Lampedusa : “La seule solution, c’est d’accueillir ces migrants en dignité à travers tout le territoire européen”
Au moins 11.000 personnes ont débarqué sur la petite île italienne en quelques jours, attirant une nouvelle fois l’attention sur une des principales portes d’entrée des exilés en Europe.
Du jamais vu. Entre lundi 11 et mercredi 13 septembre, 10 000 personnes, soit plus d’une fois et demi la population locale, ont débarqué à Lampedusa, petite île italienne à 150 kilomètres des côtes africaines. Les autorités ont déclaré l’état d’urgence pendant que la Croix-Rouge italienne, débordée, assure tant bien que mal la prise en charge des nouveaux arrivants en provenance du nord de l’Afrique. De par sa position stratégique, Lampedusa concentre l’immense majorité des arrivées par voies maritimes en Europe, soit environ 97 000 personnes sur les 160 000 débarquées sur les rives européennes entre le 1er janvier et le 10 septembre 2023, d’après les données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
En Italie, le nombre de migrants arrivés par la mer a presque doublé depuis le début de l’année par rapport à la même période l’année dernière, d’après le gouvernement italien. «La pression migratoire accrue sur cette route pourrait persister dans les mois à venir, les passeurs baissant les prix pour les migrants partant de Libye et de Tunisie, dans un contexte de concurrence féroce entre les groupes criminels», a affirmé l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes Frontex, dans un communiqué publié jeudi.
La seule solution, c’est d’accueillir ces personnes migrantes en dignité à travers tout le territoire européen” – Saphia Ait-Ouarabi (vice-présidente de SOS Racisme)
Que deviennent ces hommes, ces femmes et ces enfants une fois débarqués sur l’île sicilienne ? Contactée, la responsable des migrations de la Croix-Rouge italienne, Francesca Basile, explique que la prise en charge débute sur le quai, où une première assistance est fournie. «Ensuite, nous transférons les personnes vers le centre d’accueil, où elles reçoivent des informations. Elles ont la possibilité de changer de vêtements, reçoivent une assistance médicale. Il y a aussi une médiation culturelle et de la distribution de nourriture», détaille-t-elle. L’équipe est composée d’une centaine d’opérateurs. «Des spécialistes qui suivent les mineurs non accompagnés, des médecins, des psychologues, des cuisiniers», liste Francesca Basile. Une équipe pluridisciplinaire mais quelque peu dépassée par l’arrivée importante de ces derniers jours, constate-t-elle.
Des séjours «de 24 à 48 heures» au centre d’accueil de l’île
Depuis 2015, Lampedusa est l’un des «hotspots» de l’Union européenne, où les migrants sont identifiés par les autorités et sont censés recevoir des informations sur les démarches qu’ils peuvent entreprendre, notamment la demande d’asile. D’une capacité officielle de 400 places, le centre d’accueil est donc saturé ces derniers jours. Mercredi, environ 6 000 personnes y étaient présentes. Mais le séjour à l’intérieur du centre «est assez court», indique Francesca Basile, «entre 24 et 48 heures pour la plupart des personnes».
Elles sont ensuite emmenées vers d’autres centres d’accueil, dispersés partout en Italie. «La plupart d’entre eux sont transférés par bateau vers d’autres ports italiens et parfois par avion», explique la responsable. A sa connaissance, aucune personne n’est directement expulsée depuis le centre de Lampedusa. Environ 3 000 personnes devraient être transférées d’ici vendredi 15 septembre au soir dans d’autres centres en Italie, où elles pourront suivre leur demande d’asile, si elles en déposent une, puis envisager une installation plus pérenne en cas de réponse favorable (en Italie, le taux de rejet en première instance des demandes de protection s’élève à 56% entre janvier et juin 2023, selon le HCR).
La relocalisation des personnes entravée
Le règlement de Dublin III instaure que la demande d’asile soit instruite dans le premier pays où la personne est arrivée au sein de l’Union européenne (à l’exception du Danemark), de la Suisse, de la Norvège et du Liechtenstein. Cependant depuis la crise de l’accueil en 2015, une partie des demandeurs d’asile peut être «relocalisée» vers d’autres pays européens. Mais cette mesure impopulaire au sein des Etats signataires a très peu été suivie des faits.
Seulement 1 159 demandeurs d’asiles initialement pris en charge par l’Italie ont ainsi été relocalisés ces 14 derniers mois, indique le ministère de l’Intérieur italien à CheckNews. Autrement dit, l’avenir des 10 000 personnes parvenues cette semaine à Lampedusa, comme celui des dizaines de milliers de personnes arrivées avant eux, se jouera vraisemblablement sur le sol italien. Jeudi 14 septembre, l’Allemagne a annoncé la suspension du dispositif de relocalisation en raison d’une «forte pression migratoire» sur son territoire et du refus de certains pays, dont l’Italie, d’accueillir eux-mêmes des migrants dans le cadre de ce programme. Une décision qui avait déjà été signifiée à Rome, fin août, avant donc l’arrivée massive de ces derniers jours.