Islamos, cathos tradi, extrême droite… Les influenceurs identitaires et conservateurs ont la cote
Le prosélytisme politique et religieux surfe lui aussi sur la vague des influenceurs. Ses têtes de gondole les plus extrêmes reprennent les codes du « cool » associés aux réseaux sociaux. Et en profitent pour diffuser un message qui l’est beaucoup moins. Tour d’horizon de ces nouveaux visages conservateurs.

Les islamos
« J’imagine que vous avez deviné, j’ai décidé de porter le voile aujourd’hui » annonce une jeune femme voilée de 21 ans dans une vidéo TikTok. Soudain, le cadre de la vidéo change, un homme aux yeux verts et à la longue barbe claire apparaît, il sourit, acquiesce de la tête et se met à applaudir : « Yeah ! Bienvenue dans la Halal Vibes ma sœur, qu’Allah te préserve, qu’Allah te récompense. C’est ça qu’on a besoin sur les réseaux sociaux, c’est ce qu’on a besoin ! Moi je suis là, on est tous là, on supporte ! » Cette vidéo, dite « réaction », a été publiée sur le compte TikTok de Redazere. Un pseudo derrière lequel se cache en réalité un Algérien de 27 ans installé au Québec. Ses 2,7 millions d’abonnés sur l’application TikTok en font l’un des religieux francophones les plus importants sur les réseaux sociaux. Tous les jours, il publie de courtes vidéos qui durent d’une dizaine de secondes à une minute, dans lesquelles il reprend tous les codes des réseaux sociaux pour les rendre virales : humour, dynamisme, jeux interactifs.
Vous l’aurez compris, son créneau à lui, c’est l’islam, et la majorité de ses contenus s’apparente la plupart du temps à de véritables prêches. Sans être pour autant imam, ses « rappels » sur ce qui, selon lui, relève ou non de la bonne pratique de sa religion atteignent plusieurs centaines de milliers de vues. Mais derrière ce visage sympathique qui explique la bonne manière de se laver les pieds lors des ablutions ou d’ouvrir les yeux lors de la prière se cache un discours bien plus rigoriste. En particulier sur ce qui relève du licite ou non (halal ou harâm) en islam. Regarder les femmes, écouter de la musique, s’embrasser avant le mariage, décorer sa maison à Noël, pour lui, c’est niet ! A contrario, le voile est une obligation, et supprimer Israël de la carte du monde ne pose aucun problème.
Comme l’évoquait déjà La Croix en janvier 2022, Redazere est représentatif de toute une galaxie de nouveaux influenceurs musulmans qui a émergé sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Dans ce même article, le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, Christian Gravel, alertait déjà : « On retrouve une logique islamiste et séparatiste redoutablement efficace, qui vise à séparer la communauté des croyants de la communauté des “mécréants”. »
L’abbé tradi
Viriliser le catholicisme. C’est le programme de l’abbé Matthieu Raffray. « Garçon, choisis ton camp ! Celui du plaisir médiocre et déprimant… ou celui de la noblesse d’âme, de l’héroïsme et de la tradition ! », écrit-il dans une de ses stories (petites pastilles vidéo de quelques secondes) sur Instagram. La vidéo qui accompagne le texte vient du compte « lesroyalistes », et reprend un mème (un phénomène repris et décliné en masse sur Internet) mettant en scène un personnage dépressif et nostalgique du temps des croisades et des chevaliers catholiques. Comprendre : notre société occidentale est décadente et le Salut viendra d’un retour à des valeurs du passé, dont le catholicisme traditionaliste est la pierre angulaire.
Homme charpenté de 43 ans, celui qui apparaît avec la soutane noire dans toutes ses vidéos est une figure montante de la tendance catho tradi sur le Net. Raffray a été formé à l’Institut du Bon Pasteur, un groupe de séminaristes fondé par d’anciens membres de la très intégriste Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Celui qui enseigne la théologie et la philosophie pour la formation des prêtres à Rome s’est également imposé ces dernières années comme la nouvelle coqueluche de la droite radicale. « Les réseaux sociaux sont devenus ma nouvelle paroisse » se félicitait-il auprès de Valeurs actuelles en septembre 2022. Son compte Instagram dépasse les 30 000 abonnés, il en compte 12 600 sur sa chaîne YouTube et près de 15 000 sur Twitter.
À ses ouailles numériques en quête de sens et de repères, ils distillent sa vision du message du Christ : « Un catholicisme, fier, enraciné, sans compromission. » Dans une vidéo publiée le 5 mars au titre évocateur : « Peut-on être homosexuel et catholique ? », Raffray ne laisse en effet guère de place à la conciliation : « La doctrine morale de l’Église ne doit pas évoluer. Les personnes qui souhaitent qu’elle évolue sur la question de l’homosexualité ont une conception erronée de l’Église. […] Je pense qu’une famille catholique ne peut pas accepter qu’un enfant réclame le droit de vivre dans le péché » lance-t-il aussi dans sa vidéo. L’abbé n’hésite pas non plus à poser fusil ou épée à la main et entretient des relations privilégiées avec d’autres influenceurs nationalistes comme Baptiste Marchais ou Julien Rochedy. Son slogan ? « Bagarre, bagarre, prière. » On a dû louper ce passage du Nouveau Testament.
Extrême droite et gros bras
Lancée en septembre 2020, la chaîne Bench & Cigars s’annonçait d’abord comme une chaîne YouTube visant à « bousculer » la planète « fitgame », un mot désignant l’univers des passionnés de musculation. « Training », « lifestyle », « conseils », son créateur, Baptiste Marchais, 26 ans alors et recordman de France de développé couché, dévoilait dans un teaser les mots d’ordre autour desquels ses contenus tourneraient. Du moins, un temps. Après une dizaine de publications, il dévoile une troisième vidéo d’une série intitulée « Repas de seigneur », qui lui permet de sortir du bois…
Le concept ? Tailler le bout de gras avec un invité autour d’un banquet gargantuesque. Son convive ? Papacito, un Toulousain connu d’Internet pour son art de la phrase choc et ses prises de position d’extrême droite. Entre deux coups de fourchette, les deux bonshommes se lancent dans des grandes diatribes autour de la nation, de « gauchistes » élevés au rang de traîtres à la patrie ou encore de théories acrobatiques sur la génétique. Cet échange publié en deux parties recueille en tout près de 2,8 millions de vues et permet à la chaîne d’engranger de nombreux abonnés (284 000 à ce jour).
De quoi conforter le youtubeur dans sa stratégie, résumée ainsi : « J’essaye de présenter des activités, un art de vivre et des personnes qui sont d’autres exemples qui peuvent concurrencer les exemples mainstream qui sont présents un peu partout [influencés par] l’idéologie marxiste ambiante. » Ancien membre des JNR, un groupuscule d’extrême droite, Baptiste Marchais a, depuis, connu des turbulences après avoir giflé une jeune militante identitaire, lui qui prônait pourtant les valeurs chevaleresques… Il est sous le coup d’une enquête pour « violences volontaires ». Un temps mis au ban par ses petits camarades identitaires, il a su rebondir grâce à des invitations dans l’émission TPMP pour débattre sur le véganisme ou la « christianophobie ». Ces apparitions lui ont permis de pousser ses idées devant un public qu’il n’aurait sans doute jamais touché sur YouTube…