Médecine : La race a un fondement biologique et n’est pas qu’une construction sociale
L’idée selon laquelle la race n’aurait pas de fondement biologique est une fiction risquant davantage d’exacerber les inégalités de santé que de les résorber.
« En soutien des efforts visant à affronter l’histoire du racisme et de l’injustice dans notre pays, les plus éminents médecins nationaux se sont aujourd’hui prononcés en faveur de deux nouvelles directives reconnaissant la race comme une construction sociale – plutôt qu’une construction biologique. » Ainsi s’ouvrait, en 2020, un communiqué de presse de la prestigieuse Association médicale américaine après une réunion spéciale de sa chambre des délégués. Ces dernières années, de telles prises de position se sont multipliées dans les plus hautes instances de la médecine américaine.

Selon les Instituts américains de la santé, « la race est une construction sociale ayant servi à regrouper les individus. Elle a été construite comme un système hiérarchique de groupement humain, générant des classifications raciales pour identifier, distinguer et marginaliser certains groupes à travers les nations, les régions et le monde ».
Pour le Collège américain des médecins, la race est « sociale plutôt que biologique ». L’Académie américaine de pédiatrie estime, pour sa part, que « la race est une construction sociale d’origine historique qui n’a pas sa place en tant qu’indicateur biologique ». Et, selon le Collège américain des gynécologues et obstétriciens, « la race est une catégorie sociale et non une condition biologique ou génétique augmentant le risque de certains diagnostics et disparités en matière de santé ».
Ce refus de reconnaître la race comme une variable importante des soins médicaux va à l’encontre de ce qui m’a été enseigné durant mes études de médecine, il y a de cela plusieurs décennies. À l’époque, lors de la présentation clinique des antécédents et de l’examen physique du patient, l’étudiant en médecine, l’interne ou le titulaire devait toujours commencer sa description du cas en indiquant l’âge, la race et le sexe du malade. Pourquoi ? Parce que l’on pensait ces facteurs précieux pour déterminer la potentielle susceptibilité à telle ou telle maladie et mettre en place un traitement adéquat.
Traitements selon l’origine ethnique
Sauf que le milieu médical est de plus en plus convaincu qu’identifier la race du patient, ou prescrire des traitements en fonction de son origine ethnique, exposerait à l’expression d’un « racisme systémique » chez les professionnels de santé ou à la perpétuation des inégalités de santé.
Jadis, la race avait sa place dans les présentations cliniques précisément parce qu’elle était utile au patient. Aujourd’hui, au sein même de l’enseignement médical, toute mention de la race dans une présentation de cas est fortement déconseillée.
Comme on peut le lire dans un article du New England Journal of Medicine de 2021 : « Compte tenu de la persistance du racisme en médecine, et de la reconnaissance croissante du caractère socialement construit et non biologiquement cohérent des catégories raciales et ethniques, la pratique consistant à mentionner immédiatement la race ou l’ethnicité dans les présentations de cas – au même titre que l’âge et le sexe – mérite d’être reconsidérée. »
Et les auteurs de conclure : « Nous pensons que, dans les écoles de médecine et les programmes de spécialisation où cette pratique demeure répandue, les enseignants et formateurs devraient reconnaître son impact potentiellement problématique sur le raisonnement clinique et en faire le tremplin de discussions sur les stéréotypes et le racisme dans la pratique médicale. »
L’hypertension plus répandue chez les Noirs
Une telle réserve dans le recours à la race comme caractéristique médicale s’étend à toutes les origines, mais elle est particulièrement prononcée avec les patients noirs, que l’on pense avoir le plus souffert du racisme systémique dans le passé. Ici, mon but n’est pas d’affirmer que la race n’a aucune dimension sociale, ni que le racisme n’existe pas. Au contraire, je souhaite attirer l’attention sur les raisons biologiquement valables d’inclure la race dans les discussions, les évaluations et les décisions relatives aux soins de santé.
Et pas seulement pour faire part d’une opinion abstraite sur le politiquement correct : concrètement, exclure la race comme variable lorsqu’on détermine le terrain d’un malade et les traitements à lui apporter a de quoi empêcher les professionnels de santé de fournir aux patients noirs des soins optimaux.
Paru en 2018 dans la revue de l’Association américaine de cardiologie, un article de synthèse rapporte que l’hypertension est plus répandue chez les Noirs que dans d’autres groupes, ce qui signifie que les Afro-Américains ont beaucoup plus de risques d’avoir AVC et autres problèmes similaires.
« Les patients noirs étaient plus susceptibles de savoir qu’ils souffraient d’hypertension, d’être traités pour cela de manière plus intensive, mais moins susceptibles de voir leur tension artérielle contrôlée », peut-on lire. Pourquoi la tension artérielle des hypertendus noirs est-elle plus difficile à contrôler ? Parce qu’ils « ont tendance à davantage retenir le sel et l’eau » que les autres groupes.
« Les patients noirs d’origine africaine ont une hypertension plus sévère et résistante, souvent en raison d’une prédisposition génétiquement déterminée à la rétention de sel et d’eau. » Cela a des conséquences sur le traitement – ainsi, les diurétiques sont recommandés pour le traitement de première intention de l’hypertension chez les Noirs, mais pas pour celui des autres groupes.
Pas le même bénéfice chez les patients blancs
L’insuffisance cardiaque congestive fait partie des complications de l’hypertension prolongée, mais on constate que les patients se caractérisant comme noirs présentent une réduction de 43 % de la mortalité lorsqu’ils sont traités par un cocktail hydralazine et dinitrate d’isosorbide, et non pas par le traitement standard.
À la suite d’études cliniques, la Food and Drug Administration aura approuvé une association à dose fixe de ces deux substances. Un médicament, commercialisé sous la marque BiDil aux États-Unis, qui ne présente pas le même bénéfice chez les patients blancs.
Selon un article d’une revue médicale européenne, ces médicaments restent « sous-utilisés chez les patients d’ascendance africaine ». De même, un autre article indique que cette association « demeure nettement sous-utilisée dans cette population ». Parmi les possibles raisons évoquées, la « prudence sociale à l’égard de traitements spécifiques à la race ».
En matière de cancers, les pronostics des patients noirs sont également différents de ceux d’autres groupes ethniques. Si les différences sont le plus souvent exclusivement attribuées aux « déterminants sociaux de la santé », de nombreuses données exposent l’importance de facteurs biologiques.
Par exemple, les femmes noires sont beaucoup plus susceptibles de développer un cancer du sein dit « triple négatif » (CSTN). Selon une étude de 2018, « le CSTN afflige de manière disproportionnée les femmes noires et constitue un sous-type agressif de cancer du sein avec des options de traitement limitées par rapport au cancer du sein à récepteurs positifs ».
Selon un autre rapport : « Notre processus exhaustif de quantification de l’ascendance a révélé que les profils d’expression génique associés à l’ascendance dans le CSTN comprennent des distinctions au niveau de la population dans les paysages immunologiques. » En clair, que des facteurs génétiques jouent sur la probabilité qu’une femme noire soit atteinte d’un CSTN.
Concernant le cancer de la prostate, une étude observe que « les hommes afro-américains (HAA) présentent les taux d’incidence les plus élevés aux États-Unis et leur mortalité due à la maladie est nettement supérieure à celle des hommes européens-américains (HEA) ». Un autre article révèle que « les raisons sous-jacentes de cette disparité ne sont pas bien comprises, mais les données disponibles font état d’importantes composantes génétiques ».
Disparités en matière de survie aux transplantations
En outre, par rapport aux autres groupes, les Noirs américains ont plus de mal à obtenir une compatibilité immunologique pour les transplantations d’organes. Cette difficulté d’obtention de bonnes correspondances tissulaires entre un patient et un donneur est le fruit des différences entre les antigènes des leucocytes humains (HLA), déterminés génétiquement.
Ainsi, les patients noirs attendent plus longtemps l’organe d’un donneur compatible et, après la greffe, sont plus à risque de rejet immunologique de cet organe. C’est ce qui a été prouvé pour les greffes de moelle osseuse, de rein et de foie. Comme l’indique une vaste étude publiée l’été dernier, « les disparités en matière de survie aux transplantations sont influencées par les HLA en tant que construction génétique de la race ».
Selon un rapport de la Croix-Rouge américaine, la grande majorité des cas de drépanocytose aux États-Unis concernent des patients noirs, bien que des patients d’origine méditerranéenne ou moyen-orientale soient de temps en temps touchés. On peut y lire : « Les donneurs de sang noirs jouent un rôle essentiel pour aider les personnes atteintes de drépanocytose, la maladie génétique du sang la plus répandue aux États-Unis. Les patients atteints de cette maladie peuvent nécessiter des transfusions sanguines régulières tout au long de leur vie pour éviter les complications de la drépanocytose, telles que des lésions organiques et tissulaires, des douleurs intenses et des accidents vasculaires cérébraux.
Il est essentiel que le sang reçu soit le plus compatible possible, c’est-à-dire qu’il provienne en général d’une personne de la même race ou d’une ethnie similaire. Aujourd’hui, le nombre de donneurs de sang est insuffisant pour répondre à ce besoin urgent. Les Afro-Américains représentent 13 % de la population américaine, mais moins de 3 % des donneurs de sang. »
Patrimoine racial
Une revue de la littérature menée par un anthropologue biologique démontre qu’il est possible de déterminer la race d’un squelette selon un taux de réussite oscillant entre 57 et 95 % – soit largement plus que ce que pourrait prévoir le hasard. Une technique valide non seulement à partir d’ossements de « Blancs, Noirs et Amérindiens, mais aussi d’hommes hispaniques, chinois et vietnamiens ».
Dans son podcast, Meghan Markle, duchesse de Sussex, déclarait récemment être à « 43 % nigériane » d’après un test généalogique effectué voici quelques années. Elle serait la fille d’un père blanc et d’une mère afro-américaine. Comme la plupart des Afro-Américains possèdent environ 10 à 25 % d’ADN européen, l’enfant d’une mère afro-américaine et d’un père blanc devrait avoir environ 37,5 à 45 % d’ADN d’Afrique de l’Ouest.
Il est donc très probable que la majorité de son patrimoine génétique soit européen. Meghan Markle a fait part de son intention de « creuser plus profondément » la question de son patrimoine racial et, si on en croit Ancestry.com, leader des tests de généalogie génétique, il serait aujourd’hui possible d’identifier les régions précises du Nigeria où auraient vécu ses ancêtres.
Améliorer les résultats cliniques
Dans un article paru en 2021, cinq « chercheurs dont le travail se focalise largement sur la génétique et qui se considèrent comme des hommes noirs » dressent le dissensus que suscite la question de la prise en compte de la race dans la pratique médicale.
« Soit l’utilisation de la race dans la pratique clinique et la recherche biomédicale présente des avantages substantiels, écrivent-ils, soit la race n’a pas de base biologique et n’a donc pas sa place en médecine. » Ils ajoutent : « Il existe une corrélation remarquablement forte entre le continent d’origine ancestrale d’une personne et la race à laquelle elle s’identifie. Ainsi, nous pensons que la race a une composante à la fois génétique et sociale. »
Les auteurs font également remarquer qu’une « plus grande inclusion de participants d’ascendance africaine dans les études génétiques pourrait faire considérablement progresser la recherche scientifique ». Leur conclusion ? « Nous ne pensons pas qu’ignorer la race réduira les disparités en matière de santé ; une telle approche relève d’une sorte d’idéalisme naïf risquant plus probablement de perpétuer les disparités, voire de les exacerber. »
En règle générale, ceux qui affirment que « les décisions de traitement fondées sur la race perpétuent le racisme structurel » ne fournissent aucune donnée factuelle à l’appui de leurs propos. Comme si de tels arguments ne reposaient que sur des considérations idéologiques et ignoraient tout bonnement un nombre toujours croissant de preuves empiriques du contraire.
Dans les exemples de « traitement fondé sur la race » que j’ai cités, cette façon de faire aura pourtant permis d’améliorer les résultats cliniques des patients noirs, ce qui devrait être l’objectif d’une pratique médicale efficace et humaine. Si nous voulons réduire les inégalités de santé, il nous faut d’abord reconnaître la réalité biologique de la race.
* Robert J. Morris a pratiqué la médecine durant plus de quarante ans. Il vit et travaille dans le Midwest.
Merci à Kokopilleur