Le Puy du Fou à la conquête du monde
Malgré quelques polémiques, le parc vendéen est devenu une référence en matière de spectacle vivant. Fort de son succès, il tisse sa toile hors des frontières hexagonales, comme en témoigne son nouveau projet aux Etats-Unis.
La séance du conseil tribal a débuté par une prière et quelques mots en langue cherokee. Trois heures de débats plus tard, dans la petite salle lambrissée et décorée de motifs indiens, est venu le plat de résistance des points du jour : accorder 75 millions de dollars au développement d’un nouveau site touristique, aux portes du parc national des Great Smoky Mountains, stratégiquement placé à la sortie de l’Interstate 40. Et pour inciter les millions d’automobilistes annuels à s’arrêter, la tribu des Indiens Cherokees de l’Est mise sur le savoir-faire du… Puy du Fou.

« Cherokee Rose » – le nom de code du futur projet – racontera une histoire « basée sur la culture cherokee, la première guerre mondiale et les code talkers », ces Indiens qui faisaient passer des messages cryptés grâce à leur langue méconnue des belligérants, expliquait ce 5 mai 2022 l’un des élus du conseil. Une diversification pour la communauté indienne de 15.000 membres, davantage habituée à investir dans les casinos. Et une première en terre américaine pour le Puy du Fou.
« Nos spectacles ne doivent jamais diviser »
L’histoire sera basée sur des faits avérés – quand les Cherokees de l’Est s’engagent de manière volontaire dans l’armée américaine en 1917, et en seront remerciés par l’obtention de la citoyenneté. « Pour le scénario, nous avons la confiance de la tribu et du chef Richard Sneed, mais nous travaillons avec des conseillers : la directrice du musée de la ville de Cherokees, des historiens, pour nous assurer qu’il n’y a pas de faute culturelle ou d’erreur, et pour devenir Cherokee le temps de l’écriture du projet », explique Nicolas de Villiers, le président du Puy du Fou. Son ambition assumée est de « donner la face lumineuse », explique-t-il. « C’est une façon de faire le bien par le beau. Nos spectacles fédèrent, rassemblent, ils doivent guérir, ne jamais diviser. »
La différence entre un livre plein de fiel et le Puy du Fou, c’est qu’il s’en est vendu 3.000 exemplaires, tandis que nous avons 2,3 millions de visiteurs.”
La précision a son importance. Car sur ses terres, les spectacles du parc vendéen, souvent encensés pour la qualité de leur réalisation, sont aussi parfois critiqués pour la confusion qu’ils entretiennent entre vérité historique et fiction. Dans un livre paru l’an dernier et intitulé « Le Puy du Faux », son interprétation de l’histoire de France est par exemple présentée comme une « falsification », véhiculant des « messages politiques très marqués à droite ». La présence de Philippe de Villiers, fondateur du Puy du Fou, dans l’équipe de campagne d’ Eric Zemmour lors de la dernière élection présidentielle a également nourri l’offensive des détracteurs du parc.
S’il fait mine de ne pas s’en soucier, Nicolas de Villiers n’a que moyennement apprécié l’épisode. « Le Puy du Fou ne sera pas jugé sur le scribouilli de quelques étudiants attardés et un peu aigris [en fait quatre historiens de profession, NDLR], mais sur son succès populaire. La différence entre un livre plein de fiel et le Puy du Fou, c’est qu’il s’en est vendu 3.000 exemplaires, tandis que nous avons 2,3 millions de visiteurs. Je ne sais pas si la majorité a raison mais, en l’occurrence, elle est écrasante », balaye-t-il.
Succès populaire et machine à cash
De fait, le Puy du Fou, fondé en 1989, est devenu une énorme machine à divertissement, au point de s’installer à la deuxième place des parcs à thème français derrière le géant Disney. L’une de ses grandes forces repose sur sa communauté, qu’il a su construire au fil des ans, en particulier au niveau local. Son taux de revisite (les spectateurs qui reviennent après leur première expérience), qui dépasse les 60 % sur les cinq années suivantes, en est la preuve, et lui assure une base solide pour son développement.
Logiquement, ce succès populaire s’est vite transformé en une réussite économique. L’ensemble de ses activités ont généré 125 millions d’euros de revenus en 2019. Et après deux années noires pour cause de pandémie , sans doute plus en 2022. Pour ne rien gâcher, le parc est structurellement rentable, l’ensemble des bénéfices étant réinvestis.
De quoi susciter l’admiration de ses pairs. « C’est une sublime vitrine pour notre activité. Un secteur a besoin d’une locomotive, capable de donner un coup de projecteur », souligne ainsi Arnaud Bennet, patron du parc animalier Le Pal et par ailleurs président du Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (Snelac).
Des films, des hôtels et des trains
De locomotive, il est d’ailleurs question lorsqu’il s’agit d’évoquer les prochains projets du parc. Le Grand Tour, spectacle itinérant de plusieurs jours à bord d’un train, est sur les rails, et devrait accueillir ses premiers clients en octobre 2023. Avec déjà six hôtels et un grand théâtre pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes, l’accueil de séminaires ou de congrès constituera également un axe de développement. Enfin, la production de films va se poursuivre, malgré l’accueil relativement frais de la critique pour « Vaincre ou mourir », une fiction inspirée de l’histoire des guerres de Vendée, sortie en janvier dernier.
Une diversification qui s’est accompagnée d’une transformation de son modèle, devenu tentaculaire. Désormais, les activités du parc sont sous la coupe de la holding « Puy du Fou France », qui elle-même chapeaute le « Puy du Fou Signature » (qui gère l’international, les films, ou le nouveau projet du grand train) et la SCI propriétaire des hôtels du parc. Le tout étant contrôlé par… une association de loi 1901, fondée en 1977 par Philippe de Villiers.
Nous regardons tous les pays d’Europe, et pas seulement.”
Cette dernière organise la Cinéscénie, grande fresque nocturne sur l’histoire de la Vendée, qui a forgé la réputation du Puy du Fou avant la création du parc. Cette dernière est interprétée le samedi par des acteurs professionnels, épaulés par quelque 4.000 bénévoles. Ces « Puyfolais » – qui comptent d’ailleurs dans leurs rangs certains salariés du parc – constituent un motif de fierté pour ses dirigeants… et d’agacement pour certains de leurs concurrents. « Evidemment, 28 représentations par an devant 13.000 personnes, avec une masse salariale quasi nulle, ça aide », grince l’un d’eux, qui reconnaît tout de même « l’immense réussite, en général » du parc vendéen.
Succès en Espagne, difficultés en Chine
Une réussite qui a poussé le Puy du Fou à s’aventurer en dehors des frontières hexagonales. D’une part, en commercialisant son savoir-faire artistique, comme aux Pays-Bas où Efteling, l’un des plus importants parcs de loisirs d’Europe, lui a confié la réalisation d’un spectacle autour du Moyen Âge. D’autre part, en exportant le modèle qui a fait son succès en France. En 2021, Le Puy du Fou Espagne a ainsi ouvert ses portes, près de Tolède. Avec toutefois un modèle différent : actionnaire majoritaire (un peu plus de 50 %), le Puy du Fou a cette fois accepté d’ouvrir le capital de sa filiale à des investisseurs extérieurs. Pas de « Puyfolais », non plus, preuve que « le Puy du Fou sait parfaitement se passer du bénévolat, économiquement du moins », sourit Nicolas de Villiers. Au total, sept spectacles sont proposés aux visiteurs, contre un peu plus du double en France. Pour l’heure, le succès est au rendez-vous : 600.000 visiteurs la première année, 900.000 la suivante. Avec pour objectif de franchir le cap des 2 millions au cours de la décennie 2030.
A l’étranger, cette première expérience réussie n’est pas passée inaperçue. « Beaucoup de pays viennent nous voir, porteurs de projets publics ou privés. Tous veulent leur Puy du Fou. Mais nous disons ‘non’ tous les jours, car on ne peut pas courir trop de lièvres à la fois », confie Nicolas de Villiers. En revanche, « nous regardons plusieurs marchés où nous souhaitons installer des parcs, selon le modèle du Puy du Fou Espagne. Pour tout dire, nous regardons tous les pays d’Europe, et pas seulement ».
Sans réelle limite, les ambitions des dirigeants vendéens sont parfois contrariées. En Chine, le projet d’un spectacle de deux heures en plein coeur de Shanghai, annoncé en 2021, a été heurté de plein fouet par la crise et la politique zéro Covid du gouvernement. Résultat : un chantier mis à l’arrêt pendant un an, et une ouverture repoussée d’autant… si elle a lieu. « Cela nous met en difficulté, on ne peut pas encore dire si c’est compromis. L’objectif reste d’ouvrir en 2024, au lieu de 2023 », reconnaît le dirigeant.
Déambulation en bord d’autoroute
Aux Etats-Unis, le projet a lui aussi pris un peu de retard. La pose de la première pierre est envisagée en septembre, mais avec une ouverture désormais programmée en 2025, au lieu de 2024. Et le spectacle américain du Puy du Fou sera loin du show grandiose donné en France. Il ne durera qu’entre 30 et 45 minutes, et la « déambulation » des spectateurs est un prérequis des investisseurs : les automobilistes de passage ne sont pas prêts à patienter pour un spectacle à heure fixe.
Le site, baptisé en référence à son numéro de sortie d’autoroute (« The 407 : Gateway to Adventure »), restera largement commercial : la première « attraction » à sortir de terre sera, dès ce mois de juin, un magasin d’autoroute géant – 7.000 m2 et 120 pompes à essence -, porté par la marque au castor Buc-ee’s – dont les aficionados recommandent sur leur chaîne YouTube le « brisket sandwich ». Un accord de principe a aussi été donné par le conseil tribal pour créer, un jour, un bar de paris sportifs.
Dans son modèle économique américain, le Puy du Fou limite ses risques financiers : sur les 75 millions de dollars consacrés à la première phase du projet touristique, 45 millions sont dévolus à « Cherokee Rose ». L’investissement sera donc financé par la tribu, le Puy du Fou étant seulement le créateur et l’opérateur de la future attraction. « Cela aurait été mieux s’ils avaient utilisé leur argent », argumentait l’un des élus, l’an dernier, lors du vote. « C’était une option, mais le conseil [de Kituwah, LLC, le porteur du projet, NDLR] a pensé qu’avoir la propriété était le mieux », a-t-il été répondu, sans plus de débat. En France, en Espagne ou hors des frontières européennes, qu’importe le modèle pour le Puy du Fou, pourvu que sa marque rayonne un peu plus.