La «Jeune Garde» : Qui se cache derrière le groupuscule antifa d’ultragauche adepte des actions violentes ?

Né à Lyon et exporté dans plusieurs villes de France, ce mouvement antifasciste cherche à gagner en respectabilité. Il s’est cependant surtout distingué par ses actions violentes.

Les policiers lui ont conseillé de porter plainte. Mais le jeune Lyonnais a refusé, et il a même hésité à nous rencontrer. Guillaume* se souviendra toute sa vie de la «violente agression» dont il dit avoir été victime. «Se faire tabasser par des antifas, c’est un risque courant quand on est militant royaliste, et je me dis que ça ne sert à rien de témoigner. Mais maintenant que je vois mon agresseur parader à l’Assemblée nationale, je ne peux plus me taire, il faut bien qu’on dise qui ils sont.»

L’homme qu’il accuse d’être son agresseur est Raphaël Arnault. Porte-parole officiel de la Jeune Garde, mouvement antifa agissant dans plusieurs grandes villes en France, celui-ci a été invité le 3 avril dernier à un débat «sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite» à l’Assemblée nationale malgré les pratiques de son propre groupuscule. Une venue qui n’a pas manqué de faire réagir divers élus de droite, comme le président des Républicains Éric Ciotti.

La Jeune Garde ne semble pourtant pas mal à l’aise avec l’usage de la violence, à en croire le témoignage des personnes qui s’en disent victimes. Le mode opératoire de ces militants antifascistes est bien connu des militants de droite, comme le raconte Guillaume. «Ils repèrent nos visages sur les réseaux sociaux, font des fiches, des listes et nous cherchent ensuite en sillonnant le Vieux Lyon à scooter. Un jour, Raphaël Arnault m’a reconnu dans le métro. Comme il était seul, il m’a simplement menacé. Mais une autre fois, il était avec un autre antifa, Safak Sagdic (cofondateur de la Jeune Garde, NDLR), et ils me sont tombés dessus à deux contre un et m’ont tabassé à coups de casque. Comme je suis tombé inconscient, ils se sont enfuis, de peur de m’avoir tué et d’avoir de gros ennuis, et je me suis réveillé dans l’ambulance.»

Violence assumée

Les agresseurs iraient parfois jusqu’à suivre leurs cibles pour repérer leur domicile. «Ils jouent à créer un climat de peur pour qu’on ne se sente jamais en sécurité, par exemple lorsque nous distribuons nos tracts», poursuit Guillaume. La Jeune Garde ne se limiterait pas à agresser des militants, comme en témoigne Pierre-Alexis, étudiant lyonnais en sciences politiques. «Alors que j’étais avec un ami à Lyon, Raphaël Arnault est venu et nous a alpagués, en nous traitant de «fafs» (Acronyme de «France aux Français», pour désigner les militants de droite nationaliste, NDLR). Comme nous étions deux, il nous a proposé une bagarre en un contre un dans le parc voisin, ce que nous avons refusé, puisque nous n’étions pas militants du tout… nous étions seulement bien habillés, avec un chèche et une chemise.» Contactés, Raphaël Arnault et Safak Sagdic n’ont pas réagi à nos sollicitations.

Malgré cette violence assumée, que le groupe justifie comme une réponse à celle de l’extrême droite, la Jeune Garde cherche à gagner en respectabilité. Depuis sa création en 2018, le collectif n’a cessé de prendre de l’ampleur médiatiquement, notamment par l’intermédiaire de son porte-parole. Le groupuscule s’est exporté à Strasbourg, à Lille, à Montpellier ou encore à Paris. Ses membres s’affichent régulièrement dans les mouvements sociaux menés par la gauche, comme lors de la mobilisation contre la réforme des retraites ou plus récemment lors des manifestations du 1er Mai, marquées par de nombreuses violences.

Venu du NPA, Raphaël Arnault entretient des liens avec les organisations syndicales et politiques. Âgé de 28 ans, le Lyonnais est proche d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou. Il a aussi été aperçu avec Jean-Luc Mélenchon, Éric Coquerel ou le controversé Taha Bouhafs, ancien candidat LFI aux élections législatives à Vénissieux. En 2022, le porte-parole de la Jeune Garde s’est présenté aux élections législatives dans la 2ème circonscription du Rhône. Soutenu par Philippe Poutou, il n’a pas réussi à obtenir l’investiture de la Nupes, qui lui a préféré un ex-député LREM ayant fui les bancs de la majorité.

Mouvance anarcho-libertaire

Sur le fond, la Jeune Garde n’innove pas et s’inscrit dans l’histoire des mouvements antifascistes. Le groupe tire d’ailleurs son nom d’un chant révolutionnaire écrit en 1912 pour le mouvement de jeunesse de la SFIO. «Ses membres sont généralement issus de la mouvance anarcho-libertaire», explique le politologue Jean-Yves Camus. Dans le détail, la Jeune Garde revendique une vocation structurante et moins autonome que ses cousins de la GALE (Groupe antifasciste Lyon et environs), révolutionnaires assumés avec lesquels Arnault et ses compagnons ont eu d’ailleurs plusieurs démêlés. Ceux-là accusaient Safak Sagdic d’avoir collaboré avec les autorités. Ils reprochent plus généralement à la Jeune Garde d’être des antifascistes de salon et de se limiter à une lutte contre le fascisme n’englobant pas le combat général contre l’État et le capitalisme.

Raphaël Arnault défile au côté du député LFI Louis Boyard contre la réforme des retraites. 

Car en parallèle des agressions de la Jeune Garde et de l’inclination de ses membres à s’en vanter, le groupe organise des tables rondes «contre l’extrême droite» et ne prend pas part aux rassemblements sauvages ou aux actions de sabotage de l’extrême gauche. C’est le paradoxe de ce groupe d’ultragauche, qui oscille entre violence intrinsèque et volonté de se donner une légitimité publique.

Un des cadres du groupe, Hamma Alhousseini, a été condamné en août 2020 pour une agression dans un bar du vieux Lyon. Le même a été l’objet d’une enquête pour apologie du terrorisme après avoir relayé sur les réseaux sociaux un soutien à Boko Haram et une approbation implicite de la décapitation de Samuel Paty. «Ce sont en grande partie des jeunes hommes qui reprennent certains codes de l’extrême droite», analyse une source bien informée. Entraînement à l’autodéfense et au combat, formation d’un service d’ordre en manifestation…

Et ce avec l’approbation implicite de certains représentants politiques de gauche qui offrent à la Jeune Garde les ponts nécessaires à sa normalisation. Jean-Luc Mélenchon lui-même, qui s’est affiché à plusieurs reprises avec Raphaël Arnault et d’autres membres du groupuscule, a encouragé le groupe antifa, appelant lors d’un meeting ses militants à «s’organiser» contre l’extrême droite, «avec des méthodes… impactantes». C’est notamment pour cette raison qu’Éric Zemmour dénonçait au mois de mars dernier une agression revendiquée par la Jeune Garde, «à dix contre un», au cours d’une opération de blocage de l’université en opposition à la réforme des retraites.

Ils appellent ça « l’antifascisme ». Un étudiant de droite lynché à dix contre un par les milices d’extrême gauche ce matin à Lyon. Ces images sont insoutenables. Ces mêmes personnes sont celles qui ont cru m’intimider samedi à Villeurbanne : la @jeune_garde. Il faut éradiquer… Voir plus

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Dissolution

Ces méthodes violentes investissent parfois directement le champ politique. Ancien responsable de l’UNI Strasbourg, syndicat étudiant de droite, François Blumenroeder a subi lui aussi une agression physique par plusieurs antifas en septembre 2021, pour laquelle il a porté plainte. Il dénonce le climat dangereux institué par la Jeune Garde dans la ville alsacienne. «Lorsque nos sympathisants savent qu’ils peuvent se faire casser la figure en allant à un meeting, ils y réfléchissent à deux fois. Leur but est de nous empêcher de militer et de défendre nos idées sur le terrain.»

Hier soir un militant de @droiteuniv et moi-même avons été tabassé par 6 antifas car nous serions des « sales facho ». En 2021 en France on ne plus s’engager à droite sans risquer pour son intégrité physique. Une plainte a été déposée.

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Pour envoyer ce message, la Jeune Garde a largement investi les réseaux sociaux, comme Twitter ou Instagram, et utilise notamment les canaux antifas comme «Antifa Squads» pour revendiquer ses agressions. Les militants de droite ne sont d’ailleurs pas les seules cibles de la Jeune Garde : la «Coordination Féministe Antifasciste» a publié en 2022 un communiqué accusant le groupuscule d’extrême gauche d’agressions répétées sur des femmes antifascistes.

À l’heure où Gérald Darmanin tente de faire interdire les manifestations de groupes d’ultradroite, après avoir dissous Génération identitaire, ce groupuscule d’ultragauche pourrait-il se retrouver dans le viseur des autorités, comme ce fut le cas pour l’autre collectif antifa lyonnais GALE ? Outre la volonté politique, la loi prévoit plusieurs critères précis pour dissoudre une association ou un «groupement de fait». Parmi ces critères, la direction des libertés publiques pourrait invoquer le fait que le groupe incite «à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens», ou qu’il présente «par sa forme et son organisation militaires le caractère de groupes de combat ou de milices privées».

*Le prénom ont été modifié

Le Figaro