.

Cela suffit-il à le lier à la Nouvelle Droite ?

Il y a tout un faisceau d’indices. Sa relation avec Dominique Venner [essayiste et militant d’extrême droite qui s’est suicidé, en 2013, dans la cathédrale Notre-Dame-de-Paris] en est un autre. Dominique Venner connaissait Philippe Tesson, le père de Sylvain, qui lui-même faisait de l’escalade avec les enfants de Venner. Mais au-delà, il y a beaucoup de concordances sur les idées entre Sylvain Tesson et Venner. Par exemple, tous deux lisent Homère avec le même prisme identitaire. Dans son émission « Un été avec Homère », diffusée en 2017 sur France-Inter, et dans le livre qui en sera tiré, Sylvain Tesson explique qu’Homère est la source de notre civilisation occidentale. C’était aussi l’obsession de Venner. Les deux se lamentent, parfois dans les mêmes termes, sur la disparition de l’héroïsme à cause de la morale chrétienne. Ils ont en outre une obsession commune pour l’écrivain allemand Ernst Jünger, qui a une importance majeure à l’extrême droite, et une même fascination pour le retour à la nature, le paganisme.

Mais la Nouvelle Droite considère-t-elle Tesson comme un des siens ?

Alain de Benoist dit que non, mais qu’à une autre époque on aurait appelé Sylvain Tesson un « compagnon de route ». Tesson connaît personnellement les membres de cette famille politique. Il lit « Eléments », la revue du mouvement, et s’est retrouvé sur sa couverture. Il fréquente La Nouvelle Librairie qui diffuse ses idées… Enfin, les membres de la Nouvelle Droite, comme l’Institut Iliade qui gère l’héritage culturel de Venner, l’adorent, le lisent et le citent !

Finalement, que vous a appris cette enquête ?

Ce que je trouve intéressant, c’est que chacun de ces personnages s’est rapproché d’une forme d’extrême droite différente. Houellebecq, censé être l’écrivain qui surplombe tout, est fasciné par l’extrême droite de papy : un vieux maurrassisme à l’ancienne, nationaliste et catholique, où les juifs sont remplacés par les musulmans. Il parle de religion à longueur d’interview et dit que ne pas avoir la foi est le drame de sa vie. Tesson, c’est la Nouvelle Droite païenne, l’écologisme identitaire. Et Moix, par ses fréquentations, se raccroche plutôt à l’extrême droite de base, ambiance skinhead-GUD, même si je ne pense pas qu’il soit d’extrême droite ni antisémite. Ce que j’ai découvert en menant mon enquête, c’est une fascination pour « le soufre et le moisi », pour reprendre le titre du livre de François Dufay sur la droite littéraire d’après-guerre. La formule convient parfaitement.

François Krug, ancien journaliste politique et d’investigation de Rue89, publie régulièrement des enquêtes dans “le Monde” et son magazine “M”. Il est, avec Ariane Chemin et Julien Solé, l’un des co-auteurs de la BD “Benalla et moi” (Seuil, 2020).

L’Obs