Marseille : Le pape François prône l’accueil inconditionnel des migrants, taxant encore une fois les Occidentaux d’égoïsme
J’espère avoir le courage de dire ce que je vais dire, a glissé d’emblée le pape François aux journalistes, dans l’avion qui l’amenait à Marseille pour clore les Rencontres méditerranéennes ces 22 et 23 septembre. « Ce voyage marquera l’histoire », lui a alors lancé une journaliste espagnole. « Je crois que oui », a-t-il répondu. Une façon de donner le ton à ce voyage qui se veut exclusivement dédié à la question des migrants. Dix ans après son passage à Lampedusa qui avait marqué les esprits, François a tenté de réitérer l’opération. Pape, et politique.
Pape d’abord, qui va prier la Vierge à la basilique Notre-Dame de la Garde ou célébrer la messe – grâce à l’insistance du cardinal Aveline, archevêque de Marseille. Pape encore, dans la droite ligne du magistère de l’Église lorsqu’il rappelle l’importance de la dignité humaine en toute situation, de la conception – en rejetant l’avortement –, jusqu’à la mort naturelle – en refusant l’euthanasie. Il a en effet évoqué, dans le palais du Pharo, la dignité des personnes âgées qui « au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce », ou celle des enfants à naître, « rejetés au nom d’un faux droit au progrès ».

Pape encore, lorsqu’il évoque également la dignité de tous les hommes, fussent-ils déracinés. Vendredi, aux abords de la basilique Notre-Dame de la Garde, le chef de l’Église a rendu un hommage solennel aux migrants morts en mer. Face à cette « tragédie », a rappelé le pape, il faut de « l’humanité. Du silence, des larmes, de la compassion et de la prière ». La Méditerranée « est devenue un immense cimetière », a-t-il répété, où nombreux sont « privés du droit à une tombe et où seule est ensevelie la dignité humaine ». Sans détour, le pontife a exhorté à secourir « les personnes qui risquent de se noyer […] abandonnées sur les flots ». « C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation ! », a-t-il affirmé.
Mais le pape possède aussi une âme politique quand il n’hésite pas, devant ce constat, à privilégier une option à une autre, ignorant l’opinion publique européenne.
Aux gestes symboliques, François a privilégié cette fois-ci les paroles engagées, profitant de la présence du président de la République Emmanuel Macron. Il venait à Marseille pour clore les Rencontres méditerranéennes au palais du Pharo. Au parterre d’évêques se sont ajoutés des responsables politiques – dont la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, ou encore le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. C’est à eux que le Pape a réservé un discours visant en premier lieu les Occidentaux et, tout particulièrement, les citoyens européens.
Il a ainsi appelé à écouter le « cri souvent silencieux des derniers », et non celui « des premiers de la classe qui élèvent la voix même s’ils sont bien lotis ».« Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité », a-t-il répondu à ceux qui s’inquiètent de la situation des derniers jours sur la petite île italienne. « Le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. »
Dans son discours, François a évoqué toutes les objections à cette lecture de la situation : les difficultés, la criminalité, la délinquance, le mal social, la civilisation même. Une manière de préciser qu’il connaît la situation, mais qu’elle ne change rien au message qu’il veut adresser.
Pour François, l’Europe semble n’être qu’un bloc, essentiellement égoïste
Le pontife a poursuivi sa longue prise de parole en ne retenant plus ses mots contre les Occidentaux. Il a ainsi dénoncé le consumérisme de la Méditerranée septentrionale où prospèrent « l’opulence, le consumérisme et le gaspillage » face à la rive méridionale où règne la précarité. La « Méditerranée est un reflet du monde », a-t-il encore estimé : le Sud en développement, « en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification », regarde vers le nord « les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds ». Lorsqu’il aborde la question de l’immigration, la souffrance éventuelle de nombre d’Européens disparaît. Pour François, l’Europe semble n’être qu’un bloc, essentiellement égoïste.
« Marseille a un grand port et est une grande porte qui ne peut être fermée », a-t-il encore lancé. Une formule qui sonne comme un écho aux propos du vice-président de la Commission européenne, Margarítis Schinás, connu pour être particulièrement favorable à une politique d’accueil des étrangers, qui incitait récemment à ouvrir des portes en Europe, « sinon les migrants rentreront par les fenêtres ». Une vision qui a convaincu le souverain pontife de le recevoir, en privé, à l’archevêché de Marseille.Un peu plus tôt, le pape a aussi accordé une audience privée à des membres d’organisations d’assistance aux migrants naufragés, en dehors du programme officiel.
La veille, il s’était directement adressé aux membres de l’ONG SOS Méditerranée présents au premier rang de sa cérémonie d’hommage aux migrants morts en mer. « Je suis heureux de vous voir, vous qui allez en mer pour sauver des vies », leur a-t-il déclaré, condamnant ceux qui tentent de les en empêcher, coupables à ses yeux de « gestes de haine ». Dans l’avion du retour, il a évoqué les contrées où il ne reste qu’une « vingtaine d’anciens » : « certains petits villages sont vides, il faut qu’ils fassent des efforts pour accueillir » des migrants, qui représentent de la « main d’œuvre ».
À Marseille, le pape n’a pas choisi la nuance qui avait parfois teinté ses messages. Récemment, il s’était attardé sur la dénonciation de la corruption des pays d’origine ainsi que sur l’immoralité des trafiquants d’êtres humains. À Marseille, il s’est limité à montrer du doigt les mafias et trafics « illicites » qui prennent leur source dans la « pauvreté, matérielle, éducative, professionnelle, culturelle et religieuse ». En guise de solution, il a appelé à « un sursaut de conscience pour dire “non” à l’illégalité et “oui” à la solidarité ».
Pour l’illégalité de l’immigration, en revanche, il a appelé à l’accueil. Le pape avait également évoqué, dans un récent message, le droit des êtres humains à ne pas « émigrer » et le devoir des immigrés de respecter la culture et les lois du pays d’accueil. Pas à Marseille. Au contraire même, il a accusé l’assimilation de ne pas tenir compte des différences et de rester « rigide dans ses paradigmes », assumant même de la voir « compromettre l’avenir » en provoquant la ghettoïsation, l’hostilité et l’intolérance. Cette fois-ci, le pape s’est autorisé à juger.