Le génome de Ludwig van Beethoven révélé par ses cheveux
Il était sourd (mais on ne sait toujours pas pourquoi), buvait trop, avait une hépatite B, et son grand-père n’était pas son grand-père… Une équipe de chercheurs ont analysé des mèches de cheveux du musicien allemand (1770-1827) pour séquencer son génome.
A l’égal de Mozart, c’est la figure de proue de la musique classique, mais aujourd’hui il entre dans un nouveau palmarès, celui des personnages historiques dont on a fait parler l’ADN. Ludwig van Beethoven, mort le 26 mars 1827, a laissé derrière lui quelques mèches de cheveux qui viennent d’être utilisées par une équipe internationale de spécialistes pour séquencer son génome. Un exploit technique et scientifique d’ampleur qui est aujourd’hui détaillé dans une étude publiée dans la revue spécialisée « Current Biology ».
L’équipe emmenée par Tristan Begg, aujourd’hui doctorant en anthropologie biologique à l’université de Cambridge (Angleterre), a ainsi exaucé par-delà la tombe un vœu émis par Beethoven lui-même. Lorsque sa surdité est devenue trop importante pour lui permettre de jouer en public, il s’est beaucoup isolé. Il en a visiblement souffert puisqu’il a couché par écrit une volonté d’explication qu’il souhaitait porter à la connaissance de tous, en espérant que ceux qui l’ont connu lui pardonneraient de s’être tenu à distance.

Sculpture de Beethoven par Hugo Hagen, réalisée à partir de son masque mortuaire.
Coliques et jaunisse
Le lendemain de la mort de Beethoven, deux de ses associés ont en effet découvert plusieurs documents entreposés dans un compartiment caché de son bureau. Parmi eux, une lettre écrite en 1802 et adressée à ses frères, que l’on connaît aujourd’hui sous l’appellation de Testament de Heiligenstadt. Dans celui-ci, le compositeur explique sa perte progressive de l’ouïe et demande qu’après son décès, le Dr Johann Adam Schmidt, son médecin favori, décrive sa maladie et la rende publique de manière à ce qu’« autant que possible, au moins, le monde sera réconcilié avec moi après ma mort ».
Nombre de biographes médicaux ont ensuite tenté d’expliquer les causes des divers maux dont se plaignait le musicien. Ces recherches se sont essentiellement basées sur des écrits de Beethoven lui-même, sur les notes de ses médecins, un rapport d’autopsie et des descriptions de son squelette qui ont suivi deux exhumations, en 1863 et 1888. Des mèches de cheveux qui lui sont attribuées ont aussi fait l’objet d’analyses, notamment toxicologiques.
Trois grands problèmes de santé ont ainsi été listés : le déclin de son audition, le plus célèbre, mais aussi des problèmes gastro-intestinaux et enfin une maladie du foie à la fin de sa vie. La première, qui a débuté probablement entre 25 et 30 ans, s’est d’abord manifestée par des acouphènes et une perte des plus hautes fréquences. Ce qui l’a empêché de se produire en tant que musicien à partir du milieu de la quarantaine. Côté intestinal, Beethoven s’est plaint de problèmes abdominaux depuis au moins l’âge de 22 ans, avec des coliques souvent suivies de diarrhées. Enfin, à l’été 1821, le musicien subit une première attaque de « jaunisse » qui sera suivie d’au moins une autre, et il finira par en mourir, probablement de cirrhose le 26 mars 1827.
Plus de 200 ans plus tard, on en sait donc beaucoup plus grâce à cette nouvelle étude, qui révèle le séquençage du génome du compositeur et en tire des conclusions passionnantes, tout cela à partir de cinq mèches de cheveux conservées par des collectionneurs. « Notre but principal était d’apporter un éclairage sur les problèmes de santé de Beethoven, qui, c’est bien connu, incluaient une perte progressive d’audition qui a débuté entre le milieu et la fin de la vingtaine et l’a amené à être fonctionnellement sourd en 1818 », informe Johannes Krause, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig (Allemagne), coauteur de l’étude.
Les causes de la surdité de Beethoven restent mystérieuses
Qu’est-ce qui a rendu Beethoven sourd ? On a évoqué des origines variées, des maladies qui pourraient avoir des causes génétiques. Une hypothèse qui semblait très solide – car basée là aussi sur des analyses de ses cheveux – avait envisagé que le compositeur ait souffert d’un empoisonnement au plomb, que l’on pouvait retrouver dans l’environnement de l’époque, notamment dans certains vins que Beethoven affectionnait. Un empoisonnement qui aurait, aussi, permis d’expliquer d’autres troubles dont il se plaignait. Le problème aujourd’hui est que la mèche qui aurait pu être utilisée pour appuyer cette hypothèse fait justement partie de celles qui ont été rejetées par l’équipe de Tristan Begg.
Il s’agit de la « mèche de Hiller », que l’on pensait avoir été coupée par le musicien Ferdinand Hiller, alors âgé de 15 ans, directement sur la tête du défunt. Mais les analyses génétiques ont montré que ces cheveux-là appartenaient à un individu de sexe féminin. « Comme nous savons désormais que la “mèche de Hiller” provenait d’une femme et pas de Beethoven, aucune des analyses précédentes basées uniquement sur cette mèche ne s’applique au musicien », admet William Meredith, autre coauteur de l’étude qui avait participé à de précédentes analyses des restes de Beethoven. « De futures études visant à tester le plomb, les opiacées et le mercure devront être basées sur des échantillons authentifiés. » Et les auteurs n’en ont pas trouvé sur leurs cinq mèches qu’ils considèrent comme authentiques.
L’origine de la surdité du compositeur reste donc inconnue. Mais « même si l’on n’a pas pu identifier une cause génétique claire de la perte d’audition de Beethoven, les scientifiques préviennent que l’on ne peut pas strictement rejeter un tel scénario, » complète le Dr Axel Schmidt, de l’Institut de génétique humaine de l’hôpital universitaire de Bonn (Allemagne) et coauteur de l’étude. « Les données de référence, nécessaires pour interpréter les génomes individuels, s’améliorent constamment. Il est donc possible que le génome de Beethoven révèle des indices sur la cause de sa perte d’audition à l’avenir. »
Hépatite, alcool et prédispositions génétiques
Beethoven se plaignait de problèmes gastro-intestinaux chroniques. Sur ce point non plus, l’équipe ne fournit pas de réponse précise mais a tout de même réussi à écarter des possibilités qui avaient été précédemment évoquées. On avait, par exemple, envisagé une maladie cœliaque – une intolérance au gluten – ou une intolérance au lactose, mais les données génétiques rendent ces hypothèses « fortement improbables ». Ses gènes semblent aussi le protéger contre le syndrome de l’intestin irritable. En revanche, on en apprend beaucoup sur ses prédispositions à des maladies du foie.
Ses attaques de « jaunisse » décrivaient à l’évidence une telle faiblesse, mais d’où provenait-elle ? Nombre de spécialistes blâmaient une cirrhose due à une consommation trop importante d’alcool. « Les cahiers de conversation que Beethoven a utilisés durant la dernière décennie de sa vie laissent supposer que sa consommation d’alcool était très régulière, même s’il est difficile d’estimer les volumes consommés », détaille Tristan Begg. « Alors que la plupart de ses contemporains affirment que sa consommation était modérée en fonction des standards viennois du XIXe siècle, il n’y a pas un accord complet entre ces sources, et cela correspondrait tout de même à des quantités d’alcool que l’on sait aujourd’hui être nocives pour le foie. Si sa consommation d’alcool était suffisamment forte sur une période assez longue, l’interaction avec ses facteurs de risques génétiques présente une explication possible à sa cirrhose. »
Pour l’étude, l’alcool n’aurait en effet été qu’un paramètre parmi d’autres. « Nous avons découvert un nombre significatif de facteurs de risques génétiques pour des maladies du foie », confirme Johannes Krause, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig (Allemagne), coauteur de l’étude. « Nous avons aussi trouvé les preuves d’une infection avec le virus de l’hépatite B au plus tard dans les mois précédant la maladie terminale du compositeur. Cela a probablement contribué à sa mort. »
Le virus de l’hépatite B (ou HBV) est « un problème de santé publique actuel important et une cause majeure de cirrhose et de cancer », précise l’étude. « Ce virus peut être transmis de la mère à l’enfant à la naissance, par des contacts sexuels ou durant une chirurgie avec des instruments contaminés. Il peut causer des infections chroniques (particulièrement lorsqu’il est contracté durant l’enfance), qui entraînent, dans une grande proportion de cas, des complications au niveau du foie après des décennies. Des infections aiguës sont généralement asymptomatiques ou légères mais peuvent mener dans de rare cas à des hépatites mortelles. » Dans le cas Beethoven, seuls les cheveux de la mèche Stumpff ont présenté un test positif au HBV mais cela ne signifie pas forcément que l’infection a été contractée vers la fin de sa vie. « Des limitations dans les tests et les fluctuations dans la proportion des virus rendent impossible de déterminer quand l’infection s’est produite », admettent les chercheurs.
On commence tout de même à avoir un tableau assez complet des possibles causes du décès de Beethoven. « Avec sa prédisposition génétique et sa consommation d’alcool largement acceptée, cela fournit des explications plausibles pour une grave maladie du foie, qui a entraîné la mort », concluent les auteurs. Ils suggèrent ainsi que l’hépatite B pourrait avoir été exacerbée par l’absorption d’alcool et le risque génétique. « En tenant compte de son historique médical connu, il est hautement probable qu’il s’agissait d’une combinaison entre ces trois facteurs, consommation d’alcool incluse, qui ont agi de concert, avance Tristan Begg, mais des recherches futures devront clarifier dans quelle mesure chaque facteur était impliqué. »
L’ancêtre qui n’en était pas un
Outre sa santé, l’étude dévoile aussi un autre élément de la généalogie de Beethoven. Les auteurs ont en effet étudié en parallèle le génome de cinq membres vivants de la lignée patrilinéaire des van Beethoven, qui portent encore ce nom et dont les données généalogiques font remonter la filiation jusqu’à un ancêtre commun avec le compositeur, Aert van Beethoven (1535-1609). Ces cinq personnes ne sont apparentées que de manières distantes mais ont des correspondances dans leur chromosome Y qui confirment leur descendance d’un ancêtre commun du XVIe siècle.
Le hic, c’est que Ludwig van Beethoven, lui, n’a pas le même chromosome Y. Les données génétiques laissent donc supposer qu’un « événement extra-marital » s’est produit chez l’un de ses ancêtres. Pour parler clairement, l’une de ses aïeules aurait conçu un fils avec un autre que son mari de la lignée Beethoven. « En Europe de l’Ouest, durant les 400 dernières années, de tels événements étaient rares mais se produisaient, à une fréquence moyenne de 1 à 2 % par génération », précise l’étude.
« Nos découvertes suggèrent un événement de paternité extra-maritale dans sa lignée paternelle entre la conception de Hendrik van Beethoven à Kampenhout (Belgique) vers 1572 et la conception de Ludwig van Beethoven sept générations plus tard en 1770 à Bonn, en Allemagne », détaille Tristan Begg. Un biographe de Beethoven aurait d’ailleurs suggéré que son grand-père paternel – également prénommé Ludwig – n’aurait pas été le père biologique de Johann van Beethoven, le père de Ludwig. Mais « nos découvertes génétiques ne nous ont cependant pas permis de favoriser une génération en particulier ».
Cinq mèches, une histoire
Au départ, l’équipe a effectué des tests sur huit échantillons de cheveux provenant de collections publiques et privées – au Royaume-Uni, en Europe et aux Etats-Unis. Mais contrairement à ce que pensaient leurs propriétaires, au moins deux d’entre eux ne provenaient pas du compositeur. En combinant les informations génétiques avec l’histoire de la provenance de chacune de ces mèches, les scientifiques ont sélectionné les cinq – datant des sept dernières années de sa vie – qui ont fait l’objet d’une analyse ADN approfondie pour reconstituer le génome du compositeur.
La mèche Halm-Thayer, par exemple, a été donnée par Beethoven en personne au pianiste et compositeur Anton Halm et à son épouse en 1826. Halm l’a offerte en 1859 à Alexander Thayer, spécialiste de Beethoven et elle est restée dans la famille de ce dernier jusqu’à son achat en 2017 par un membre de l’American Beethoven Society – cette dernière ayant fourni un échantillon aux auteurs de l’étude. De même, la mèche Stumpff, celle qui a permis le séquençage complet, car la mieux préservée, a été envoyée au luthier Johan Stumpff de Londres par un ami de la famille qui l’a obtenue de la personne en charge d’organiser les funérailles de Beethoven. La famille Stumpff l’a conservée jusqu’à sa vente en 2016, là encore à l’American Beethoven Society.
De manière globale, l’équipe de scientifiques a considéré que sur les cinq mèches retenues, deux avaient une source qualifiée d’« impeccable », deux une « bonne » source et la cinquième est estimée comme « modérée », mais toutes les cinq se sont avérées génétiquement identiques. Ils ont considéré que les critères retenus pour leur origine et l’analyse génétique étaient suffisants pour attribuer ces mèches au compositeur. Les cinq seraient donc « presque certainement authentiques », ce qui, en langage scientifique, est aussi proche que possible d’une complète certitude.
Cette étude a bénéficié des progrès de la technologie génétique, qui ont permis de séquencer un génome entier à partir de petits échantillons. « Nous avons incorporé des améliorations dans les méthodes d’analyse de l’ADN ancien dans les protocoles existants pour les anciens échantillons de cheveux, ce qui a permis le séquençage de génome à forte couverture à partir de petites parties de cheveux historiques », révèlent ces chercheurs.
Ils reconnaissent cependant « d’importantes limitations ». Par exemple, « malgré les grandes avancées dans la génétique médicale, les causes génétiques de nombreuses maladies ne sont pas encore bien comprises, particulièrement dans les cas de maladies multifactorielles, qui sont encore plus compliquées par le fait que des causes non génétiques peuvent aussi contribuer de manière substantielle au développement de la pathologie ».
De futures études de différents échantillons recueillis au fil du temps pourraient pourtant permettre de savoir quand Beethoven a été infecté par l’hépatite B. Et celles qui pourraient être menées sur ses parents proches seraient susceptibles d’aider à clarifier ses relations biologiques aux descendants modernes du musicien. « Nous espérons qu’en rendant le génome de Beethoven disponible publiquement pour les chercheurs, et peut-être en ajoutant d’autres mèches de cheveux identifiées à la série initiale, les questions qui demeurent sur sa santé et sa généalogie pourront un jour être élucidées », espère Tristan Begg.
L’équipe envisage de nouvelles directions de recherche, surtout si, maintenant que l’on possède son génome complet, d’autres mèches de cheveux peuvent être identifiées. Les progrès de la bio-informatique et de la recherche génétique médicale pourraient aussi amener à de nouvelles évaluations de ce génome. « Cette étude illustre la contribution et le potentiel à venir des données génomiques comme nouvelle source primaire de biographie historique », concluent les auteurs. Mais c’est déjà un bel exploit que d’avoir déchiffré le génome de Beethoven.