Imams détachés, financement étranger… Entre CFCM et Forif, l’islam en France dans le brouillard
Comme un pied de nez envers tous ceux qui tablaient sur sa disparition, le Conseil français du culte musulman a été le premier à annoncer la date du début du ramadan, fixée ce jeudi 23 mars. Une manière de s’imposer en tant qu’interlocuteur de référence dans la grande confusion de l’islam de France.
En un mot comme en cent, l’islam de France n’est toujours pas sorti du brouillard… que le gouvernement peine à dissiper. D’autant qu’il prend fait et cause, selon les moments, tantôt pour les uns, tantôt pour les autres. C’est ainsi qu’à grand renfort de publicité, le 16 février dernier, le président de République a tenu à recevoir à l’Élysée les personnalités regroupées au sein du Forum de l’islam de France (Forif) voulu il y a près d’un an par le ministre de l’Intérieur. Une institution censée remplacer le Conseil français du culte musulman (CFCM), pensé par Jean-Pierre Chevènement en 1997 et accouché dans la douleur par Nicolas Sarkozy en 2003. À cette occasion, Emmanuel Macron a rappelé avoir « décidé de mettre fin au CFCM. De manière très claire. Et à son activité. »

“Mais au sein de l’Islam de France, la concurrence est rude. Le Forif s’oppose au CFCM. Et s’appuie sur la Grande Mosquée de Paris (GMP).”
Le CFCM a déçu l’État car il n’a, jusqu’à présent, jamais réussi à sortir de sa paralysie liée aux affrontements internes, explique Didier Leschi, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’Intérieur et auteur de l’essai Misère(s) de l’islam de France (Le Cerf, 2017), Or, l’État a besoin d’un interlocuteur dont on ne puisse pas douter de ses engagements laïcs. » Cette « mort » de l’institution, déjà annoncée par Gérald Darmanin en décembre 2021, serait un moyen de tourner la page de l’influence étrangère, aussi appelée « islam consulaire », véritable caillou dans la chaussure de l’islam de France. En serait donc fini l’ingérence du Maroc, de l’Algérie et de la Turquie dans l’organisation des mosquées, fini les financements étrangers, fini les imams détachés ?
Résistance du CFCM
En réalité, la confusion règne. Le CFCM refuse de se dissoudre. Et pour bien signifier qu’il ne reconnaissait aucune légitimité au Forif, le CFCM a lui-même annoncé cette année la date du début du ramadan en France. Un bras de fer est engagé. Cogéré dans le cadre d’une entente entre musulmans marocains et turcs, le CFCM permet à certaines mosquées de bénéficier, pendant le ramadan, d’un contingent d’une centaine de prédicateurs étrangers venant psalmodier les versets coraniques dans les mosquées que ces fédérations contrôlent. Pour rester un interlocuteur incontournable vis-à-vis des pouvoirs publics, le CFCM compte réformer son fonctionnement.
Mais au sein de l’islam de France, la concurrence est rude. Le Forif s’oppose au CFCM. Et s’appuie sur la Grande Mosquée de Paris (GMP). Au début des années 90, Charles Pasqua avait effectivement fait de la GMP l’interlocuteur unique des pouvoirs publics dans le cadre d’un accord avec Alger. Partenaire historique plus ou moins malléable de l’État – en fonction des intérêts algériens, qui ne sont pas toujours convergents avec ceux de la France –, elle est le bateau amiral de l’islam consulaire et n’aspire pas à cesser de l’être. En effet, la GMP est tributaire des dotations que lui verse le gouvernement algérien. C’est d’ailleurs le ministre algérien des Affaires religieuses qui verse le salaire aux imams mandatés par Alger pour prier et influer sur les fidèles algériens des mosquées en France. Une situation de dépendance loin des ambitions du gouvernement français en matière d’islam de France.
Participe aussi du Forif, « Musulmans de France » (ex-UOIF) dont les cadres sont issus de la mouvance des frères musulmans. S’ajoute à cet attelage, qui en surprend plus d’un dans les mosquées, des personnalités plus ou moins indépendantes désignées par les préfets dans les départements. Reste à savoir dans quelle mesure cette formation ad nihilo va pouvoir fonctionner avec des personnalités et des tendances si différentes… « La crédibilité du Forif va dépendre de sa capacité à formuler rapidement des propositions sur des sujets dont l’attente est forte, en particulier le statut et la formation des imams » estime Didier Leschi.
Quelques réfractaires
Le gouvernement n’a pas réussi à séduire tous les acteurs de l’islam en France. Ne voulant prêter allégeance ni au Forif ni au CFCM, quelques réfractaires, essentiellement regroupé dans la mouvance du comité de coordinations des institutions musulmanes d’Auvergne Rhône-Alpes dominé par la figure de Kamel Kabtan, recteur de la Grande Mosquée de Lyon. Et des personnalités isolées comme Ghaleb Bencheikh qui préside aux destinées de la Fondation de l’Islam de France et dont le modernisme est réprouvé par beaucoup. Autre isolé, Hakim El Karoui. À l’initiative d’une Association musulmane de l’Islam de France, il s’est fixé comme objectif de mettre en place des circuits de financement afin d’aider le culte musulman à se financer à partir du commerce du halal et de l’activité de pèlerinage. Un projet appuyé par le gouvernement qui y voit le moyen de prendre de la distance avec le fameux islam consulaire. Mais le dossier patine depuis près de deux ans.
Former des imams
Au ministère de l’Intérieur, les chefs des bureaux des cultes se succèdent tous les deux ou trois ans et en ressortent tous avec le sentiment d’avoir été des Sisyphe, qu’il faudrait, selon la formule d’Albert Camus, « imaginer heureux » quand bien même tous les sujets au cœur de l’organisation de l’islam de France piétinent depuis des années. Et pour cause. Dans le domaine du financement, ceux qui sont à la tête du commerce du halal ne veulent en aucun cas partager la manne, et ceux qui reçoivent des fonds étrangers, y renoncer. Il en va de même en ce qui concerne le pèlerinage. Les voyagistes organisateurs ne voient aucun intérêt à payer une taxe supplémentaire à celle déjà imposée par les autorités saoudiennes.