Marseille : Matteo, tueur à gages de 18 ans, était payé en fonction de l’audience de ses vidéos
Un jeune homme de 18 ans a été arrêté début avril à Marseille en quasi flagrant délit après deux assassinats. Il pourrait être impliqué dans sept fusillades. Interpellé, il s’est vanté de ses crimes.
La première séquence se déroule le 3 avril à 1 heure du matin, près du port de la Joliette. A quelques mètres de l’embarcadère d’où partent les ferrys pour la Corse, à deux pas des Terrasses du Port, nouveau quartier touristique de Marseille où se mêlent boutiques et restaurants, une fusillade éclate. Dans la rue Vincent-Leblanc, trois adolescents s’effondrent sous des balles de 9 mm, laissant des traces de sang sur le trottoir et dans le hall d’un immeuble où l’un d’eux tentait de trouver refuge. Un garçon de 16 ans meurt sur place. Un autre adolescent décédera un mois plus tard. Le plus jeune – 14 ans – a survécu.
La deuxième séquence a lieu quelques heures plus tard près d’un pavillon de Gardanne (Bouches-du-Rhône), à 25 kilomètres au nord de Marseille, côté Aix-en-Provence. La BRI de Marseille (brigade de recherche et d’intervention) surveille une Peugeot 308 garée dans la rue. La voi
ture est celle signalée par l’un des témoins de la fusillade de la Joliette. Elle semble abandonnée. Une heure, deux heures passent. Puis une demi-journée. Le service s’apprête à lever le dispositif de surveillance quand une voiture s’approche et dépose un jeune gringalet. Celui-ci se dirige tranquillement vers le véhicule surveillé. La BRI l’interpelle.
« Vous avez de la chance que je n’avais pas d’arme sur moi. Autrement, je serais mort les armes à la main », se serait vanté le jeune homme, Matteo F., selon « le Parisien » qui a révélé cette histoire.
Sept fusillades à son actif
Dans la voiture, les premières constatations sont payantes. Une arme de poing est retrouvée, ainsi que des balles 9 mm, portant l’ADN de Matteo F. C’est l’arme qui a servi quelques heures plus tôt rue Vincent-Leblanc. Des trousseaux de clefs sont également saisis. Le suspect originaire de Gardanne, âgé de 18 ans, est emmené à l’Evêché – l’Hôtel de police de Marseille – et reconnaît les faits. C’est bien lui qui a tiré à la Joliette, sur commande, pour répliquer à une autre fusillade intervenue quelques heures plus tôt. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’il commettait un assassinat pour le compte de trafiquants marseillais.
A l’écouter, d’après plusieurs sources que « l’Obs » a pu interroger, le jeune homme serait responsable de sept fusillades au total, toujours sous les ordres d’un même clan de Marseille, la « DZ Mafia », qui mène une guerre sanglante contre le clan dit « Yoda » pour le contrôle du trafic de la cité de la Paternelle (14e). Un tueur à gages en somme, activé via son téléphone portable, qui aime son métier, et le fait bien. Une source policière précise :« Il s’est vanté, oui vanté c’est le mot. Il avait envie de le faire savoir, il a même raconté des détails assez morbides sur le plaisir qu’il pouvait prendre à tuer. Son profil psychologique interroge. »
Mais ses aveux, prononcés pour la plupart hors procès-verbaux (c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été retranscrits dans la procédure), n’ont pas permis de l’incriminer dans sept dossiers pour le moment. Tous ses propos doivent être vérifiés et des actes d’enquête, comme l’examen des nombreux trousseaux de clefs trouvés dans sa voiture, doivent encore être effectués. Depuis, le jeune homme a cessé de parler en interrogatoire.
Au terme de sa garde à vue, Matteo F. a été mis en examen pour la fusillade de la Joliette et l’assassinat, fin mars, d’un jeune Parisien retrouvé dans un terrain vague de la cité de la Paternelle. Son corps avait été découvert par des CRS, vraisemblablement deux jours après sa mort. « Avec cette arrestation, nous voyons bien que nous franchissons une étape, constate une source policière. La guerre à laquelle se livrent les trafiquants ne touche plus, et cela fait déjà un certain temps, des acteurs haut placés dans la hiérarchie. Nous ne connaissons plus, nous policiers, ni les victimes ni les tueurs. Leur trajectoire est une spirale dans la violence extrêmement rapide. »
Un ado de la classe moyenne
« Il n’a pas du tout le profil des jeunes que nous voyons d’habitude, témoigne une autre source policière. Il n’a pas grandi dans une cité, il ne fait pas partie d’un réseau, à 18 ans il est passé en quelques mois du rez-de-chaussée au plus haut étage d’un building [dans la hiérarchie de la criminalité, NDLR], c’est un cas très particulier. »
Matteo F. a grandi à Gardanne, près d’Aix-en-Provence, dans une famille insérée dans la vie active. S’il ne fait pas le guetteur pour un réseau dès son plus jeune âge, il a malgré tout pris la voie de la délinquance assez tôt, vers 13 ans selon certaines sources. Adolescent, il est interpellé pour trafic de stupéfiants et rejoint un centre éducatif fermé. Il quitte ensuite la région marseillaise, direction Créteil (Val-de-Marne) où il est de nouveau condamné dans une affaire de trafic. Il est incarcéré à Fresnes jusqu’en décembre 2022.
A sa sortie de prison, il aurait immédiatement proposé ses services de tueurs à gages et enchaîné les contrats. Il en aurait ainsi exécuté sept en moins de trois mois. Lors de son interrogatoire, il a livré quelques détails sur le « process », avec détachement et sans aucun affect. Un enquêteur raconte :« Tout passait par les réseaux sociaux, et notamment Snapchat. Lui ne savait pas qui précisément était derrière, mais on lui commandait un contrat en mettant à disposition armes et voitures. »
Une « uberisation » du crime, déjà constatée dans certains dossiers marseillais ou parisiens, mais jamais poussée à cet extrême. Il lui était également demandé de se filmer en train de commettre ses crimes, afin de prouver qu’il faisait bien le « job ». Une vidéo, où Matteo se vante, goguenard, d’enchaîner les contrats, circule d’ailleurs depuis son arrestation.« Je suis en train de m’envoyer sur un contrat, je suis en train de rigoler là. »
Preuve de son détachement total, suite à la fusillade de la Joliette, si Matteo F. n’a pas brûlé immédiatement son véhicule pour effacer toutes les traces de son implication, c’est pour aller se restaurer. Les personnes qui l’ont déposé devant son véhicule quelques heures plus tard étaient des inconnus, croisés dans la rue.
60.000 euros en cas de bonne audience
Autre détail particulièrement sordide : si les vidéos de ses exécutions remportaient un succès particulier sur les réseaux sociaux, il pouvait toucher des bonus. Le journal « la Provence » a évoqué un chiffre pouvant aller jusqu’à 50 000 euros. Une source a évoqué auprès de « l’Obs » celui de 20 000 euros, qui viendrait s’ajouter aux 40 000 euros pour le contrat initial. Au total, entre janvier et avril, Matteo F. aurait gagné 200 000 euros. « Il n’a montré absolument aucune empathie pour ses victimes, raconte une source proche du dossier. C’est de la violence à l’état brut. C’est exactement ce que les têtes des réseaux recherchent : être crédible, c’est être violent, et l’afficher. Où cela va-t-il s’arrêter ? Nous ne sommes plus très loin des cadavres exposés sur le bord des routes mexicaines, c’est extrêmement inquiétant. »
Un magistrat spécialisé dans les dossiers marseillais fait un parallèle avec le processus de radicalisation :« Le profil de Matteo F. peut faire penser à celui de certains jeunes qui partaient en Syrie, fascinés par la mise en scène de la mort, attirés par l’adrénaline de la violence, mais qui n’avaient rien à voir avec la cause défendue. Il y a en plus, dans ce dossier, l’attrait financier. »
Depuis début 2023, Marseille connaît une dramatique escalade de la violence. Plus de 20 personnes sont mortes dans des assassinats liés au trafic de drogue. De très jeunes hommes, mais aussi des habitants des quartiers pris dans les fusillades, comme cet habitant de 63 ans fauché par les balles alors qu’il jouait aux cartes, ou cette mère de famille tuée au pied de son immeuble.
L’année dernière, un peu plus de 30 personnes ont été assassinées. « Mais que ce soit les saisies de drogue ou les arrestations de tueurs, rien ne semble arrêter l’escalade », constate un policier. Une semaine après l’arrestation de Matteo F. trois personnes soupçonnées d’être des tueurs à la solde du clan d’en face (« Yoda ») ont été interpellées à leur tour. La triste litanie se poursuit pourtant. Dans la nuit du 30 au 31 mai, un homme d’une trentaine d’années a été tué à la cité de la Paternelle.