Michel Onfray : « Bénévolat », la fraternité appliquée
Le philosophe le plus populaire de France se porte candidat pour être bénévole.
Je le confesse aux tenants de la nouvelle loi sur les suspects édictée par la gauche culturelle, mea culpa, j’ai failli être bénévole au Puy du Fou ! C’était l’été dernier et je donnais une conférence, bénévole, c’est aussi mon vice, à l’école du Puy du Fou, où l’on apprend à lire, écrire, compter, penser – mais sûrement pas le catéchisme « wokiste ».

Je ne suis pas monté sur scène avec les trois mille bénévoles de la Cinéscénie, parce que Philippe de Villiers et son fils Nicolas m’ont fait l’amitié de me conduire pendant plus de trois heures dans les coulisses de cette république proudhonienne dont un certain Laurent Joffrin, oui oui, avait fait l’éloge dans un numéro de Libération, oui oui, intitulé « Vive la crise ! », en février 1984 et qui célébrait le modèle économique puyfolais qui n’a pas changé, oui oui encore…”
Je n’ai donc pas été bénévole, mais mon épouse, si, ma fille, si, mon gendre, si, mes deux petits-enfants, si aussi. Et ça a été pour eux un grand moment inédit de fraternité appliquée avec des gens dont on ignore le niveau social, les revenus, les professions, les diplômes, les sympathies politiques, mais dont l’enthousiasme non feint se trouve mis au service d’une cause : fabriquer une petite république française dans laquelle l’intérêt général conduit le bal. Il fallait produire une fête française (est-ce là le péché ?), et tout le monde, là où il était, y contribuait.
Dans les coulisses, j’ai vu les sourires, les rires, l’enthousiasme, la joie. La tension avant d’entrer en scène, entre les chevaux et les carioles, les voitures et les vélos des années cinquante du siècle dernier. Puis l’épuisement heureux après le spectacle plein de magie, de feux d’artifice, de textes lyriques racontant l’histoire de France, et non l’idéologie d’une partie de la France, dits par des fascistes notoires – je songe à Philippe Noiret, Jean Piat, Robert Hossein ou Gérard Depardieu.
Il fait plaisir à voir cet épanouissement de qui sait avoir donné du plaisir à des gens simples, modestes, une grande partie de cette France profonde que j’aime, car elle s’oppose à la France superficielle que j’abhorre. Des gens émus par des gens sans nom, les bénévoles, désireux d’offrir au petit peuple des plaisirs simples : ceux d’une histoire de France où je défie quiconque d’un tant soit peu honnête qui se serait rendu sur place d’en démontrer la nature royaliste, contre-révolutionnaire et antirépublicaine. Raconter, entre autres nombreux tableaux, les guerres de Vendée et la Terreur, c’est faire de l’histoire ; les minimiser ou les taire, les relativiser ou les justifier, c’est faire de l’idéologie. Ceux qui font de l’idéologie ne supportent pas qu’on fasse de l’histoire qu’ils décrètent… idéologique !
Ces bénévoles, au sens étymologique : ces bonnes volontés, sinon ces volontés bonnes, ne sauraient être comprises par les mauvaises volontés qui, ici comme ailleurs, perpétuent un populicide : la haine et le mépris du petit peuple constituent en effet un fil d’Ariane chez les maastrichiens qui nous gouvernent depuis plus de trente ans.
Nombre de ceux qui ne comprennent pas qu’on soit bénévole vivent grassement du système d’assistanat français avec ceux qui célèbrent l’idéologie du moment – pétainiste sous Pétain, gaulliste sous de Gaulle, marxiste prosoviétique après-guerre, soixante-huitarde en Mai 1968, socialiste sous Mitterrand, maastrichienne sous tous les suivants, wokiste aujourd’hui… Gens de cour, ils vivent de l’impôt, de l’argent public, et ne rendent de comptes à personne. Peu importe leurs théâtres subventionnés vides puisque leurs poches sont pleines.
Cette caste de la gauche culturelle pétitionnaire traite de fasciste l’ouvrier et le prolétaire qui souffrent de la mondialisation et demandent la protection de l’État, sans imaginer une seule seconde qu’ils bénéficient de ces protections sans lesquelles eux aussi vivraient dans la précarité ou seraient tout bonnement au chômage. Je songe au financement du cinéma français.
La subvention publique oblige à la courtisanerie, elle contraint à la génuflexion devant les idéologies du moment, elle entretient la flatterie à l’endroit du ministère de la Culture, des petits potentats, responsables de la culture dans les provinces, des directions régionales de l’action culturelle qui distribuent les subventions. Ce système perpétue la féodalité, les relations de vassal à suzerain, l’échine courbée et le ventre à terre.
Le bénévolat permet d’échapper à ce système féodal et de favoriser d’authentiques républiques citoyennes où la liberté fait la loi. Lors d’un prochain passage au Puy du Fou, je souhaite vivement être bénévole dans cette machine à pulvériser les passions tristes de la gauche culturelle : le ressentiment, l’amertume, la malveillance. Je préfère la joie et l’enthousiasme des Français moyens à la méchanceté des Français médiocres.
La France rance existe, c’est celle de l’élite autoproclamée qui n’aime pas les gens simples, modestes, les petites gens comme on dit, les bénévoles donc, qui n’ont souvent que leur bonne volonté à opposer à la mauvaiseté de ceux qui prétendent parler pour eux afin de mieux les étrangler le jour venu des élections ou du pouvoir.
Vient de paraître : Le fétiche et la marchandise, Bouquins, 224 pages, 20 euros.