« Il faut être solide pour se lancer » : Sylvain Tesson, l’écrivain qui a popularisé les chemins noirs

En 2015, l’auteur a traversé la France en empruntant ces sentiers oubliés et répertoriés par l’IGN. À l’heure où certains urbains profitent des vacances de Pâques pour faire de même, il se souvient.

Pendant des mois, l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson a arpenté à pied les routes de campagne entre le Mercantour et la Normandie. Un récit de voyage, “Sur les chemins noirs”, clôturera le périple.

Il a parcouru le monde, ses déserts, ses montagnes, le lointain. Mais c’est dans son propre pays que l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson s’est reconstruit. En 2014, alcoolisé, il chute d’un toit à Chamonix — l’homme est « stégophile » et se passionne pour l’escalade de bâtiments.

Victimes de plusieurs fractures, plongé dans le coma, paralysé d’une partie du visage puis astreint à une longue rééducation, il décide, en 2015, de traverser la France à pied, du Mercantour au Cotentin. Il emprunte les « chemins noirs », ces sentiers oubliés, répertoriés par l’IGN sur des cartes au 1/25 000, où 1 cm représente 250 m. Pour recouvrer sa force de marcheur, mais aussi s’immerger dans le silence et la France inexplorée.

Quelle définition faites-vous d’un chemin noir ?

SYLVAIN TESSON. J’ai mis deux ans à le définir. C’est une tentative de s’extraire d’un mode de vie trop brutal, méchant, rapide, imposé par nos sociétés modernes qui sont elles-mêmes trop encombrées. C’est le moyen d’y échapper, par la marche, en trouvant des chemins dérobés, silencieux, solitaires. Il n’y a pas que la randonnée : à chacun de trouver son chemin noir. Cela peut passer par la contemplation, par un tableau, par l’amour ou la poésie. Tout ce que ne propose pas la grande foire techno-marchande du monde. Si je devais résumer l’idée, c’est un demi-tour immédiat devant une vie effrénée de consommateur.

Pourquoi avez-vous fait ce choix, vous qui avez voyagé à travers le monde, de l’Islande au Pakistan en passant par l’Everest, la Sibérie, l’Inde ou encore la Chine ?

J’y ai cheminé après ma chute. Je ne pouvais, à ce moment-là, plus faire l’Everest.

À quoi a ressemblé votre périple, que vous avez préparé grâce aux cartes au 1/25 000 de l’IGN ?

J’ai choisi la France de l’hyper-ruralité — même si ce terme n’est pas satisfaisant. Je suis parti du Mercantour, jusqu’au Cotentin, en parcourant tout le Massif central. Des régions qui, aux yeux de la puissance parisienne, ne sont pas assez développées.

Qu’y avez-vous découvert ?

Que la beauté du monde était derrière la porte de chez moi. La cartographie existante — qui est une chance en France, puisque dans beaucoup de pays, les sentiers au 1/25 000 ne sont disponibles que pour les militaires — m’a permis cette expérience. Ces chemins noirs sont des petits chemins non balisés, oubliés. Alors, on voit plusieurs choses. Une France oubliée, dite « périphérique », habitée par des gens d’une ruralité plus très prospère puisque la France a, en moins d’un siècle, perdu son socle paysan. Certains que j’ai croisés sont très contents de cette situation : ils vivent une vie noble, ils aiment leur campagne. Il y a une troisième catégorie : celle des randonneurs inspirés.

Visuellement, à quoi ressemblent-ils ?

Cela dépend d’où l’on se trouve ! Partout, on a son compte. À commencer par la solitude de ces voies d’échappée. L’industrie du tourisme conduit à des endroits où il y a tant de monde… Alors que d’autres restent inexplorés.

Qu’y avez-vous préféré ?

Je ne réponds pas aux impératifs de podium. Je ne suis pas légitime pour dire ce qui doit être retenu ou pas. Sur mille kilomètres de parcours, c’est un résumé du monde. Mais attention : il faut être solide pour se lancer. Il faut toujours faire un effort pour prendre l’escalier de service et marcher sur les chemins de traverse.

Le Parisien