Italie : Selon une étude, les arbitres sanctionnent moins les joueurs de football lorsqu’ils sont blancs
Deux sociologues, Beatrice Magistro (université de Toronto) et Morgan Wack (université de Washington), viennent de consacrer une étude à l’arbitrage dans le football italien masculin. Si le tandem a choisi ce pays, c’est non seulement parce que l’Italie est une nation phare du football (malgré ses absences lors des deux dernières Coupes du monde), mais aussi parce que les supporters d’extrême droite y sont particulièrement en vue.
Des joueurs comme le Belge Romelu Lukaku, le Sénégalais Kalidou Koulibaly ou l’Italien Mario Balotelli sont régulièrement victimes de racisme dans le cadre de leurs fonctions. Cette saison, les instances italiennes du football ont même ouvert des enquêtes concernant les chants racistes entonnés par une partie du public de la Lazio Rome et du Napoli.

L’un des objectifs des travaux de recherche était effectivement de déterminer s’il pouvait exister des discriminations dans la façon dont les matches de Serie A, la première division italienne, sont arbitrés. La première conclusion de l’étude est la suivante: entre 2009 et 2019, les arbitres ont sifflé 20% de fautes en plus contre les joueurs noirs, leur distribuant 11% de cartons jaunes et 16% de cartons rouges de plus que la moyenne.
Mais ce n’est pas tout: pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les matches se déroulaient à huis clos, les inégalités raciales face à l’arbitrage se sont totalement estompées. Peut-on alors imaginer que l’attitude hostile (c’est-à-dire raciste) d’une partie du public à l’égard des joueurs noirs puisse avoir à ce point un impact sur les décisions des arbitres? C’est l’hypothèse formulée par les sociologues à l’origine des travaux.”
Les autres championnats en attente
Il n’est pas encore possible de comparer ces données avec celles d’autre championnats européens, car Beatrice Magistro et Morgan Wack ne les ont pas encore étudiés. Mais il sera évidemment très intéressant de savoir si les inégalités constatées en Serie A seront similaires en Espagne, en Allemagne, en Angleterre ou encore en France, les quatre autres grands championnats du Vieux Continent.
Le racisme dans le football n’est pas l’apanage de l’Italie. Le cas de Vinícius Júnior, joueur du Real Madrid et huitième au dernier Ballon d’Or –preuve que le niveau ne change même pas les choses–, pris pour cible au moins cinq fois rien que durant la saison actuelle, en est un exemple édifiant. Les autres pays n’y échappent pas: l’organisation Kick It Out, qui lutte contre les discriminations dans le football, a comptabilisé 183 incidents racistes lors de la saison 2021-2022 du championnat anglais.
Pour Beatrice Magistro, les travaux de recherche pourront être particulièrement délicats dans certains pays européens, où l’absence de statistiques ethniques va compliquer la quantification du racisme dans les championnats de football.
La chercheuse refuse de céder à une classification grossière des joueurs, facilité à laquelle ont cédé certains de ses prédécesseurs, qui se sont contentés de les trier par pays d’origine «ou de considérer tous les Européens comme blancs et tous les Sud-Américains comme non blancs». Dans les travaux qu’elle mène avec Morgan Wack, pas moins de vingt couleurs de peau différentes sont prises en compte, entre autres facteurs.
Les arbitres prennent en moyenne 200 à 250 décisions par match, rappelle le Guardian, soit environ une toutes les 22 secondes. Cela ne justifie évidemment rien; en revanche, ce rythme effréné sera évidemment à prendre en compte dans les tentatives d’interpréter ces différences notables.
Pas plus agressifs, au contraire
En tout cas, la thèse selon laquelle les joueurs racisés seraient tout simplement plus agressifs sur le terrain, donc qu’il serait logique de les sanctionner davantage, ne tient pas. Au contraire, la sociologue explique avoir découvert, avec son collègue, que «les joueurs non blancs sont ceux qui jouent le moins agressivement […], peut-être parce qu’ils savent justement qu’ils sont plus susceptibles de recevoir des sanctions».
Y a-t-il un espoir pour que les choses changent et que l’arbitrage se débarrasse de ses biais racistes? Pour le tandem Magistro-Wack, c’est possible, surtout si l’on prend la NBA comme modèle. Des travaux similaires ont été réalisés sur le championnat masculin de basket, avec des résultats voisins de ceux constatés dans le football italien, explique Wack.
Mais leur publication semble avoir eu un impact sur l’arbitrage des matches de NBA: quelques années plus tard, de nouveaux tests ont montré que les biais racistes avaient disparu. Comme s’il n’avait fallu qu’une prise de conscience (ou quelques séances de travail lors des séminaires arbitraux) pour que les choses changent. Cela semble un peu miraculeux, voire irréaliste, mais il est permis d’y croire.