Lyon : Cathos tradi et militants identitaires tissent des liens
Ce samedi 23 septembre, le pape François, qui se déplace à Marseille sur le thème des migrants, célébrera une messe au stade Vélodrome. Mais une partie des catholiques de France, notamment les traditionalistes, rejettent le « progressisme ridicule » de ce pape qui les tient, lui, à l’œil. Enquête à Lyon, fief historique de cette mouvance
Il est presque 11 heures, ce samedi de la mi-juin. Assise sur le trottoir, Marthe, 9 ans, attend sous le soleil qui tape déjà avec ardeur sur les pierres du quartier Saint-Georges, à Lyon. Queue-de-cheval impeccable sous son béret, elle attend son groupe de « louvettes », maintenant tant bien que mal en l’air le petit drapeau orné d’une croix rouge et d’une fleur de lys d’or, symbole des scouts Saint-Louis. Cet été, son frère ira en camp dans l’ouest de la France pour « approfondir sa foi, faire des rencontres et consolider son identité », précise la brochure de l’organisation.
Les scouts et guides Saint-Louis dépendent de la fraternité Saint-Pierre, l’une des multiples communautés traditionalistes de Lyon. Divers, les « tradis » se retrouvent dans le rejet de Vatican II, désireux de perpétuer le rite ancien de la messe, célébrée en latin, le prêtre le dos tourné aux fidèles. Le spectre de ses membres va du simple nostalgique de la messe d’antan aux royalistes et descendants de l’Action française qui s’en réclament, en passant par des jeunes adultes en quête de spiritualité. Beaucoup revendiquent, surtout, un catholicisme « puissant, identitaire et attaché aux valeurs fondamentales de l’Eglise », comme le résume le frère Sébastien, missionnaire de la miséricorde divine.

Etre « tradi », lorsqu’on fait partie d’une Fraternité, c’est aussi suivre un enseignement spécialisé dans des écoles hors contrat où l’on transmet une éducation catho compatible : programme en non-mixité, théorie de l’évolution contestée et Révolution française revisitée. « Laissez venir à moi les petits enfants », disait saint Marc, dans une citation inscrite en lettres capitales sur le site de l’école Saint-Dominique-Savio, l’une des neuf écoles catholiques hors contrat du Rhône, le département français qui en compte le plus.
L’Eglise est ancrée dans l’ADN de la ville
C’est d’ailleurs ce qui frappe, d’abord, à la sortie de la messe tradi de Saint-Georges. Ici, non seulement il y a du monde, mais ce public est jeune. Le dimanche, au bout d’une heure et demie de célébration en langue morte, une centaine de personnes se retrouvent pour un apéritif sur le parvis de l’église. Trentenaires enchemisés et têtes blondes qui courent en riant entre les jambes de leurs parents, allégorie confondante de la bourgeoisie locale. « Il y a toutes les classes sociales, parmi nos fidèles, assure l’abbé Guimon qui rentre tout juste d’une mission évangélique en Syrie. Cela dépend des messes. Le soir, vous trouverez des filles avec des piercings, des Africains, des gens de tous horizons. »
Aux alentours de 19 heures, la foule est en effet moins nombreuse et bien plus métissée. Et certains ne parlent pas français. « C’est là tout l’intérêt de la messe en latin, tout le monde peut suivre », sourit l’homme d’Eglise. Tous, ou presque, sont nouvellement convertis, en chemin vers le baptême. Et viendront bientôt grossir les rangs de ceux qui s’autoproclament comme le seul espoir d’un renouveau catholique. « Il n’y a qu’à voir le succès du pèlerinage de Chartres, organisé par les tradi », citent-ils régulièrement comme preuve. Cette année, le record de participation du « plus grand pèlerinage itinérant d’Europe » a été battu, avec 16 000 pèlerins. D’après nos informations, plus de 30 % des inscrits venaient du Rhône, ce qui en fait le département le plus représenté.
A Lyon, tous les catholiques ne sont pas traditionalistes, mais l’Eglise est ancrée dans l’ADN de la ville. RCF, la radio catholique française est lyonnaise, « Golias », la revue catholique de gauche, est lyonnaise. Le cardinal Philippe Barbarin, figure médiatique du catholicisme français, a été pendant vingt ans l’archevêque de Lyon. Et le calendrier municipal a longtemps été lié à celui du clergé. Le 8 décembre, lors de la Fête des Lumières, des centaines de fidèles marchent chaque année pour célébrer la Vierge Marie. Et lors du vœu des Echevins, les Lyonnais remercient la même Vierge d’avoir épargné leur cité de la peste. Jusqu’à l’arrivée de Gregory Doucet à la mairie, la tradition voulait que l’édile remette lui-même l’Ecu béni. Plusieurs générations de cols blancs se sont ainsi succédé en haut de la colline de Fourvière.
C’est à Lyon, aussi, que les premières manifestations contre le mariage pour tous ont eu lieu, avec Philippe Barbarin comme porte-parole et des gros bras venus de l’extrême droite dans le cortège. A l’époque, le Collectif unitaire pour l’Egalité s’était d’ailleurs inquiété de la communication « de plus en plus radicale et guerrière des leaders de la manif pour tous », légitimant selon eux « le recours aux actions et méthodes des groupuscules d’extrême droite (GUD, Bloc identitaire, Jeunesses nationalistes), particulièrement actifs sur Lyon ».
« La droite catholique a glissé vers l’extrême droite »
C’est cette porosité entre les milieux ultra-conservateurs et les communautés tradi qui inquiète le pape François. La vieille ville de Lyon en est le parfait exemple. L’extrême droite a choisi cette terre où la plupart des quartiers portent le nom d’un saint pour « s’enraciner ». Une partie des licenciés d’un club de boxe identitaire se rendent à la messe tradi célébrée à côté et des chapelets de prières ont été organisés par les groupuscules d’extrême droite à la suite du meurtre de Lola, puis de l’attentat d’Annecy.
Après la mort de Nahel, plusieurs discussions sur l’application Telegram rassemblaient croyants et militants pour « trouver un moyen d’arrêter ces émeutes qui détruisent la France ». « Nous ne faisons pas de politique, assure l’abbé Laurent Spriet, recteur de l’église Saint-Georges. Mais seule l’extrême droite défend encore des idées compatibles avec le catholicisme. C’est donc évident que les fidèles s’y retrouvent. » « La droite catholique, dont les valeurs pouvaient se retrouver dans des politiques libérales comme la nôtre, a glissé vers l’extrême droite, souffle aussi un ancien élu de droite au conseil municipal. Nous avons peut-être fait preuve d’une trop grande tolérance. »
Désormais, les tradis peuvent en tout cas compter sur la force de frappe identitaire pour les soutenir dans leurs combats. C’est ainsi qu’ils ont pu demander la suspension des subventions accordées par la mairie aux spectacles de la compagnie artistique Lundy Granpré (qui aborde l’écoféminisme et l’ecosexualite) et faire annuler un concert électro qui devait avoir lieu en avril sur le toit de la basilique Fourvière (avec l’accord de la paroisse). « Nous avons reçu des menaces et les organisateurs ont préféré annuler par mesure de sécurité », témoigne l’une des artistes qui devaient s’y produire. Des menaces qui finissent parfois en passage à l’acte, selon un policier des services de renseignement :« A Lyon, on ne sait plus qui est qui quand il y a agression à caractère homophobe ou raciste lors d’une manifestation. Les différents mouvements s’assemblent et les milices de différentes mouvances se confondent avec des militants religieux. »
Dans les faits, le lien entre traditionalistes et identitaires est fluctuant. « La nouvelle génération est plus mouvante. Elle passe d’une communauté à l’autre sans forcément adhérer à tout, explique Vincent Herbinet, auteur de “les Espaces du catholicisme français contemporain”. Elle est assez décomplexée et ne connaît pas forcément sur le bout des doigts l’histoire ou l’origine exacte du sacré. Mais ces jeunes ont un véritable besoin de verticalité. Notamment pendant le covid. On ne les a jamais autant vus prier qu’à cette période. »
« C’est le chef de l’Eglise, pas Bernard Tapie ! »
« Il faut pas croire tout ce qu’on dit, on est pas tous des fachos, se défend néanmoins Hubert, qui a découvert la messe tradi il y a une dizaine d’années. Mais dans le monde dans lequel on vit, il n’y a plus de repères. La religion nous permet de garder un cap. » « Aujourd’hui, on n’ose plus dire où est le mal, alors qu’on tue des enfants à tour de bras, balance carrément Pierre, qui s’insurge contre l’allongement du délai légal pour l’IVG. On est dégoûtés par les dérives d’une pratique catholique sans morale, sans axe ni règle stricte. On baptise dans des piscines gonflables [baptême évangélique, NDLR] ; on marie des couples divorcés [en réalité, François accepte seulement qu’ils communient, NDLR]. Et maintenant le pape au Vélodrome. C’est le chef de l’Eglise, pas Bernard Tapie ! »
Des éléments attestent néanmoins d’une convergence lyonnaise entre communauté tradi et militantisme politique. « Pendant longtemps, le FN ne parvenait pas à s’imposer à Lyon », rappelle Alain Chevarin, auteur de« Lyon et ses extrêmes droites ». Pour aller chercher l’électorat catholique, ils ont fait des alliances avec la droite. Comme lorsque Charles Bouillon, figure de la droite catholique lyonnaise a rejoint Bruno Gollnisch pour les élections régionales de 1998. « Plus tard, Marine Le Pen a voulu faire le ménage dans ses rangs en évinçant les identitaires religieux et les néofascistes. Ils se sont réfugiés à Lyon, pour soutenir la politique d’Yvan Benedetti, exclu du RN après s’être déclaré “antisioniste et anti-juif”. Résultats, le RN n’a jamais fait plus de 10 % à Lyon mais cela a laissé la place à d’autres extrêmes. Et depuis une dizaine d’années, Lyon est devenue la ville ou l’extrême droite est “chez elle”. Ce n’est pas un hasard si Marion Maréchal Le Pen y a installé son école. »
Le même glissement vers l’extrême pourrait s’observer du côté des traditionalistes, de plus en plus nombreux à se laisser tenter par des groupuscules intégristes, en opposition frontale avec Rome, proches de l’excommunication, et qui considèrent les papes élus depuis les années 1970 comme des imposteurs. « Ils ont l’impression que le pape les empêche de pratiquer comme ils veulent, confirme Vincent Herbinet. Et c’est donc possible qu’ils glissent vers des mouvements plus virulents à son égard. »
Résultat, la Traboule, le bar associatif géré par les identitaires des Remparts se trouve à deux pas des terrasses de la place Saint-Jean, qui sont surplombées par la cathédrale du même nom. Et au détour d’une ruelle, la petite Marthe et son groupe de scouts, dont les communicantes parlent de l’homosexualité comme d’« un désordre moral », de la « théorie du genre » comme d’« une négation de la réalité biologique » et de l’avortement comme d’« un meurtre », changent de trottoir lorsqu’ils croisent un couple d’hommes à la recherche d’un brunch.