Michel Houellebecq : « Quelques mois dans ma vie », mea-culpa et déclaration de guerre
Avec “Quelques mois dans ma vie (octobre 2022-mars 2023)”, l’auteur d’”Anéantir” revient avec force détails sur son semestre horribilis, mêlant polémiques et sexe. Un récit abrasif écrit dans l’urgence.
On n’a pas mis des heures à lire le dernier Houellebecq. Et pour cause, Quelques mois dans ma vie (octobre 2022-mars 2023) (Flammarion, en librairie le 24 mai) se résume à 103 pages noircies entre le 31 mars et le 16 avril 2023. 103 pages écrites dans l’urgence, donc, au lendemain de sa seconde défaite devant le tribunal d’Amsterdam à propos de ce que l’on a appelé “le porno de Houellebecq”, et qui l’a, dit-il, “cette fois, sérieusement affecté” – voire anéanti. Alors, oui, on a lu d’une traite ces 103 pages vibrantes et “dramatiques”, dans lesquelles l’auteur de Soumission et de La Carte et le territoire revient, rapidement, sur ses “chamailleries” avec le recteur de la Grande Mosquée Chems-eddine Mohamed Hafiz à la suite de ses propos sur l’islam dans la revue Front Populaire et, très longuement, sur ses démêlés avec leréalisateur néerlandais Stefan Ruitenbeek, racontés ici par le menu.

Michel Houellebecq publie le 24 mai son dernier roman “Quelques mois dans ma vie (octobre 2022-mars 2023)” (Flammarion).
Bêtises, stupidités et conneries
Avant de poursuivre, notons quelques invariants de l’homo Houellebecq, qu’il batte sa coulpe à l’égard des musulmans, ou qu’il bataille ardemment contre Ruitenbeek, nommé tout au long du récit, “le Cafard” : une désinvolture certaine, une imposante “vanité d’auteur”, un penchant pour la provoc, une appétence pour l’alcool (surtout mélangée à des anxiolytiques) mortifère en ce qu’elle lui enlève toute attention relevant de la simple jugeote ou le conduit à tenir des propos inconsidérés et infamants, un amour du sexe immodéré et un attrait pour la pornographie amateurs indéniable. Un cocktail dangereux qui, comme il en convient avec lucidité, le pousse à multiplier les bêtises, les stupidités, les conneries…
Dans l’acte I de ce court récit, il s’agit donc pour Michel Houellebecq d’évoquer son entretien avec Michel Onfray, le fondateur de la revue Front populaire et certains de ses passages assimilant, pour faire vite, musulmans et délinquants et prévoyant une guerre civile dans les “territoires entiers sous contrôle islamiste”. Il revient sur ses premières déclarations jugées par lui-même fausses, stupides ou ambiguës, et remercie par la même occasion le recteur de la Grande Mosquée d’avoir accepté ses rectifications.
Mais si Houellebecq ne se ménage pas, il a gardé sa plume féroce à l’égard de ses “ennemis”, comme ce “salaud” d’Edwy Plenel, “faux et venimeux”, et Michel Onfray, son débatteur du Front Populaire, qualifié de “dur et foncièrement mauvais”, et d’”âpre au gain”, sans parler de “l’habituelle meute de crétins médiatiques”. De même, notre chroniqueur Pierre Assouline, directeur de la rédaction de Lire en 2002 (un entretien accordé au mensuel avait alors conduit l’auteur de Plateforme devant les tribunaux pour “provocation à la haine raciale”), qui le poursuit, selon lui, de sa “haine farouche”, a-t-il le droit à quelques lignes.
“Un coït médiocre avec une truie inerte, filmé par un cafard dégénéré”
Vient l’acte II, le plus cuisant aux yeux de Michel Houellebecq assurément. Le film porno réalisé par Le Cafard, que Michel Houellebecq n’a pas réussi à faire interdire mais qu’il sera autorisé à visionner avant sa diffusion, comme la justice néerlandaise vient d’en décider ce mardi 16 mai. Houellebecq est furieux, vexé, trahi, et l’on comprend notamment pourquoi, page 69 (!) : “Il était pour moi atroce de penser que la seule trace qui demeurerait de ma vie sexuelle, la partie la plus vivante de ma vie, soit un coït médiocre avec une truie inerte, filmé par un cafard dégénéré, l’ensemble à coup sûr d’une laideur totale. Je méritais mieux que ça ; n’importe qui mérite mieux que ça.”
Que les choses soient claires : Houellebecq aime le sexe, et ne s’en cache pas: “Il existe d’autres plaisirs que le sexe, liés par exemple à la gastronomie, à l’alcool et à d’autres drogues : si je voulais en comparer l’intensité à celle offerte par les plaisirs sexuels il me faudrait, à peu près, diviser par cinquante.” Houellebecq aime aussi le porno amateurs et le triolisme (qui peut s’élever aux “sommets du bonheur terrestre”), pour des raisons décrites ici qui feraient presque rougir son ami Bruno Le Maire.
Rencontres sexuelles à Paris puis à Amsterdam
En octobre 2022, Houellebecq est contacté par Stefan Ruitenbeek, qui souhaite lui présenter “une étudiante en philosophie”, fan de son œuvre, Jini van Rooijen (surnommée ici “la Truie”) venant s’adonner à quelques gangs bangs dans la capitale. Une première rencontre sexuelle a lieu à Paris le 1er novembre entre Houellebecq, sa femme et “la Truie”. Rencontre décevante aux yeux de celui-ci, tant “la Truie” se révèle passive et “fellatrice en dessous du médiocre”. L’incroyable, c’est que Houellebecq accepte de récidiver le 21 décembre 2022, à Amsterdam cette fois-ci, le Cafard ayant multiplié les appâts (promesse de jeunes femmes assidues de ses livres souhaitant avoir des relations sexuelles avec lui).
Comme l’écrit l’auteur, “il peut paraître incompréhensible que j’aie accepté”. Tout est dit ! Hôtel, bouteille de vin, anxiolytiques, présentation à une pseudo-actrice, baptisée ici la “Dinde”, baisers dans le lit dont il ne se souvient pas du tout (c’est fou le nombre de scènes qui sont autant de blancs dans la mémoire de l’auteur), et signature d’un contrat rétroactif dément, enlevant tout droit de regard à Houellebecq sur les images tournées entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2023 : “Un animal aurait davantage de droits”, commentera son avocate néerlandaise à la vue du fameux contrat reproduit dans le livre… Reste que Stefan Ruitenbeek publie la bande-annonce d’un film nommé Kirac27 et que la justice hollandaise va débouter Houellebecq de ses demandes d’interdiction.
“Quelque chose qui pourrait s’apparenter à ce que décrivent les femmes victimes d’un viol”
A l’idée que ces images puissent être diffusées, Houellebecq dit ressentir “quelque chose qui pourrait s’apparenter à ce que décrivent les femmes victimes d’un viol. D’abord une douloureuse sensation de dépossession de son propre corps (…) je me recroquevillais, transpercé par la honte.” Pas sûr que de tels propos ne déclenchent pas le courroux de certaines femmes. Houellebecq en est fort conscient, qui écrit aussi : “Les féministes ne m’aiment pas. Je ne les aime pas non plus, je considère qu’elles ont porté tort aux relations entre les êtres…”
De même, achève-t-il ces Quelques mois dans ma vie par le rappel du grand réconfort apporté par Bernard-Henri Lévy mais aussi par un Gérard Depardieu l’enjoignant à “ne rien lâcher, y compris sur le plan juridique”, et à “(se) battre jusqu’à la limite de (ses) forces”. Un renfort qui sent un peu le souffre, l’acteur faisant actuellement l’objet d’accusations de violences sexuelles.