Nogent-sur-Oise (60) : « Tout le monde est dithyrambique », expulsable, le Guinéen Thierno Tahirou Sow est devenu un apprenti boulanger d’exception
Il y a plus de deux ans, ce jeune Guinéen en apprentissage dans l’Oise recevait une obligation de quitter le territoire français (OQTF), provoquant une levée de boucliers. Aujourd’hui, il vient d’arriver deuxième à un concours régional.
En février 2021, Thierno Tahirou Sow apparaissait dépité. Ce mineur non accompagné (MNA) d’origine guinéenne, alors âgé de 18 ans, venait de recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pourtant, que ce soit son employeur, son centre de formation ou les associations qui le suivaient, tous louaient la volonté sans faille de cet apprenti boulanger.

Devant la mobilisation dans le sud de l’Oise — une pétition avait réuni près de 20 000 signatures — sa situation avait finalement été régularisée, et Thierno Tahirou avait pu reprendre le chemin des fournils. Deux ans plus tard, c’est avec succès qu’il a poursuivi sa formation, arrivant même, fin avril, deuxième à un concours régional des apprentis boulangers.
Ce qui ne l’empêche pas de garder la tête froide après les épreuves traversées. « C’était un moment difficile pour moi mais qui m’a permis de beaucoup réfléchir, analyse-t-il aujourd’hui. Finalement, c’est une belle leçon de vie. »
« Tout le monde est dithyrambique »
À l’autre bout du fil, Samira Habeddine se montre presque désolée. « J’ai essayé de lui trouver des défauts mais tout le monde est dithyrambique », lâche cette responsable au centre de formation de la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) de Compiègne, où est scolarisé Thierno Tahirou. Assiduité exemplaire, toujours au premier rang… elle n’a pas de superlatif assez fort pour louer les qualités de son élève.
Ainsi, quand on lui a proposé de participer au concours, le jeune apprenti n’a pas hésité. « J’en ai d’abord discuté avec mon patron qui m’a motivé, il m’a même donné des congés payés. » Baguette tradition, couques ou brioche, il a pu faire montre de son savoir et séduire le jury. « C’est une fierté mais c’est avant tout le fruit de son travail, c’est un bosseur », salue Morgan Lhommelais, gérant des boulangeries Ange de Montataire et Saint-Maximin, où travaille le jeune homme.
« J’ai tout de suite adoré faire les baguettes »
Maxime Rochon-Vollet est l’un de ses professeurs à la CMA. Assisté d’un collègue, c’est lui qui a préparé Thierno au concours, durant trois jours. « Il aurait pu arriver en tête mais la gagnante, elle, se préparait depuis des mois, assure-t-il. Il est extrêmement précis, il suffit de lui montrer une fois un geste pour qu’il le refasse. Il a encore un peu de difficulté avec la langue mais il travaille dur pour y arriver. »

Thierno Tahirou espère, à terme, pouvoir ouvrir sa propre boulangerie.
Arrivé en septembre 2019 en France, Thierno se retrouve livré à lui-même plusieurs mois, végétant dans un hôtel de Villers-Saint-Paul. Il fait le tour des CFA et des structures de la CCI, déniche une place en mécanique poids lourds mais pas d’entreprise pour l’accueillir en apprentissage. Il ne connaît pas le métier de boulanger mais à force d’acharnement, il décide de se lancer. « J’ai tout de suite adoré faire les baguettes, je n’y connaissais rien, mais maintenant je suis un peu un spécialiste », sourit-il.
Après un CAP obtenu avec succès, il passe une mention complémentaire à la mi-juin. Thierno a même refusé d’être embauché à la fin de son diplôme pour passer un brevet professionnel les deux prochaines années. « L’équivalent d’un bac, précise Samira Habeddine. Il sera pourtant moins bien payé que s’il était entré sur le marché du travail, mais il a compris l’importance d’avoir un cursus complet. »
« Pourquoi ne pas ouvrir une boulangerie ? »
Un choix soutenu par son patron. « Nous le soutiendrons là aussi, glisse Morgan Lhommelais. Cela ira au-delà du travail de boulanger, il va découvrir le management pour, à terme, devenir chef adjoint boulanger et gérer une équipe de trois à quatre personnes. En parallèle, il étudiera aussi la gestion pour devenir chef boulanger. Un tas de possibilités s’offrent à lui, il lui faut déjà atteindre celui-ci mais pourquoi ne pas avoir sa propre entreprise un jour ? »
Pour Thierno, cela ne reste que la suite logique des événements. « Quand on fait quelque chose, il faut aller au bout », se répète-t-il. Il a même quitté le foyer qui l’hébergeait à ses débuts et loue un appartement à Nogent-sur-Oise. De quoi aborder sereinement l’avenir. « Pourquoi ne pas ouvrir une boulangerie ? Les Français m’ont soutenu, maintenant j’ai envie de construire ma vie ici, d’ouvrir mon entreprise. »
Un parcours loin des clichés véhiculés sur les MNA. « Il y a de rares exceptions mais ce sont en général des élèves ultra-motivés, reprend Samira Habeddine. Ils ont souvent des parcours difficiles et savent saisir leur chance. » La formatrice aimerait voir se développer les enseignements FLE (Français langue étrangère) mis en place depuis deux ans : « Cela permet aux non-francophones de passer un CAP en trois ans au lieu de deux, avec une première année consacrée à l’apprentissage du français. Malheureusement, ce n’est pas toujours facile de convaincre les employeurs. »