L’inexorable chute de la productivité française inquiète les économistes

En France, la productivité a fortement marqué le pas ces dernières années. Et ce phénomène préoccupant concerne la plupart des pays développés. La pandémie et la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine risquent de laisser des séquelles profondes sur le tissu productif. Sans compter le resserrement des conditions du crédit aux entreprises qui pourrait freiner l’adoption de nouvelles technologies favorables aux gains de productivité alertent les économistes.

Pandémie, guerre en Ukraine, réchauffement climatique, inflation…l’économie française traverse une série de chocs inédits depuis quelques années. Après le rebond post-covid en 2021, l’activité tricolore est entrée dans une longue phase de stagnation. L’Insee et la Banque de France ont certes révisé légèrement leurs prévisions de croissance pour 2023. Mais les signaux inquiétants se multiplient pour 2024.

Dans ce contexte morose, la productivité de l’Hexagone pourrait continuer de flancher dans les années à venir. Lors de la présentation d’un rapport consacré à l’état du tissu productif français organisée par l’OFCE ce vendredi 22 septembre, plusieurs économistes ont tiré la sonnette d’alarme. «La différence de PIB par habitant entre la France et les Etats-Unis est passée de 20% à 29% entre le début des années 2000 et 2019. Une grande partie de cet écart s’explique par la productivité », a alerté Dorothée Rouzet, cheffe économiste à la Direction du Trésor et ex-conseillère du ministre Bruno Le Maire à Bercy.

Productivité : des divergences entre entreprises accrues depuis la pandémie et la guerre en Ukraine

Sans surprise, les entreprises affichent des niveaux de productivité différents en fonction des secteurs. Sur la dernière décennie 2010-2019, les gains de productivité proviennent principalement des entreprises employant beaucoup de main d’œuvre numérique ou de  l’industrie de haute technologie. À l’opposé, certains secteurs comme l’hôtellerie-restauration ont enregistré une chute importante sur la même période. « Depuis 20 ans, les gains de productivité ont en moyenne augmenté de 0,4% à 0,5% par an », a rappelé Haitem Ben Hassine de France Stratégie.

Mais derrière cette moyenne, il existe des disparités accrues par la pandémie. « Ce qui est inquiétant est que ces divergences ont augmenté. Ces divergences sont tirées par le bas avec des décrochages d’entreprises », a poursuivi Rudy Verlhac, économiste à l’OCDE. Parmi les pistes évoquées, figure le manque de diffusion des technologies à l’intérieur des entreprises. « Les outils sont parfois coûteux et compliqués à mettre en place dans les petites entreprises », souligne Rudy Verlhac. « Cela demande un investissement en capital humain ». Avec les confinements à répétition, la pandémie a accéléré le développement de certaines technologies. Mais le retard « est loin d’être comblé ».

Productivité : de sombres perspectives

S’agissant des perspectives, la plupart des économistes présents se sont montrés pessimistes. Plusieurs s’accordent à dire que les aides Covid distribuées par l’Etat n’ont pas conduit à « une zombification » de l’économie en maintenant sous perfusion un grand nombre d’entreprises qui n’auraient pas survécu en temps normal. En revanche, une grande partie des pertes de productivité accumulée pendant la période 2019-2022 « ne sera pas rattrapée », a avancé Dorothée Rouzet. Parmi les facteurs ayant contribué à la baisse de la productivité durant cette période troublée figurent les embauches en grand nombre des apprentis. « Ils sont comptés à temps plein dans l’entreprise alors qu’ils passent du temps en formation et ne sont qu’au début de leur carrière », a-t-elle ajouté.

Elle cite également la baisse du volume de travail global, la rétention de main d’œuvre dans certains secteurs. Les politiques de l’emploi (apprentissage) « ont permis d’améliorer le taux d’emploi de la population française. Mais à moyen terme, les politiques publiques qui apportent de la productivité vont produire des effets qui vont prendre du temps comme les politiques éducatives, le plan de relance ou le plan France 2030 ».

Les lourdes conséquences de la désindustrialisation

Les auteurs du rapport sur l’état du tissu productif tricolore ont rappelé que la spécialisation de l’économie française sur les services s’était renforcée au cours des dernières décennies. « On a assisté à un processus de tertiarisation avec une conservation de l’industrie manufacturière de haute technologie. En revanche, il y a eu le déclin de l’industrie manufacturière de basse technologie », a déclaré Sarah Guillou, économiste à l’OFCE.

La désindustrialisation vertigineuse de l’économie tricolore depuis les années 70 a entraîné dans son sillage la destruction de millions d’emplois dans les usines et des délocalisations à marche forcée. Résultat, la part de l’emploi industriel n’a cessé de dégringoler.

Confronté à une très forte dépendance de l’étranger, le gouvernement a mis l’accent sur la réindustrialisation ces dernières années. Au printemps 2022, le président-candidat Emmanuel Macron en avait d’ailleurs fait un des thèmes phare de sa campagne présidentielle. À ce stade, la plupart des économistes s’accordent à dire que l’hémorragie est stoppée. Mais le chemin pour réussir la réindustrialisation dans le contexte du réchauffement climatique semble immense.

La Tribune