L’État français frappe les Frères musulmans au portefeuille

L’exécutif a décidé d’accélérer son offensive sur le front de l’islam radical, en tapant cette fois les Frères musulmans très fort au portefeuille. Deux ans et demi après le choc de l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie décapité en octobre 2020 à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine, et cinq mois après l’expulsion vers le Maroc d’Hassan Iquioussen, le «prêcheur des cités» d’obédience frériste – qui s’était distingué dès 2003 par ses propos antisémites et misogynes -, Le Figaro dévoile un état des lieux édifiant. Une vingtaine de fonds de dotation douteux liés à l’islam politique ont été identifiés.

Selon nos informations, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a identifié pas moins d’une vingtaine de fonds de dotation douteux liés à l’islam politique. «Créés en 2008 pour orienter des fonds privés vers des activités d’intérêt général, ces dispositifs étaient très peu contrôlés en préfecture où ils étaient déclarés, souligne un haut fonctionnaire. Très vite, l’islam politique s’est engouffré dans la brèche pour financer clandestinement les activités de culte de la confrérie frériste, qui a beaucoup investi dans ces fonds. De l’argent a été investi de manière illégale dans des salles de prières, pour assurer le fonctionnement et l’entretien de mosquées réputées proche de la mouvance.» 

Dès l’automne 2021, au lendemain de la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sonne le tocsin. Et donne instruction aux préfets de passer au crible tous les fonds de dotation.

Aussi opaque que complexe

De longues et minutieuses investigations menées au cœur d’un mécanisme de financement aussi opaque que complexe ont permis de documenter des dossiers et de mener en toute discrétion des «actions d’entrave». Toujours selon nos informations, huit des vingt fonds ciblés ont d’ores et déjà été suspendus, dont quatre font déjà preuve d’une assignation judiciaire avec volonté de les dissoudre. Parmi les structures frappées de suspension figurent notamment le Fonds européen des femmes musulmanes, le fonds Al-Kindi ou encore le fonds Apogée. «Certains conservaient dans leurs caisses des sommes rondelettes, franchissant parfois la barre du million d’euros», note une source.

Au total, ce sont près de 25 millions d’euros qui ont d’ores et déjà été gelés sur les divers fonds de dotation.” – Une source informée au Figaro

Cinq autres fonds ont été mis en demeure de répondre à des manquements liés à des financements opaques. C’est notamment le cas d’Al-Wakf, créé en 2015 en Seine-Saint-Denis ou encore de la Diversité éducation et culture. Deux derniers organismes de mécénat se sont autodissous après avoir été passés au crible, dont le fonds Aquilae à Orléans. «Au total, ce sont près de 25 millions d’euros qui ont d’ores et déjà été gelés sur les divers fonds de dotation, révèle au Figaro une source informée. Il est trop tôt pour en mesurer les conséquences concrètes pour les associations, les entraves étant récentes et ces structures bénéficiant d’autres sources pour leur financement courant.» Pour autant, un cadre du ministère de l’Intérieur l’affirme: «Le poids des entraves est d’ores et déjà mesuré par certains cadres des Frères musulmans qui s’en ouvrent, en privé et publiquement.»

Contributions des fidèles

Touchés de plein fouet par la multiplicité des contrôles, des membres de la mouvance frériste se disent désemparés à l’idée d’imaginer l’assèchement de leur trésorerie. D’autres, fatalistes, assument le fait qu’ils étaient dans l’illégalité et certains réfléchissent déjà à la mise en place de nouveaux mécanismes. «Jusqu’alors, la confrérie, à travers ses diverses émanations, s’est dotée de fonds de dotation pour opacifier ses circuits de financement, selon un schéma type répliqué sur l’ensemble du territoire et que les services ont pu décoder, indique un analyste. Pour des enjeux fiscaux, ces fonds sont adossés à une ou plusieurs associations de type 1901, auxquelles s’ajoutent des sociétés civiles immobilières (SCI). L’ensemble tourne en boucle fermée: les revenus générés par les SCI reviennent aux fonds de dotation qui redistribuent ces sommes en toute illégalité aux associations 1901 qui gère les lieux de culte.»

Si la DGSI, ces deux dernières années, n’a plus détecté de financement des Frères musulmans en provenance des pays du Golfe, à la suite de messages passés au plus haut niveau, l’argent de la cause venait jusqu’ici d’un «trésor de guerre» accumulé au fil des années ainsi que de contributions perçues auprès des fidèles. «Le recours à des avocats chevronnés pour contrer ces procédures confirme que les coups portés font mouche», ajoute la même source qui observe que «dans certains départements, les“frères”recherchent des relais politiques auprès d’élus gravitant dans l’extrême gauche en s’affichant comme les victimes d’une insupportable campagne d’islamophobie d’État».

Un entrisme d’envergure

Au plus près du terrain pour détecter une multitude de signaux «précoces» de radicalisation, le renseignement territorial (RT) a identifié en France une dizaine d’agglomérations où les Frères musulmans ont mis en place de véritables écosystèmes, sur un axe allant de Lille à Marseille, comprenant la région parisienne, l’Est, la région Rhône-Alpes et le Bordelais. «Au-delà de leur but ultime, qui est d’installer une forme de califat, ils prennent en charge les besoins de leurs coreligionnaires sur le plan du travail, de l’aide sociale ou encore de l’aide à emploi en fléchant la main-d’œuvre vers des entreprises qui acceptent le port du voile et les absences le vendredi pour cause de prières, note un responsable policier. Séducteurs, intelligents et manipulateurs, ils trouvent les mots justes pour donner des gages et rassurer les élus. Lesquels refusent ensuite, après que nous les avons sensibilisés, des permis de construire et des ventes de terrain.»

Toujours selon nos informations, une vingtaine de structures séparatistes fréristes (écoles coraniques ou confessionnelles, associations culturelles, sociales et lieux de culte) ont attiré l’attention des agents spécialisés du RT.

Des comportements séparatistes, des discours de haine, des expositions publiques ou des mises au pilori de personnes peuvent conduire à des actions violentes.” – Un haut fonctionnaire

Face à cet entrisme d’envergure, l’État se concentre aussi sur la nébuleuse en raison des conséquences potentielles de son discours (actions violentes, ingérences étrangères) et de son organisation très structurée en France et en Europe. Sur le risque d’attentats, un haut fonctionnaire souligne que la vague terroriste de l’automne 2020 a démontré que «des comportements séparatistes, des discours de haine, des expositions publiques ou des mises au pilori de personnes peuvent conduire à des actions violentes». La vigilance reste également de mise sur le plan des ingérences étrangères dans l’islam de France avec, par exemple, le rôle joué par la Turquie qui demeure idéologiquement très proche des Frères musulmans, même si elle a parfois pris ses distances pour des raisons géopolitiques (rapprochement avec l’Égypte dont les autorités sont hostiles à la confrérie).

L’organisation très structurée des Frères musulmans, tant en France qu’en Europe, intéresse également les services de renseignement. Ainsi des quelques centaines de personnes membres du Collectif français pour la défense de la démocratie en Égypte, où fut fondée la confrérie en 1928. Leurs actions demeurent modérées (manifestations, lobbying auprès d’élus français ou européens), mais ils sont proches de la frange la plus jeune et la plus radicale d’une confrérie égyptienne qui demeure le fer de lance de l’action au niveau mondial. Les Frères investissent également l’échelon européen avec le Conseil des musulmans d’Europe (CEM, émanant de l’Organisation internationale des Frères musulmans). À noter que, officiellement, le CEM ne reconnaît pas ses liens avec la confrérie même si, selon une source bien informée, «l’ensemble des éléments collectés par les services de renseignement à l’échelle mondiale confirme ce lien».

Or, comme l’Allemagne, autre bastion européen des Frères, la France est bien représentée au sein du CEM, dont l’Assemblée générale se réunit en Turquie. Plusieurs nationaux ou binationaux sont ainsi cadres et salariés de cette structure. Toujours au niveau européen, on peut aussi souligner le rôle du Forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants (Femyso), fondé en 1996 par plusieurs cadres des Frères musulmans, qui regroupe aujourd’hui trente-trois organisations dans une vingtaine de pays européens. Avec, à la clé, un lobbying actif à Bruxelles sur fond de lutte contre l’islamophobie.

L’attribution de subventions européennes et le soutien affiché à cette association par des membres de la Commission avaient entraîné, le 19 août 2022, l’envoi à la Commission européenne d’un courrier signé des ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et de la secrétaire d’État chargée de l’Europe, Laurence Boone. Un courrier rappelant les liens entre la Femyso et la mouvance frériste.

Enfin, sur le plan national, les Musulmans de France (MF), organisme qui a succédé à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) en 2017, rejettent toujours officiellement, comme le CEM, tout lien avec la confrérie. MF, selon le renseignement territorial, compte de 50.000 à 55.000 sympathisants avec 130 à 150 lieux de culte, 18 structures éducationnelles directement affiliées et quelque 280 mouvements et associations locales. Sans oublier un réseau éducatif qui va des collèges et lycées à l’enseignement supérieur, avec les Instituts européens des sciences humaines, en passant par une fédération nationale de l’enseignement privé musulman, créée en 2014.

Fiche de vigilance

Le champ religieux reste bien sûr un sujet des plus sensibles. Ainsi du Forum de l’islam de France où le ministère de l’Intérieur a noté les tentatives d’infiltration d’individus très liés à la confrérie. Ou des prêcheurs de haine tentant de se rendre en France pour intervenir au sein de mosquées ou dans des conférences. Le ministre de l’Intérieur demande régulièrement à des préfets d’interdire des conférences, comme à Marseille récemment. Des mesures d’interdiction du territoire national sont par ailleurs prises contre des prédicateurs ayant proféré des propos haineux contre les femmes ou l’Occident. Cela a été le cas ces derniers jours pour un prédicateur soudanais, très impliqué dans l’organisation internationale des Frères musulmans, et pour un Saoudien.

À chaque fois, une fiche de vigilance Schengen est également émise, ce qui permet de savoir s’il est entré dans un autre pays européen et d’alerter ledit pays sur ce que la France lui reproche. Reste enfin la galaxie des prédicateurs «2.0» aux audiences impressionnantes, particulièrement auprès des jeunes. Sur ce point, on se contente de préciser, Place Beauvau, que des «influenceurs» islamistes font l’objet des services de renseignement «d’une vigilance particulière»

Le Figaro