Loire-Atlantique (44) : Main-d’œuvre, débrouille et larcins, au cœur des 56 bidonvilles roms du pays nantais

Avec quelque 3000 personnes, la Loire-Atlantique est le 2e département qui compte le plus de Roms.

À l’est de Nantes, le long d’un chemin de halage en bord de Loire, s’accumulent des dizaines de caravanes et de mobile homes que de denses haies cachent difficilement. Dans ce labyrinthe plutôt organisé, des enfants s’amusent dans les contre-allées ou près de l’imposant tas d’ordures où s’entassent des objets électroniques usagés et des métaux triés. Près de 700 personnes, majoritairement des Roms, vivent à la Prairie de Mauves, le plus grand bidonville de la métropole nantaise.

C’est devenu une zone compliquée et enclavée, qui peut abriter un certain nombre de trafics, dépeint une militante associative. Dès qu’ils se font expulser d’un terrain, une partie des Roms viennent ou reviennent ici. C’est insoluble.» 

Des blocs de béton ont été posés par les autorités pour tenter de bloquer le développement du bidonville le long du fleuve. Son accès par Sainte-Luce-sur-Loire, à l’est, est également limité par une imposante barre de hauteur clignotante, installée par la mairie sous la pression  d’une partie de la population, exaspérée par l’extension du camp. «Franchement je ne comprends pas à quoi ça sert, se lamente Éliane, une riveraine. Ils trouvent d’autres accès et ça complique la venue des forces de l’ordre en cas de problème.»

2855 personnes vivent dans ces bidonvilles

À Nantes et dans ses alentours, on compte aujourd’hui très exactement 56 bidonvilles, selon les derniers chiffres de la Dihal*, communiqués au Figaro: 2855 personnes y vivent, quasiment uniquement des Roms, dont 1255 enfants. La Loire-Atlantique est désormais le département métropolitain qui compte le plus de ces campements, juste derrière la Seine-Saint-Denis (où près de 4000 personnes d’origines diverses vivent dans une cinquantaine de bidonvilles). «Il y a une stabilisation à niveau très élevé, ça ne baisse pas», s’alarme François Prochasson, vice-président (EELV) de Nantes Métropole en charge du logement social. Au niveau national, le nombre de ces bidonvilles, réapparus il y a vingt ans, diminue pourtant d’environ 5 % par an: 11.500 personnes y vivent aujourd’hui.

«À Nancy, Metz, Poitiers ou Tours, vous aviez un ou deux campements, avec de 80 à 300 personnes. Ils ont disparu aujourd’hui. Cela demande beaucoup plus de temps à Nantes au vu du nombre, mais on est sur la bonne voie», positive Manuel Demougeot, directeur du pôle résorption des bidonvilles à la Dihal.

Au début, cette migration dans la région nantaise est corrélée à l’émigration roumaine en général. (…) Nantes ressemble à leur région fluviale et agricole d’origine.” – Annick Plou, membre du collectif RomEurope Nantes

Les premières arrivées de Roms à Nantes datent de 2002. Les expulsions de terrains s’enchaînent alors, les familles se déplaçant de quelques centaines de mètres à chaque fois. Dès 2006, un bidonville de 350 personnes va se développer à 3 kilomètres du centre-ville. À Indre, à l’ouest de la cité des ducs de Bretagne, l’arrivée de 50 familles provoque un lourd conflit politique de 2009 à 2014. «Cela a laissé des traces, ce n’est pas simple de reconstruire des liens derrière tout ça», constate le maire, Anthony Berthelot (divers gauche).

«Au début, cette migration dans la région nantaise est corrélée à l’émigration roumaine en général, contextualise Annick Plou, membre du collectif RomEurope Nantes. Les premiers sont arrivés et en ont fait venir d’autres et encore d’autres… Nantes ressemble à leur région fluviale et agricole d’origine.» En l’occurrence, une dizaine de villages aux environs de Drobeta-Turnu Severin, ville portuaire à l’activité déclinante sur le Danube. Sédentaire à l’origine (contrairement aux gens du voyage, français, avec qui ils sont souvent confondus), cette population, déjà marginalisée chez elle, s’exile avec l’espoir de décupler ses revenus en travaillant. Des promesses entretenues par des «intermédiaires» qui organisent les départs et qu’il faudra ensuite rembourser depuis la France. «On est face à de la très très grande précarité installée sur des générations. Méconnu, l’esclavagisme des Roms a existé jusqu’à la fin du XIXe siècle en Roumanie», contextualise Manuel Demougeot, de la Dihal.

Silence gêné chez les principaux exploitants agricoles

«Ces populations roms arrivent avec leur savoir-faire et une forte volonté de travailler légalement», note Annick Plou, de RomEurope. Avec un taux d’emploi particulièrement élevé dans la région nantaise. On les trouve d’abord dans la «ceinture verte» du maraîchage, dans les 150 exploitations où poussent mâche, poireaux, concombres, tomates, radis et muguet. La seule cueillette de ce dernier, en avril, nécessite près de 7000 paires de bras, très majoritairement des Roms, pour fournir 85 % des brins vendus dans l’Hexagone le 1er mai.

Le reste de l’année, environ 2500 contrats de saisonniers sont signés, toujours principalement avec des Roms. Les femmes sont particulièrement recherchées pour les tâches minutieuses, d’emballage par exemple.

Ce sont des gens durs au mal, qui bossent pour survivre. Ils font le boulot que ne veulent plus faire les Français. On peut trouver facilement 5, 20 ou 50 personnes qui n’ont pas besoin de parler français.” – Un exploitant agricole nantais

De quoi susciter un silence gêné chez les principaux exploitants agricoles nantais. Anonymement, l’un d’eux évoque au Figaro «des gens durs au mal, qui bossent pour survivre. Ils font le boulot que ne veulent plus faire les Français. On peut trouver facilement 5, 20 ou 50 personnes qui n’ont pas besoin de parler français». «Ils disposent d’un passeport européen, ce qui rend minoritaire le recours au travail au noir», constate-t-on du côté de RomEurope Nantes. On les croise aussi sur les chaînes des abattoirs ou dans le nettoyage, jusqu’en Vendée ou en Maine-et-Loire, et, dans une moindre mesure, pendant les vendanges du Pays nantais. Dans l’Hexagone, seule la Gironde emploie autant de Roms comme petites mains agricoles (environ 2000 y vivent, plutôt bulgares).

Une relative insertion par le travail qui contraste avec l’enracinement dans les bidonvilles insalubres (un tiers est officiellement raccordé à l’eau autour de Nantes) qui se font et se défont. «Il n’y a pas toujours des logements sociaux disponibles et pas toujours l’envie d’y accéder», résume un acteur. «Nous n’avons pas de chiffres sur l’insertion par le logement sur 5 ou 10 ans à Nantes. Ça reste flou», affine Fabrice Corbineau, coordinateur de l’association Trajectoires. Exemple à Saint-Herblain, au nord-ouest de Nantes, où un énième bidonville se constitue petit à petit ces derniers mois. Quarante-deux caravanes décrépites entourent un bâtiment d’entreprise voué à la destruction, au fond d’une zone commerciale. «Vous pensez que la police va nous expulser? Ils sont passés l’autre jour, s’inquiète Violetta, une des habitantes. C’est bien tenu ici, on demande juste à pouvoir installer des mobile homes.»

La Prairie de Mauves, le plus grand bidonville de la métropole nantaise. 

Un comité de pilotage préfecture-département-métropole

À Nantes, un terrain sur deux est évacué en moins d’un an par les autorités. Les Roms, prévenus en amont, quittant plutôt désormais les lieux sans intervention des forces de l’ordre. «Quand c’est un parking de salle festive, un terrain de foot ou un chantier, la décision n’a pas de couleur politique», note un maire. Certaines communes expulsent encore systématiquement, comme à Carquefou, Sautron ou Vertou, en plaidant «l’application de la loi avec fermeté et humanité». «Ça ne résout rien, en ne faisant que déplacer le problème», critique Christine Figureau, bénévole à l’association Sol’Rom à Saint-Herblain.

D’invisibles chefs «de place» organisent souvent les (ré)installations, contre de l’argent versé par les Roms, tels des marchands de sommeil. Un terreau de grande misère également fertile à la débrouillardise – réparation de véhicules notamment – voire à «la petite délinquance, sans lien, sauf quelques exceptions, avec la criminalité organisée d’Europe de l’Est», note un policier: vols de matériel, d’essence, d’animaux, etc. «On ne peut améliorer les choses tant que certains vivent de trafics divers, sous emprise, cachés dans des bidonvilles», souligne François Prochasson, vice-président de Nantes Métropole.

Il y a une forte influence des Églises évangélistes (depuis 2015 environ, NDLR), notamment dans les bidonvilles les plus insalubres et marginaux.” – Christine Figureau, bénévole à Sol’Rom

Pour tenter de résorber ces habitats, un comité de pilotage préfecture-département-métropole est sur pied depuis janvier. Cinq communes nantaises proposent désormais quelques terrains d’insertion légaux cofinancés (2 millions d’euros par an côté service de l’État par exemple, 1 % du budget de Nantes Métropole). À Rezé, en bordure du périphérique sud, s’alignent ainsi dix emplacements. «C’est un terrain municipal viabilisé avec des accès à l’eau et des compteurs électriques, comme pour un camping. Chaque foyer signe une convention d’occupation avec nous et paye 80 euros tout compris par mois, détaille Loïc Chusseau, adjoint (divers gauche) à l’action sociale de la ville de Rezé. Il y a des droits et des devoirs. Nous avons fait sortir trois familles à problèmes du dispositif. Nous refusons aussi l’installation de tout nouveau squat.»

Avec néanmoins une difficulté persistante, ici ou ailleurs dans la métropole nantaise: la faible scolarisation des enfants roms. Seulement 20 % seraient scolarisés et la médiation scolaire, qui facilite le lien à l’école, n’existerait que dans un bidonville nantais sur trois. «On mène vraiment une politique fragile des petits pas, avec des résultats en primaire, beaucoup moins à partir du collège», détaille Laurence Rivet, directrice des solidarités à la ville de Rezé. Car c’est environ à l’âge de 12 ou 13 ans qu’interviennent les premiers mariages forcés ou les grossesses ultra-précoces. «Il y a une forte influence des Églises évangélistes (depuis 2015 environ, NDLR), notamment dans les bidonvilles les plus insalubres et marginaux», relève Christine Figureau, bénévole à Sol’Rom.

On croise ainsi souvent un certain Olivier Demba, pasteur évangéliste, qui a vu ses fidèles passer d’une vingtaine à des centaines en une décennie, de Nantes à Angers. Des représentants des Témoins de Jéhovah sont aussi actifs. «Paradoxalement, le travail des parents, de tôt à tard dans la journée et parfois loin du camp, complique aussi la scolarisation des enfants», constate Annick Plou. Au sein des familles arrivées depuis plusieurs années à Nantes, quelques adolescents viennent pourtant d’obtenir… la nationalité française.

* Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement.

Le Figaro