« La France est débordée par la crise migratoire »

Si l’Union européenne se dit enfin décidée à se protéger contre l’immigration clandestine, en coulisse, les États membres font encore valoir leurs intérêts. Ainsi de l’Italie, excédée d’être en première ligne face aux vagues migratoires. Giorgia Meloni, la nouvelle présidente du Conseil, qui vient de remporter des élections locales, s’est fait élire en partie pour la fermeté de son discours sur ce dossier. On se souvient de l’affaire de l’Ocean Viking: elle a refusé d’accueillir les migrants de ce navire, qui a finalement accosté à Toulon. C’est désormais un flux impressionnant de mineurs étrangers arrivant dans les Alpes-Maritimes, en provenance d’Italie, qui suscite des tensions entre les deux pays.

Les relations tendues qu’entretiennent Giorgia Meloni et Emmanuel Macron n’arrangent rien à cette crise migratoire. Néanmoins, celle-ci n’est pas nouvelle. Elle ne fait que s’aggraver. Le nombre de mineurs étrangers isolés sur le sol français a été multiplié par 40 en dix ans, pour être estimé aujourd’hui à quelque 40.000 jeunes. Ils arrivent de partout en Afrique, fuyant davantage la misère que la guerre, souvent via des filières mafieuses, notamment quand ils débarquent du Maghreb. Beaucoup d’entre eux répondent à de multiples identités et trichent sur leur âge réel pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance. L’obtention de ce régime ouvre des droits (logement, formation…) et rend quasi inexpulsable.

En charge de ces mineurs, les conseils départementaux tirent la sonnette d’alarme. Ils manquent de places d’hébergement et de moyens. Le coût annuel d’un jeune s’élève à environ 50.000 euros. Bien sûr, certains de ces mineurs parviennent à s’en sortir, mais d’autres sombrent dans la délinquance, comme en Île-de-France. Ils grossissent dangereusement les statistiques. Les forces de l’ordre les connaissent, mais leur «minorité» les protège.”

Les associations supposées leur venir en aide ont récemment multiplié leurs revendications. Mais l’humanité n’empêche pas la lucidité. La France ne peut se laisser déborder plus longtemps.

A Menton, les policiers français et italiens se renvoient la balle

Sept jours sur sept, des agents de la police aux frontières se relaient à la gare de Menton-Garavan pour contrôler les passagers en provenance d’Italie.

Tout à coup surgit au bout du quai le train express régional n 86.028 de 10h29 en provenance de Vintimille. Nous sommes à la gare de Menton-Garavan, la première sur le sol français après la frontière italienne. Pour la dizaine de réservistes de la police, c’est le signal. Les hommes se déploient vers l’avant et l’arrière du convoi stationné dans la gare pendant que sur les écrans d’information du train défile un bandeau lumineux: «Contrôle de police à bord de votre TER, veuillez préparer vos papiers d’identité.»

Quelques minutes plus tard, les policiers redescendent, bredouilles. «Vous auriez dû venir plus tôt, ce matin nous avons arrêté trois Ivoiriens qui nous ont annoncé avoir 13 ans», lance l’un des réservistes. Sept jours sur sept, ces agents de la police aux frontières (PAF) se relaient pour contrôler les passagers en provenance d’Italie. «C’est de 6h à 22h, à raison d’un train toutes les demi-heures, sans compter les convois de marchandises», note le fonctionnaire.

Ce scénario immuable se reproduit depuis que la France a rétabli, fin 2015, un contrôle aux frontières en prévision de la COP 21, ouverte le 30 novembre de cette année-là. Cela devait durer un mois, mais avec les attentats du 13-Novembre, la mesure est restée en vigueur. Les contrôles se font sur la voie ferrée et aux autres points de passage terrestres, péage autoroutier de La Turbie, routes de montagne de la vallée de Roya et, à Menton, aux deux entrées que les habitants appellent «la frontière du haut» et «la frontière du bas».

En haut, au pont Saint-Louis, passés quelques mètres, vous voilà en Italie, avec une première boutique pour acheter des cigarettes bon marché et, non loin, le poste-frontière italien. Accoudé à un parapet, Ibrahim, 27 ans, attend avec une vingtaine d’autres migrants le bus qui doit les reconduire dans le centre-ville de Vintimille, à cinq kilomètres de là. Interpellés la veille en France, ils ont été remis aux autorités italiennes en vertu de la procédure de non-admission. Ils ont passé la nuit entassés dans un préfabriqué accolé au poste de police français. Comme Ibrahim, ils viennent de Côte d’Ivoire mais aussi de Gambie, du Sénégal ou du Mali. Parmi eux, Kadija, 18 ans, un bébé de 10 mois sur le dos, en est à sa seconde tentative. «Nous avons froid, c’est dur pour nous», se plaint Ibrahim. Au petit matin, la température est tombée à 0 °C.

«Évaluation à charge»

À Nice, la préfecture des Alpes-Maritimes tient la comptabilité de cette incessante activité. En 2022, 37.547 interpellations d’étrangers en situation irrégulière ont été effectuées, dont 32.677 non-admissions. Le delta est constitué des mineurs non accompagnés (MNA) et des migrants interpellés hors zone frontalière. En 2023, au 9 février, on enregistre déjà 3643 non-admissions contre 2790 à la même période de 2022. Parmi eux, des mineurs de plus en plus nombreux. Depuis le début de l’année, 556 ont été remis aux services du département, contre 324 sur la même période de 2022. En vertu de la protection dont ils bénéficient, ils sont accueillis dans des centres de mise à l’abri, puis, si leur minorité est reconnue, dans des structures d’accueil ou des hôtels.

Président de l’association Tous Citoyens, David Nakache accompagne depuis six ans ces migrants dont la minorité n’a pas été reconnue par le département. «On a créé un réseau d’une quarantaine de familles qui les héberge et leur prodigue des soins, et on dépose un recours au tribunal pour enfants. Une fois sur deux, la justice nous donne raison», explique ce militant niçois. Preuve, selon lui, que le département réalise «une évaluation à charge». Il demande qu’elle soit réalisée par un tiers neutre. C’est au contraire «une garantie de qualité», argue-t-on au département. «Nous observons des situations de mineurs qui ont la preuve de leur acte de naissance dans leur téléphone mais qui sont refoulés par les policiers», rapporte de son côté l’avocate Mireille Damiano.

Elle cite un rapport d’observateurs à la frontière qui fait état, à la mi-janvier, de «dix-neuf jeunes personnes ramenées en France par les policiers italiens». «À part se mettre en difficulté, il n’y a aucun intérêt pour nous à faire ce genre de choses», réfute Philippe, policier à la PAF de Menton et délégué départemental Unité-SGP Police. Selon lui, depuis l’été, les Italiens vérifient systématiquement que les migrants qui leur sont renvoyés n’ont pas été enregistrés comme mineurs dans la péninsule. Si c’est le cas, ils sont reconduits en France, accroissant encore la charge de travail de la police aux frontières.

Le Figaro