« La plus grosse arnaque au faux président » : Huit personnes interpellées en France et en Israël après une escroquerie à 38 millions d’euros

Un réseau sophistiqué d’escroquerie au « faux président » et de blanchiment vient justement d’être démantelé dans une enquête dirigée par la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Des arnaques de plus en plus courantes, mais, ici, le montant du préjudice s’élève ici à plus de 38 millions d’euros pour l’une des entreprises victimes. Et l’enquête a rebondi du Portugal à Israël, en passant par la Croatie. Reste à déterminer le rôle de chacun dans le réseau démantelé. Et à retrouver le reste du butin. Car, sur les plus de 38 millions d’euros escroqués, seuls 3,9 millions ont été saisis en euros et 700.000 en cryptomonnaie.

« Echange coordonnées bancaires contre voyage au Portugal. » C’est par ce type d’annonce publiée sur les réseaux sociaux que sont attirées les « mules bancaires », comme les appellent les enquêteurs des brigades financières. Souvent de jeunes majeurs, qui acceptent de laisser les clés de leurs comptes bancaires contre un peu de cash ou un voyage, et se retrouvent impliqués in fine dans des affaires de criminalité organisée. […]

Escrocs « très convaincants »

Comment peut-on se faire escroquer de 38 millions d’euros sans s’en rendre compte ? « On a l’impression qu’avec quelques règles de bon sens on ne peut pas se faire avoir. Mais il ne faut pas croire qu’on en est encore à l’escroc qui envoie un mail truffé de fautes, aujourd’hui les escrocs sont très convaincants », prévient Vincent Kozierow, chef de la brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP) de la police judiciaire parisienne, cosaisie de l’enquête avec la section de recherches de Reims.

Des « bonimenteurs professionnels », ajoute le commissaire divisionnaire, en déroulant leurs procédés : usurpation d’identité et d’adresses mails, connaissance pointue de la structure de l’entreprise ciblée, parfois même de l’agenda du patron, utilisation du langage professionnel approprié, des noms des bonnes personnes pour les bons postes, substitution de RIB, appels téléphoniques pour augmenter la confiance… A peine une méthode est-elle détectée, qu’elle est déjà renouvelée.

En l’occurrence, dans cette affaire, une première plainte a été déposée le 7 décembre 2021 par une entreprise de métallurgie dans la Haute-Marne. Le comptable avait été contacté par mail par quelqu’un s’identifiant comme son supérieur. Sommé de réaliser un virement dans le cadre d’une opération confidentielle de rachat d’actions, le comptable obtempère : 300.000 euros sont transférés, avant qu’il ne se rende compte de son erreur. Le 29 décembre 2021, un promoteur immobilier parisien est victime de la même arnaque – dite du « faux président » – pour un dommage nettement plus important. La comptable a cette fois reçu un mail usurpant l’identité de son directeur général et lui demandant d’entrer en contact avec un cabinet d’avocats pour une opération financière importante. Résultat : une quarantaine de virements effectués, et presque 38 millions d’euros volatilisés.

Les escrocs ont volé plus de 38 millions d’euros à deux entreprises se faisant passer pour le PDG. Les arnaques aux faux ordres de virements, ou arnaques au président, se sont multipliées avec le développement d’internet.

Ils sont soupçonnés d’avoir blanchi plus de 38 millions d’euros issus de la plus grande « arnaque au président » enregistrée en France : huit hommes ont été interpellés en région parisienne et en Israël dans une enquête qui a nécessité une importante coopération européenne.

« L’arnaque au président » est une escroquerie dont le mode opératoire consiste à usurper l’identité du dirigeant d’une entreprise pour convaincre un salarié de réaliser un faux ordre de virement. Les six suspects interpellés en France, en juin 2022 et janvier dernier, ont été laissés libres sans poursuites à ce stade, selon le parquet de Paris. Concernant les deux arrestations en Israël, aucune demande d’extradition n’a été formulée à ce stade, d’après une source proche du dossier.

Au total, 3,9 millions d’euros d’avoirs criminels, dont 700 000 euros en cryptomonnaies, ont pu être saisis, selon une source policière française.

L’affaire démarre en décembre 2021, quand le comptable du promoteur immobilier parisien Sefri-Cime reçoit un appel. Au bout du fil, un homme qui se fait passer pour un avocat d’un grand cabinet. L’escroc prétexte « une opération confidentielle de rachat de sociétés », le tout avec l’accord du président de l’entreprise, explique à l’AFP le commissaire Vincent Kozierow, chef de la brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP) de la police judiciaire parisienne. Pour crédibiliser davantage le scénario, le comptable reçoit dans la foulée un courriel usurpant l’identité du PDG qui lui confirme que l’opération est réalisée à sa demande.

Usurpation d’identité

Au total, plus de 40 virements vont être effectués en quelques semaines pour un montant total de 38 millions d’euros, un record en France. La direction finit par déceler l’escroquerie et dépose plainte au commissariat du 14e arrondissement de Paris, siège du groupe.

A la même période, une société de métallurgie de Haute-Marne est également victime d’une « arnaque au président » pour une perte de 300.000 euros. Le mode opératoire est similaire : un homme usurpant l’identité du patron de l’entreprise appelle le comptable et lui demande de faire un virement sur un compte hongrois pour une opération financière secrète.

L’escroc « avait insisté auprès du comptable pour qu’il n’en parle à personne et ainsi l’isoler », rapporte à l’AFP le colonel Jean-Paul Douviers, commandant de la section de recherches de Reims, chargée de l’enquête après la plainte de l’entreprise. Les gendarmes et les policiers comprennent très vite, grâce aux exploitations des lignes téléphoniques, qu’ils ont affaire à la même équipe.

Leurs deux affaires sont alors réunies dans une seule enquête pour escroquerie en bande organisée et blanchiment d’escroquerie en bande organisée notamment, sous l’autorité de la section financière de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco).

Les investigations sur les flux bancaires font voyager les enquêteurs dans une bonne partie de l’Europe, notamment en Espagne, au Portugal, en Croatie et en Hongrie où les fonds ont transité sur différents comptes bancaires ouverts sous de fausses identités et au nom de sociétés fictives. Les polices de ces différents pays, notamment portugaises et espagnoles, se joignent aux policiers et gendarmes français, sous l’égide d’Europol, et mènent un travail de fourmi.

Identifier les escrocs

Pour démasquer ces « mules bancaires » cachées sous des noms d’emprunt, les enquêteurs ont eu recours à un logiciel de reconnaissance faciale pour les identifier dans un fichier de police – le TAJ, traitement d’antécédents judiciaires -, les escrocs ayant souvent laissé leurs vraies photos sur les faux papiers.

« C’est un dossier significatif par le préjudice très fort et son importante dimension internationale », souligne le chef de la BFMP, ajoutant que l’enquête n’est pas terminée.

Le précédent record en France remontait à 2013 avec le groupe Vallourec, délesté de 23 millions d’euros. Les arnaques aux faux ordres de virements (FOVI), ou arnaques au président, sont apparues vers 2010 et se sont multipliées avec le développement d’internet. « Nous sommes face à des individus beaux parleurs, expérimentés et très bien renseignés sur les activités des entreprises ciblées », souligne le colonel Douviers.

Pour se prémunir, les entreprises doivent systématiser le « double contrôle » avant la validation des virements et sensibiliser leurs salariés à « se méfier des numéros masqués, vérifier les en-têtes de mail et toujours demander un contre-appel », ajoute-t-il.

L’Obs