Marseille : Le pape François et le syndrome de Lampedusa 

Dix ans après son premier voyage à Lampedusa, la visite du pape François à Marseille va replacer le « phénomène migratoire » au centre du débat sur les rives de « Mare Nostrum ». Mais ni le pape ni l’Union européenne, tétanisée par l’accélération des flux, ne détiennent encore les clés de la crise migratoire.

Dix ans après son premier voyage à Lampedusa, la visite du pape François à Marseille va replacer le « phénomène migratoire » au centre du débat sur les rives de « Mare Nostrum ». Mais ni le pape ni l’Union européenne, tétanisée par l’accélération des flux, ne détiennent encore les clés de la crise migratoire.

L’ancienne rivale de Carthage vaut bien une messe. Pour la première fois depuis la visite de Clément VII en 1533, un souverain pontife se rendra, aujourd’hui et demain, à Marseille. Une visite papale « non pas en France, mais à Marseille », a insisté son entourage. Dix ans après son élection, le pape « venu du bout du monde » célébrera la messe au stade Orange Vélodrome pour conclure les Troisièmes Rencontres méditerranéennes (après Bari en 2020 et Florence en 2022).

Le pape ne vient pas à Marseille pour qu’on le regarde lui, mais pour qu’avec le pape l’on regarde la Méditerranée, ses défis, ses ressources, ses moyens », a lancé le cardinal Jean-Marc Aveline, à l’origine de l’invitation, en qualifiant Marseille de « ville-message ». Au moment où l’île de Lampedusa, au large de la Sicile, redevient la porte principale vers l’Europe, avec l’arrivée de plus de 7.000 demandeurs d’asile en quelques jours, c’est peu dire que la question migratoire sera au centre de la visite papale.

« La globalisation de l’indifférence »

En dix ans de pontificat, le pape François – lui-même petit-fils d’émigrés piémontais en Argentine – n’a jamais dévié de sa doctrine sur le thème du « phénomène migratoire » : la réponse de l’Eglise, résumée en 2017, est d’« accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ». Dès sa première visite de juillet 2013 à Lampedusa, il s’était élevé contre la « globalisation de l’indifférence », formule percutante qui a marqué le début de son pontificat.

De passage sur l’île de Lesbos, en Grèce, en 2021, il avait fustigé (sans les nommer) les Européens en les accusant de « traiter le problème comme une affaire qui ne les concerne pas » en laissant les Etats du Sud les plus exposés, tels que la Grèce et l’Italie, gérer seuls les flux migratoires en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou d’Afrique.

Il ne s’est jamais privé de pourfendre la politique européenne des « hotspots » (centres de tri) où « les migrants et les réfugiés vivent dans des conditions à la limite de l’acceptable ». En 2020, le pape avait même comparé les centres de détention de migrants en Libye aux « camps nazis ». Il ne s’est pas seulement payé de mots. Dans la foulée, il a voulu créer, sous son autorité directe, une section spéciale consacrée aux migrants et aux réfugiés, sous l’égide du nouveau dicastère pour le service du développement humain intégral au Vatican.

L’aile conservatrice de l’Eglise

Tout cela implique un certain courage. Car le volontarisme du pape François sur le sujet se heurte aux résistances de l’aile conservatrice de l’Eglise, qui n’a jamais porté dans son cœur le successeur de Benoît XVI. Ce n’est pas la seule ligne de fracture : la virulence de sa condamnation de la « culture du déchet », fruit du consumérisme à outrance, dans l’encyclique « Laudato si’ » (2015), la première entièrement consacrée à l’écologie, et l’ouverture du dialogue avec l’islam sont aussi sources de frictions.

Mais dix ans après le voyage inaugural de son pontificat à Lampedusa, l’île la plus au sud de l’Italie vient à nouveau hanter les gouvernements européens confrontés à la pression des populismes. A elle seule, la crise de Lampedusa, où la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dû se rendre, toutes affaires cessantes, le 16 septembre, pour apporter son soutien à l’Italie, marque l’échec de la politique de blocus naval initialement brandie par le gouvernement de Giorgia Meloni, sous la pression de la Ligue.

Politique de « colmatage »

Mais c’est aussi l’échec de la politique de « colmatage » européenne mise en œuvre depuis dix ans, avec la difficile réforme du règlement de Dublin. Le nouveau pacte migratoire continue à se heurter à l’opposition de la Hongrie et de la Pologne. « Nous ne sommes qu’au début de la crise migratoire et l’Europe est très mal armée avec le règlement de Dublin, qui laisse aux pays d’accueil l’essentiel de la gestion des migrants », estime le politologue Yves Mény, ancien président de l’Institut universitaire européen.

L’Italie reste l’un des pays les plus exposés en Europe avec l’Espagne et la Grèce. Au premier semestre 2023, le nombre des demandeurs d’asile arrivés par la mer a doublé en Italie (65.520), par rapport à la même période en 2022. Contre toute attente, Giorgia Meloni a réussi à neutraliser la ligne ultranationaliste du leader de la Ligue, Matteo Salvini, en optant pour une ligne pragmatique pro-européenne, dans la lignée de ses prédécesseurs. De son côté, Emmanuel Macron a compris qu’il fallait se montrer solidaires de Rome. Mais tout en cherchant à se réconcilier avec l’électorat catholique modéré, il reste dans une position délicate sur la question de la laïcité et le front de l’accueil des réfugiés.

Une troisième voie

« Pour le pape, la Méditerranée est un ensemble et non une frontière, souligne le politologue et spécialiste des religions Olivier Roy (*). Ce qui se passe au Sahel va être une nouvelle source d’immigration. Il faut voir si le pape va rajouter un ‘deuxième volet’ face à l’aggravation de la crise. » Pour lui, la diplomatie vaticane cherche à promouvoir « une troisième voie entre le clash des civilisations et le clash des valeurs ». Pousser les croyants à prendre leurs responsabilités face à la montée des « populismes identitaires ». Mais il y a toujours le risque d’un déphasage entre la clientèle de l’Eglise et la capacité du pape à se faire entendre sur le sujet.

En dix ans, la globalisation de l’indifférence menace toujours de se transformer en globalisation du chacun pour soi.

(*) « Comment penser la religion dans la montée des populismes ? », d’Olivier Roy, « Revue Etudes », août 2023.

Les Echos