Orcet (63) : En Auvergne, au cœur de la communauté turque la plus pro-Erdogan d’Europe
Au premier tour des présidentielles en Turquie, les électeurs de l’unique bureau de vote du Puy-de-Dôme ont placé Erdogan en tête avec plus de 91 % des voix. Un record en Europe.

Jour de prière à Thiers. Comme chaque vendredi, des dizaines de musulmans se dirigent vers les trois mosquées de la cité auvergnate. Beaucoup d’entre eux sont membres de la communauté turque recensant 3000 personnes dans cette ville de 12.000 habitants. Depuis quelques semaines, un sujet de discussion revient inlassablement: l’élection présidentielle. Avec un nom sur toutes les lèvres. «Dimanche, c’est la victoire du président Erdogan!», clame un jeune Thiernois. Dans le Puy-de-Dôme, il est loin d’être le seul à prendre parti pour le président sortant. Au premier tour, les électeurs de l’unique bureau de vote du département, à Orcet, l’ont placé en tête avec plus de 91 % des voix. Un record en Europe.
Rien de surprenant à en croire Hakan Ozer. Si le président de l’Association amicale culturelle turque de l’Auvergne ne veut «inciter personne à voter pour un candidat» sous sa casquette associative, il se montre plus explicite dans son costume de citoyen. «J’ai voté Erdogan et je continuerai car il n’y a pas mieux. Quand je retourne au pays, il y a beaucoup de changements, notamment au niveau des hôpitaux.» Installé en France depuis plus de quarante ans, le Clermontois suit de près la vie politique en Turquie. Suffisamment pour afficher son pronostic pour le second tour: «Plusieurs partis politiques se sont regroupés pour faire tomber Erdogan. Mais, même avec ça, ils n’y arrivent pas. Au second tour, il peut faire plus de 80% chez nous mais sans doute moins en Turquie.»
Les électeurs du Puy-de-Dôme se sont déjà rendus aux urnes le week-end dernier pour départager Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu. La participation a augmenté de 19 % par rapport au premier tour pour atteindre 5400 votants. Ce chiffre n’est pas étonnant tant la communauté est historiquement présente sur ce territoire depuis le début des années 1980.
«Ce sont des familles entières qui sont venues, plutôt que des travailleurs seuls comme les Portugais ou les Espagnols dans les années 1950 et 1960», explique Julien Bouchet, chercheur associé au Centre d’histoire espaces et cultures de Clermont-Ferrand. Pour l’historien, cette migration vers le centre de la France est multifactorielle. «Des associations ont fait le lien dans le Puy-de-Dôme. Il y a eu aussi le bouche-à-oreille sur un foncier plus abordable dans le bassin de Thiers. L’emploi ouvrier est important dans la vallée de la Durolle.»
Écart significatif
La politisation de cette population, elle, se serait récemment développée. «Ça correspond à l’arrivée d’Erdogan au pouvoir. La majorité des familles viennent de la région de Cappadoce qui est structurellement conservatrice et paysanne. Elles se retrouvent dans son projet nationaliste et religieux. À tel point que, parfois, elles ont oublié que la fondation de la République turque est laïque.»
Et, pour la première fois, ces électeurs n’ont pas eu à se déplacer jusqu’à Lyon pour voter. Seulement cinquante kilomètres séparent Orcet de Thiers. Un aménagement logistique non négligeable. «À la suite du tremblement de terre en Turquie, les autorités turques ont constaté que beaucoup d’aide avait été envoyée depuis notre région donc que nous étions présents. C’est très symbolique pour nous et ça permet à chacun d’exprimer son opinion», rapporte un membre de l’association Thiers Union turque.
Plusieurs collectifs ont par ailleurs facilité l’accès aux urnes en relayant régulièrement les modalités de vote sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. «Des personnes ont même loué des bus pour venir en faisant parfois plus de 100 kilomètres», complète Hukumdar Duran, coordinateur de l’élection dans le Puy-de-Dôme. Son analyse du résultat du premier tour est sans appel: «Erdogan fait 91 % ici parce que, de l’extérieur, on voit très bien l’évolution de la Turquie. Avant, il n’y avait pas d’aéroports et les routes étaient catastrophiques. Il y a vingt ans, on avait même peur de conduire le soir. Sans oublier la place qu’Erdogan a prise dans le monde.»
Une personne regarde d’abord l’argent qui rentre dans sa poche. Mais on est très bien placés pour savoir que la crise n’est pas qu’en Turquie.” – Hukumdar Duran, coordinateur de l’élection dans le Puy-de-Dôme
Comment pour autant expliquer cet écart significatif avec le score (49,51 %) du président sortant en terre turque? Selon le comptable auvergnat, le chef de l’État paierait, localement, le contexte économique peu favorable: «Une personne regarde d’abord l’argent qui rentre dans sa poche. Mais on est très bien placés pour savoir que la crise n’est pas qu’en Turquie. C’est comme une punition pour certaines décisions qu’il a pu prendre.»
Parmi les votants accueillis par Hukumdar Duran devant les isoloirs, figuraient de nombreux jeunes, bien décidés à soutenir Recep Tayyip Erdogan. C’est le cas de Mehmet Bicici. Ce Puydômois de 29 ans est rarement à court d’arguments pour défendre son candidat, notamment pour répondre aux critiques françaises visant sa politique et son image de «dictateur»: «Je trouve ça dommage, car à un moment c’était tout le contraire. Je le vois plutôt comme celui qui a essayé de nous faire rentrer dans l’Europe. Et ça, c’est important pour nous, car on y vit.»